Les Sorcières

avec B. ROCHELANDET et P. THIELLEMENT
publiée le
animée par Judith BERNARD

Même si les bûchers où elles ont péri par dizaines de milliers se sont éteints depuis plusieurs siècles, nous n’en avons pas fini avec les sorcières – ni d’ailleurs avec leur chasse. Certes, le capitalisme triomphant du XXème siècle a fait mine de domestiquer complètement cette inquiétante figure de la puissance féminine, et l’a maquillée en fée du logis parfaitement inoffensive : « Ma Sorcière bien aimée »« Bewitched », en VO – fut le nom de cette entreprise d’apprivoisement et de réconciliation qui inonda nos chaînes de télévision entre deux tunnels publicitaires. Mais par delà cette paix apparente, l’idée d’un féminin maléfique, suspect d’alliances démoniaques, et capable d’accomplir des prodiges relatifs à la vie et à la mort n’a pas cessé de hanter nos imaginaires. Voilà bien la force d’un mythe : chassez-le par la porte de la science et de la rationalité, il revient par la fenêtre de nos contes et de  nos fantasmes.

L’occident se souvient fort bien du crime de masse qu’il a perpétué aux XVIème et XVIIème siècle, et rebaptise « chasse aux sorcières » toute entreprise inquisitoriale parvenant à créer des coupables par la seule allégation de culpabilité. Et il a beau savoir quel mal il a fait déjà, à prendre ses cauchemars pour des réalités, il persiste, et signe : « chasse aux sorcières » est le nom que l’on donna à la persécution des communistes sous l’égide de MacCarthy, aux Etats-Unis, et qu’on donne parfois encore aux procès d’intention que la doxa fait à la dissidence.

« Chasse aux sorcières » est aussi le nom qu’il faut donner aujourd’hui à des crimes bien réels commis récemment dans certains pays d’Afrique (Kenya, Nigeria, Cameroun…) ; cette chasse-là tout à fait analogue à celle que connut l’Europe de la Renaissance, et peut-être pour des raisons semblables – « là aussi, la chasse aux sorcières a accompagné le déclin du statut des femmes qu’entraînait la montée du capitalisme et l’intensification de la lutte pour les ressources », observe Silvia Federici, dans son extraordinaire livre Caliban et la sorcière

On n’en a pas fini, donc, et notre Dans le mythe n’a pas la prétention d’en finir non plus. Impossible d’être exhaustif s’agissant d’un mythe en général, et de celui-là en particulier : toujours, la sorcière excède, échappe, déborde. Avec Brigitte Rochelandet, historienne, et Pacôme Thiellement, essayiste, Rafik Djoumi et moi-même avons essayé de conjuguer nos approches, entre rêverie et réalisme, pour embrasser du regard cette inextinguible incandescence ; il en est résulté, sur le plateau, une chaleur toute conviviale, et de fort belles étincelles ! 

Judith BERNARD

Durée 97 min.
  • Commentaires

3 réponses à “Les Sorcières”

  1. Pacome Thiellement

    Deux réponses, l’une à la question de Eric Sageloli concernant la bibliographie : le livre auquel je fais référence est « Femmes, Magie, Politique » de Starhawk. Son titre original est « Dreaming the dark ». Il vient d’ailleurs d’être réédité sous un titre plus fidèle, « Rêver l’obscur » chez Cambourakis. A lire. Ouvrage passionnant, auquel il faudrait ajouter les livres d’Isabelle Stengers – en particulier « La sorcellerie capitaliste ».
    Deuxième réponse, à Marc Gébelin, le concept d’imaginal n’est pas de Berque mais de Henry Corbin. C’est une traduction du alam al-mithal, qui vient du monde métaphysique shiite duodécimain, aussi appelé al-muthul al-mu’allaqa chez Sorhavardi, soit « monde des formes en suspens ». Vous pouvez vous renseigner là-dessus dans « En islam iranien », particulièrement le volume 2 et dans « L’archange empourpré ».

  2. Daniel Ristic

    Je ne sais pas pourquoi mas cette émission qui n’était même pas dans le lineup initial, je trouve qu’elle a vraiment un truc en plus.

  3. Lucie Lalande

    Bonjour, et merci pour cette émission qui se termine comme il se doit avec cet extrait de « Sacré Graal », émission passionnante comme à votre habitude.
    Je trouve juste dommage que vous ne parliez pas plus dans l’émission de la saga « Harry Potter » et de Hermione, l’une des dernières figures connue de la sorcellerie (voire très très célèbre). Le personnage de Hermione, bien que vivant dans un monde où les hommes sont des sorciers comme les autres, représente une évolution incroyable dans notre vision de la sorcière, très éloignée de « Ma sorcière bien aimée » par exemple. Elle est érudite et utilise la connaissance pour agir, chez elle, la sagesse devient magie. Elle est la plus puissante au sein du trio et aussi la plus rationnelle. Chose jamais vue encore, c’est le personnage masculin de Harry qui porte en lui la part « irrationnelle » et mystérieuse qu’on prête à la sorcellerie: c’est en lui que se meut une part de ténèbres puisqu’il a en lui un peu de Voldemort, le seigneur maléfique. Je sais que Harry Potter fait maintenant partie de la culture mainstream, mais je pense que la saga valait le coup d’être mentionnée autrement qu’avec l’épisode de la mandragore!
    Merci encore pour ce que vous faites!

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