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Le Dernier tango à Paris

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Depuis sa sortie en 1971, Le Dernier tango à Paris a été résumé à une unique scène qui éclipse toutes les autres: celle de la « motte de beurre » où Jeanne (Maria Schneider) se fait violer par Paul (Marlon Brando) qui la sodomise en utilisant du beurre pour lubrifiant. Après Metoo, cette séquence a provoqué sur l’opinion médiatique un genre d’éblouissement, ou d’effet d’éclipse, qui a abolit l’espace symbolique du film. Ce qui s’est passé ce jour-là sur le tournage a rendu impossible tous les discours qui ne se positionnaient pas moralement. L’effet d’éclipse a eu raison de toute réflexion, a même déformé les faits : on a fini par dire que Maria Schneider avait été violée par Marlon Brando. On a lu tout ce qu’on pouvait lire là-dessus et on prend le temps d’y revenir longuement.
On a pensé cette émission dans le prolongement de celle que nous avons consacrée à Gérard Depardieu : ouvrir un espace qui permet autre chose que le verdict. Ce verdict oublie souvent une chose dans le cas du Dernier Tango : qu’il y a dans le film une femme qui lutte pour défendre son personnage, qui ne se laisse pas intimider par Brando (ils ont trente ans d’écart) ni par un auteur italien qui la méprise. Qui va jusqu’au bout, qui est inoubliable. Bref, en faisant de Maria Schneider rien d’autre qu’une victime, on lui a retiré son art, sa puissance, la tornade de vie qu’elle est et que le film documente. On a oublié de dire à quel point le film était sur elle, malgré tout. Et sur une figure de mâle puissant qui baisse les armes, se liquéfie, se dévirilise lentement, capitule bientôt devant une jeune femme.
On a donc voulu réconcilier deux choses qui ont tendance à s’opposer: l’appréciation esthético-cinéphile, et les conclusions auxquelles nous obligent absolument l’ère Metoo, événement qui amplifie notre compréhension des oeuvres, nous invite à être plus exigeant, plus précis, à dire moins de conneries sans doute. On a voulu penser le film comme un espace symbolique et espace de violence, sans qu’aucun des deux n’annule l’autre.
Et puis on se rendra vite compte que Le Dernier tango met en place une expérience de pensée qui intéresse largement notre époque et ce qui la travaille : un homme et une femme se rencontrent et tentent de s’aimer par-delà leur identité sociale. Ils ne se disent pas leur nom, ignorent tout l’un de l’autre. Puis, lentement et désespérément, l’identité revient, le langage, la classe sociale, le passé, l’envie de se raconter. C’est aussi la violence qui revient. Et à mesure que la société, dans toutes ses modalités, fait retour entre Paul et Jeanne, l’amour finit par imploser. Tabula rasa impossible, éden pré-social illusoire, violence incontournable.
Je n’en dis pas plus car l’émission est longue, deux heures : c’est sans doute le temps qu’il fallait pour un dialogue serein de deux personnes qui – j’y ai pensé après notre dialogue – ne sont pas du même sexe ni de la même génération, qui ne sont d’ailleurs pas d’accord sur tout, mais qui tentent d’atténuer un peu cet effet d’éclipse qui tétanise trop souvent la pensée.
Murielle JOUDET
12 réponses à “Le Dernier tango à Paris”
Que dire ? Dans un premier temps, Rauger minimise le traumatisme de Maria Schneider en euphémisant le rapport de domination entre le réalisateur et l’actrice. Puis, encouragé par les propos de Murielle Joudet, il ose : « Peut-on faire du cinéma sans violer ses acteurs ? ». C’est aussi bête que profondément abject.
Murielle Joudet n’est pas en reste puisqu’elle justifie cette scène de viol en considérant que le viol est l’expression d’une forme de liberté du réalisateur (ce qui « sauve le réalisateur », dit-elle c’est qu’il « assume » cette scène de viol). Le viol, vous comprenez, c’est subversif !
Naïvement, étant féministe et de gauche, je pensais que dans une société profondément inégalitaire, c’était l’égalité qui était subversive.
Comment Judith Bernard pouvez-vous promouvoir la culture du viol (car ç’est bien ce qui se passe dans cette émission) tout en vous disant féministe ?Merci pour cette émission très intéressante !
Le film a de très beaux moments (et le tout début est effectivement assez remarquable) mais aussi de gros ratés. Je crois que c’est dû au fait qu’on y voit beaucoup les acteurs faire les acteurs (cf la concierge de l’immeuble où l’appartement est à louer, la scène d’impro de Brando près du corps de sa femme, ou encore quand il est dans la salle de tango et montre ses fesses – on apprend qu’il faisait ça régulièrement sur le tournage du Parrain. Il reproduit alors devant la caméra ce qu’il avait l’habitude de faire… avec ses collègues) ; Léaud fait le réalisateur, le surjoue même, avec le débit artificiel qui le caractérise (cad qui caractérise l’acteur Léaud). Bertolucci voulait sans doute cette artificialité, elle est à lier à l’époque, bien sûr, et au refus de faire un mélodrame classique (ce dont parle JF Rauger à plusieurs reprises). Mais le réalisateur ne s’en est sans doute pas non plus totalement satisfait et a cherché à capter des moments de vérité, ou de spontanéité. On sait à quel prix et avec quelles conséquences. Dans tous les cas il s’agissait ici, je crois, de lâcher les chevaux et de voir ce que les acteurs étaient capables de faire. C’est un peu ce que le film documente, c’est en tout cas ce que je vois quand je vois Le Dernier Tango : un film où le réalisateur laisse ses acteurs se montrer tels qu’ils sont dans l’espoir de voir émerger la vérité des personnages et où finalement les acteurs montrent surtout qu’ils sont – et, quand on y pense, très logiquement -, des acteurs. Si bien que j’ai l’impression que quelque chose, une forme de justesse, de précision (des sentiments, des attitudes des personnages, mais il faudrait dire du jeu des acteurs), n’advient jamais vraiment.pardon donc la rançon de la gloire c’est d’accepter des rapports d’abus malsain… pour pouvoir rentrer dans l’Histoire du cinéma…? et on laisse ça là dessus? « bon »…
Je comprends votre énervement et vous remercie pour cette cette leçon d’idéalisme Judith Bernard.
Comme je l’ai écrit, je pensais sincèrement que vous étiez féministe et matérialiste. Mais apparemment, peu vous importent les moyens mis en œuvre pour produire cette scène. Qu’importe donc le comment si c’est pour produire des images « spectaculaires » (variante de qu’importe la méthode si le résultat est beau ). Et tant que le réalisateur est conscient de ce qu’il fait (je suis violent) et l’assume (je suis violent car il faut l’être pour montrer une scène de viol), alors tout va bien (comme je récite ma leçon, j’essaie d’être claire). Je n’ai pas vu votre spectacle, mais je suis certaine qu’il ne peut pas reposer sur un présupposé naturaliste aussi stupide.
Aussi stupide, si ce n’est pervers : dénoncer des violences en les reconduisant, créer un personnage féminin rebelle pour pouvoir le saloper et faire intégrer au film sa propre critique en lui faisant prononcer « j’en ai marre d’être violée » est un montage sacrément tordu. Le dernier ressort de cette perversité toute chrétienne étant sans doute de se croire quitte en punissant le personnage de Brando, après avoir joui avec lui de ses violences.
Vous me repondriez sans doute, en bonne materialiste que vous prétendez être : « la perversité est un concept moral et non pas esthétique! Point de regard moral sur l’art, féministes plaintives avides de censure et de bien-pensance »!
À cela je répondrai que:
– JFRauger n’a aucun mal à déclarer tout de go que le geste de cinéma est un geste pervers essentiellement, autrement dit que c’est là la rançon de la création (tout cinéaste ne viole-t-il pas ses acteurs, ose-t-il?)
– Que vous accepteriez tout à fait, dans l’ordre de l’analyse de l’exploitation au travail et du management contemporain, de reconnaître qu’il y a bel et bien une perversité structurante des rapports marqués par la domination (voyez bien les analyses de Lordon et Lucbert, que nous serons toutes deux d’accord pour qualifier de matérialistes, qui décortiquent l’appareillage de discours qui justifient et reconduisent la violence managériale). Vous le reconnaissez dans le domaine économique, pas dans le domaine sexuel ni dans le domaine de l’art : pourquoi?
Enfin, comme dans tout bonne leçon d’esthétique, il faut citer un spécialiste, en l’occurrence un critique de cinéma, je me permets de retranscrire les propos limpides d’Emmanuel Burdeau extraits de sa critique de La vie d’Adèle parue dans Mediapart le 8 octobre 2013.
« Aucun film – aucune œuvre d’art – n’est cela, un certain résultat, sans porter également trace du processus qui y a mené. Non pas tellement que la méthode soit visible à l’écran en tant que telle, ou que tout film en soit moralement comptable – encore que –, mais chacun est aussi une mise en scène, la défense d’une certaine façon de faire. Un chantier, si l’on veut. Un projet. Une courbe au lieu d’un point. Un travail. Les images ne sont pas des écumes sans renvoyer – non pas accidentellement, mais essentiellement – aux remous dont elles procèdent. Et qu’elles ne cessent d’être ».
Hypothèse : n’est-ce pas vous qui, isolant la production des conditions de production, ne voyez rien ?
Cela dit, votre romantisme serait touchant s’il n’était pas l’allié le plus puissant de la domination sous toutes ses formes.
Je vous remercie pour votre réponse et espère très modestement avoir pu quelque chose pour vous.Merci pour votre réponse Judith Bernard. La mienne sera longue, mais les contre-vérités et les sophismes de votre précédent message m’obligent à la développer.
1) Ce qui est faux :
Maria Schneider n’a pas consenti à cette scène très violente. Les preuves :
« Les violences, le harcèlement ou la maltraitance sont ainsi souvent masqués ou justifiés par la liberté artistique ou l’intérêt supérieur de l’œuvre. Sur le tournage du Dernier Tango à Paris (1972), le réalisateur Bernardo Bertolucci et l’acteur Marlon Brando avaient piégé l’actrice Maria Schneider en simulant par surprise une scène de viol avec du beurre qui a traumatisé à vie la comédienne. « Est-ce que ce n’est pas le prix à payer pour les chefs-d’œuvre ? », avait justifié en 2018 le critique de cinéma Éric Neuhoff dans l’émission « Le Masque et la Plume », sur France Inter. »
Article de Mediapart (Marine Turchi), article du 8 février 2024.
Au passage Éric Neuhoff et Jean-François Rauger disent exactement la même chose.
Avouez que ce n’est pas très flatteur pour votre invité.Mieux : Bertolucci lui-même reconnaît qu’il a été violent.
« J’ai été horrible avec Maria, je voulais sa réaction en tant que fille et non en tant qu’actrice, je voulais qu’elle se sente humiliée…» raconte Bertolucci, après avoir avoué que l’idée de la scène lui était venue le matin au petit-déjeuner avec Brando, alors qu’ils se faisaient des tartines beurrées. »
Article de Libération (Didier Perron) du 4 décembre 2016Enfin, voilà ce que dit Maria Schneider elle-même dans une Interview du Daily Mail en 2007:
« La scène n’était pas le scénario original. C’est Marlon qui en a eu l’idée. Ils me l’ont annoncé juste avant qu’on ne tourne la scène et j’étais furieuse. J’aurais dû appeler mon agent ou demander à mon avocat de venir sur le plateau, parce que vous ne pouvez pas forcer quelqu’un à faire quelque chose qui n’est pas dans le script, mais en même temps, je ne savais pas tout ça.»
Elle précise plus loin dans la même que si la scène était simulée, elle s’est sentie « un peu violée ». Et si, dans la fiction, c’est Brando qui meurt, dans la réalité, c’est bien elle qui en a vu sa carrière et sa vie fortement dégradées.2) Ce qui relève de votre idéalisme têtu :
– Quand bien même Maria Schneider aurait consenti à la séquence de « sexe violent » annoncée dans le scénario (cela ne veut pas dire qu’elle a consenti à cette scène de viol : les preuves plus haut), le consentement n’est en rien la marque d’un rapport égalitaire entre elle et le réalisateur, et donc d’une réelle liberté.
Je vous rappelle qu’un employé « consent » aussi à son exploitation (puisqu’il signe un contrat de travail). Est-ce pour autant qu’il n’y a pas exploitation ? Je vous conseille de relire votre ami Lordon.
Vous niez purement et simplement le rapport de domination entre le réalisateur (30 ans et six films à son actif avant Le dernier tango à Paris, dont beaucoup furent ovationnés par la critique et primés), Brando (48 ans et star du cinéma hollywoodien) et Maria Schneider (qui est âgée de 19 ans à l’époque et qui n’a eu que deux petits rôles de figuration avant Le dernier Tango à Paris.
D’ailleurs, Jean-François Rauger reconnaît lui-même que Maria Schneider était exploitée sur le tournage, travaillant jusqu’à 14 heures par jour.– Ce que vous appelez l’utopie d’une relation qui veut s’abstraire des déterminations sociales, je l’appelle avec Marx l’idéologie bourgeoise ou, disons, dans ce contexte, celle du M.M.A. (mâle alpha artiste). Cette utopie étant le produit des rapports de domination, elle ne peut que produire de la violence. La violence n’est donc pas, comme vous semblez le dire, l’échec de cette utopie, mais son aboutissement logique. Entre nous, d’ailleurs : qui peut réellement fantasmer une liberté utopique sous la modalité de rapports sexuels avec un homme dépressif qui a plus du double de votre âge dans un appartement du 16e arrondissement…? De qui est-ce l’utopie ? Sérieusement ?
3) Ce qui relève de votre mauvaise foi :
– Vous écrivez : « la représentation d’une violence est violente – à construire, à recevoir : ne confondons pas ce geste (mettre en scène la violence, regarder la figure ainsi produite) avec la violence elle-même ». Tout en disant qu’il ne faut pas confondre la mise en scène de la violence et la violence elle-même, vous semblez reconnaître que « la représentation d’une violence est violente – à construire », donc que la représentation de la violence implique nécessairement de la violence. Par conséquent, vous souscrivez bien au même présupposé réactionnaire que Rauger/Neuhoff : il est impossible de mettre en scène la violence sans être soi-même violent. Vous considérez nécessaire ce qui ne l’est pas et justifiez donc en la naturalisant cette violence.
Si cela ne vous semble pas aberrant, renoncez à toute perspective progressiste et à lutter pour l’émancipation. Convertissez-vous, par exemple, au trumpisme, c’est à la mode.
Comme quoi on peut ne pas être puritain (voire être soi-disant libertaire) et être foncièrement réactionnaire.– Je ne confonds pas le viol avec la représentation du viol (merci de ne pas me prendre pour une idiote), je vous dis simplement que Bertolucci a abusé de son pouvoir pour réaliser cette scène. Si vous niez cet abus (bien documenté), je ne peux rien pour vous. Mais de grâce cessez de vous dire féministe.
En outre, ce déni explique très bien ce que je relevais plus haut. En effet, en niant l’abus dont fut victime Maria Schneider, vous n’avez plus d’autre choix que de vous réfugier dans une forme d’abstraction métaphysique (« la représentation d’une violence est violente – à construire, à recevoir »), laquelle, encore une fois, est bien commode pour justifier en les naturalisant tous les abus de pouvoir.– Je ne suis pas obsédée par cette scène de viol, laquelle ne présente à mes yeux aucun intérêt : que dit-elle si ce n’est que le personnage de Brando est un ouin-ouin brutal, et narcissique ? C’est vous et vos collègues qui êtes intéressés par cette scène au point d’y consacrer une partie non négligeable de l’émission. Inversion classique et mesquine quand on est, comme vous, à court d’arguments.
– J’en profite pour dire que le film est effectivement très beau (belles lumières, beaux plans : c’est beau quoi ! Et ça justifie tout, n’est-ce pas ?), mais que la mise en scène est aussi geignarde et grandiloquente que Brando lui-même. On est vraiment en plein male gaze. En cela, le film est absolument conforme à la production cinématographique de son époque.
Le film est bien pervers, mais d’une perversité tout à fait banale et normalisée (qui ne fait donc jouir que les misogynes et certaines femmes non émancipées le sont hélas) comme le management toxique ne fait jouir que les chef(fe)s et ceux qui rêvent de l’être.
Mais, après tout on a les jouissances qu’on peut, c’est-à-dire proportionnelles au degré de puissance (au sens spinoziste du terme) qu’on a. J’ose donc : ce film est aussi impuissant que son réalisateur, c’est pourquoi tous deux (le film et le réalisateur – je confonds l’œuvre et l’artiste : sacrilège !) compensent cette impuissance en abusant (violence du réalisateur, grandiloquence poussive et funeste du film).
Vous devriez vraiment relire Lordon ou Spinoza. Ça aide à voir et à sentir.
Si vous trouvez que ce film sinistre peut contribuer un tout petit peu à émanciper qui que ce soit, je vais commencer à penser que vous êtes profondément désespérée.– Que les puritains aient voulu censurer le film pour de très mauvaises raisons ne signifie pas que toute critique du film soit puritaine : je ne le suis pas et ne désire absolument pas que ce film soit interdit ou censuré (je ne veux la censure d’aucun film d’ailleurs). Mais, il est vrai qu’il est plus simple de contredire les adversaires qu’on s’invente.
On continuera à promouvoir la culture du viol tant que les viols existeront. C’est donc d’abord avec la violence patriarcale qu’il faut en finir et cela passe (même si cela évidemment ne suffit pas) par prendre conscience des formes symboliques qu’elle revêt et que vous ne semblez pas percevoir. Ce film doit donc être analysé comme un cas d’école du sexisme ordinaire dans la société (comme dans l’art qui n’échappe pas et ne peut échapper aux déterminations sociales – c’est là sans doute que se situe votre romantisme désespéré) et non censuré.4) Ce qui relève de l’argument d’autorité et donc d’une certaine incurie intellectuelle.
Que Burdeau ait apprécié cette émission ne signifie pas que cette émission soit formidable, cela témoigne seulement de son inconséquence (conséquence sans doute d’un vieux fond misogyne, sinon pourquoi ne pas voir ce qui est ?).Dernier point : il est évidemment dans votre intérêt de défendre cette émission (et il est probable d’ailleurs que ce seul fait explique votre mauvaise foi). Mais cet intérêt est, comme j’ai essayé de le démontrer, tout à fait contradictoire avec les intérêts des femmes, actrices ou non. Puissiez-vous un jour le reconnaître et choisir en toute connaissance de cause votre camp.
Je vous remercie pour votre réponse Murielle Joudet.
Je concède que mon ton est acerbe (vous savez l’être vous-même), mais je ne cherche ni à dispenser des leçons ni à avoir raison. Je combats simplement de façon analytique les soubassements réactionnaires et misogynes des propos tenus dans cette émission. C’est de l’analyse politique.
Je pense qu’une victime est victime parce qu’une violence objective s’exerce sur elle et non parce qu’elle est faible. On peut donc être une victime tout en étant forte. Ou dit autrement : je ne réduis pas Maria Schneider à sa position de victime, je me contente de reconnaître la réalité : elle est victime et, par ailleurs, elle est forte, mais forte ou puissante, on l’est toujours plus moins, tout dépend du degré des possibilités réelles (intellectuelles et matérielles) que l’on a de pouvoir l’exercer.
Vous, vous pensez qu’il suffit d’être forte pour ne pas être victime, puisque vous soutenez l’idée que «Maria Schneider est plus forte que tous les pièges que lui tend Bertolucci ». Autrement dit, si je vous suis bien, quand on est fort, on n’est pas vraiment victime, quand on est faible en revanche, on l’est. Ce qui revient alors à dire, par une inversion totale de la réalité des choses, que la victime est essentiellement victime parce qu’elle est faible.
Le fait d’être victime ne serait donc pas l’effet réel d’un rapport de domination dont la responsabilité incomberait à l’auteur des violences, mais la conséquence d’une défaillance dont l’être de la victime serait lui-même affecté. C’est bien ainsi que pensent les bourreaux.
Et être du côté des bourreaux et le revendiquer, ça s’appelle kiffer l’ordre social tel qu’il est, ça s’appelle être de droite, c’est-à-dire être du bon côté de l’histoire, celui des vainqueurs. Ça signifie aussi dépolitiser les enjeux esthétiques.
Je me demande donc où est votre prétendue indépendance ? Comme quoi il ne suffit pas de travailler dans un média indépendant pour l’être, et, par ailleurs, on aimerait que dans ce média « indépendant » on lise avec bonne foi les abonnés, mais peut-être que vous n’attendez d’eux que des commentaires louangeurs comme sur Instagram. Il serait bon que, de temps en temps, vous preniez au sérieux le sens des mots : quand on se prétend indépendant, on agit comme tel et on n’attend pas des «spectateurs» qu’ils se comportent comme des courtisans. Bref, on respecte ses abonnés, lesquels, qui, plus est, vous filent un peu de fric tous les mois et ont le culot de prendre au mot l’ambition de ces entretiens critiques: donner des armes pour s’émanciper (certes, Muriel Joudet, l’émancipation, m’écrivez-vous, ne vous intéresse pas, ou ne vous excite pas : dont acte.).
Mais j’en reviens à Maria Schneider. Si vous reconnaissiez à cette actrice une vraie puissance, vous n’auriez pas besoin de minimiser sa souffrance. Non, Maria Schneider n’a pas pu déjouer les plans de Bertolucci car elle n’en avait pas les moyens (elle le dit elle-même, encore faut-il savoir l’entendre). Et cela ne veut pas dire qu’elle n’était pas forte et bonne actrice, cela veut dire qu’elle était objectivement piégée.
J’insiste : on peut être forte et être une victime. Le reconnaître, c’est être plus puissante encore, car alors on sait distinguer la puissance que l’on a de la force (la violence) qui s’exerce sur nous. Cela évite de retourner la violence des bourreaux contre soi et d’avoir des fantasmes moisis en pensant que les assumer est subversif alors qu’ils sont l’effet de la domination.
Cela permet aussi de savoir où est réellement sa force et non pas de se croire pourvue d’une force qui vous protègerait de la violence réellement subie – une force imaginaire donc, de l’ordre du « même pas mal » : consolatrice certes, mais qui produit et reproduit de manière monotone toujours la même impuissance. En ce sens, contrairement à ce que vous semblez croire, la morbidité, c’est bien l’absence d’émancipation.
La vraie puissance, elle, permet de faire de bien meilleurs films que Le Dernier Tango à Paris et d’écrire de biens meilleures critiques.Je vous prie de bien vouloir accepter mes plus plates excuses Madame Bernard et je suis vraiment désolée si je vous ai offensée.
L’émission est formidable, les propos qui y sont tenus ne sont pas misogynes, la scène de viol est d’une complexité incroyable, le film est profond et passionnant, l’art sauve de tout, et vous, qui n’êtes pas puritaine et qui détestez la censure, vous qui savez argumenter plutôt que menacer, vous, vous êtes la nouvelle Judith Butler, la nouvelle Karl Marx et ma nouvelle idole.
Cette émission ne promeut en aucune manière à aucun moment la culture du viol. C’est impossible parce que c’est impossible.
Je vous souhaite une très bonne continuation Madame Bernard mais, hélas, sans l’une de vos plus fidèles abonnées. Désolée, les temps sont durs et je n’ai malheureusement plus d’argent à vous donner.Bonjour Fanny Hurel,
On ne peut pas dire qu’affirmer que l’émission et ses concepteurs/animateurs font l’apologie du viol relève de l’analyse de film. Or vous n’avez basé votre premier commentaire sur aucun élément concret. Une seule remarque, de JF Rauger, prêtait vaguement à confusion, lorsqu’il a demandé si on pouvait faire des films sans violer les acteurs, mais
1) il parlait évidemment de viol symbolique (violer l’intimité, la psyché des acteurs, ce que Brando aussi dit avoir subi pendant le tournage) et
2) Murielle Joudet a tiqué en entendant cette interrogation (qui était, je le répète, une interrogation et non une affirmation et encore moins un éloge).
Personne ne dit à aucun moment que ce que Bertolucci a fait à Schneider était louable. Et il est souligné que Schneider a non seulement souffert pendant le tournage, mais encore elle a subi à la sortie du film la misogynie crasse et le puritanisme de toute la société de l’époque.
Votre accusation était brutale, elle s’avère largement injustifiée. Quelle réponse attendiez-vous ?Réjouissez-vous cependant, Judith Bernard et Murielle Joudet vous auront au moins répondu. Moi cela fait une demi-douzaine de fois que j’envoie un commentaire, franchement enthousiaste, ou pour corriger une erreur ou encore apporter un autre angle de lecture. Je le fais toujours de façon posée, bienveillante et etayée, et pourtant jamais je n’ai eu droit à la moindre réponse d’aucun des membres de Hors série.
Il faut croire qu’ici comme à peu près partout ailleurs, la polemique fait davantage réagir que le plaisir de penser ensemble, sans hiérarchie entre les rôles et les fonctions.
C’est dommage car il me semble qu’il y avait moyen d’avancer sur ces sujets compliqués, de réfléchir notamment aux métiers du cinéma. Pour ma part je pense que Bertolucci a exercé une domination sur ses acteurs (et plus particulièrement son actrice) précisément parce qu’il ne les pas suffisamment DIRIGÉS, parce qu’il ne les a pas considérés comme de véritables travailleurs à qui l’on doit des consignes claires et des conditions de travail satisfaisantes. Ça c’est un premier point. Mais surtout que le film, dans sa facture même, en tant qu’oeuvre d’art et non plus support politique, en pâtit. C’est ce que j’esquissais dans mon commentaire. Je continuerai donc à discuter avec moi-même et on en restera collectivement à la polémique.
Bien à vous toutes.
*apologie de la CULTURE du viol.
Je corrige mon propos car il faut être honnête et précis sur ces questions. C’est bien la représentation qui pose question ici pour l’ensemble des intervenants.Merci pour votre réponse Raphaël Schneider.
Je suis abonnée à hors série depuis le tout début ou presque (décembre 2014). J’ai apprécié vos émissions, elles m’ont beaucoup appris. Néanmoins, depuis quelques temps, je trouve que certain(e)s de vos présentateurs et présentatrices comme certain(e)s de vos invité(e)s ne vont pas suffisamment au fond des choses.
D’autre part, comme beaucoup de gens, j’ai de plus en plus de mal à boucler les fins de mois et j’ai déjà dû résilier mes abonnements à certains sites et journaux. Cependant, lorsque votre site a rencontré, lui aussi, il y a quelques mois, des soucis financiers, je vous ai soutenus à la hauteur de mes moyens.
J’ai exprimé mon très vif désaccord avec les propos tenus dans votre dernière émission, donc par souci de cohérence avec mes convictions politiques autant que par nécessité économique, je fais le choix de suspendre mon abonnement et ce n’est pas de gaité de cœur.
Je ne vois pas en quoi cela serait du poujadisme (est-ce moi la commerçante ?) ou du sectarisme (soyez gentil de ne pas me confondre avec les militants en soins palliatifs de L.O. dont le sectarisme, l’anti-intellectualisme et l’absence totale d’humour sont proprement flippants).
Mais s’il vous plaît de croire que j’éprouve une quelconque jouissance à résilier mon abonnement, libre à vous. Chacun en jugera.
J’y pense tout de même : le poujadisme et le sectarisme, ne sont-ce pas les reproches que toute la bourgeoisie adresse à LFI ? Je n’en conclus rien, mais attention à l’embourgeoisement Raphaël Schneider et Judith Bernard : on finit par croire que ne plus donner quelques euros par mois à un site indépendant notamment par manque d’argent est mesquin.
Je vous remercie, néanmoins, très vivement, pour ces dix années passées en votre compagnie.
Je remercie plus particulièrement toutes les personnes qui ont participé à vos émissions d’une grande qualité consacrées à Karl Marx
Je tiens aussi à préciser que je trouve souvent les critiques de Murielle Joudet pertinentes.
Je regrette donc vraiment ses points aveugles sur la question féministe : une émission « très nuancée » sur Depardieu et une émission prétendument subtile sur Bertolucci, ça commence à ressembler à une campagne anti-féministe (à moins que, et ce serait tout aussi inquiétant, vous ayez tendance, comme tout bourgeois qui se respecte, à dépolitiser les enjeux esthétiques).
On dirait vraiment Ruffin sur les questions antiracistes et je crois que vous savez avoir la dent dure sur ce personnage douteux. Ce vieux fond réactionnaire, comme j’ai tenté de l’expliquer, est aussi inconsistant sur le plan intellectuel que dangereux politiquement.Joyeux anniversaire et bonne continuation !
Ps : dernières requêtes sincères d’une féministe sectaire et d’une cliente pugnace (ou l’inverse, on s’y perd) :
– N’invitez plus Bégaudeau dont l’arrogance toute sophistique et la misogynie crasse vous déshonoreraient tout à fait.
– Il y a tant d’excellents films dont les enjeux politiques sont cruciaux, auxquels on aimerait que vous consacriez une émission : Voyage à Tokyo de Ozu, l’Intendant Sansho de Mizoguchi, Le cuirassé Potemkine d’Eisenstein, Allemagne année zéro de Rossellini, Un condamné à mort s’est échappé et l’Argent de Bresson, Mia Madre de Moretti, To be or not to be de Lubitsch, Taxi Téhéran de Jafar Panahi, Il n’y aura plus de nuit de Éléonore Weber, Le bonheur d’Agnès Varda, les films de Germaine Dulac, par exemple. Si, par hasard, l’idée vous vient de parler de l’un d’eux et si, rêvons, Macron démissionne, LFI gagne les élections présidentielles et qu’ainsi mes finances s’améliorent, alors qui sait, peut-être serai-je une ex-future abonnée de hors série (les ex-futurs sont à la mode à en croire la prolifération préoccupante des François (Hollande,Bayrou…)).Les témoignages de ces actrices et les larmes de Sarah Legrain ne devraient pas vous émouvoir. Ils sont pourtant accablants pour Bonnaud et Rauger. Vous soutenez vraiment sans la moindre honte ces gens Hors série ?
Vous avez perdu toute boussole et tout crédit.
https://youtu.be/bb9f6npOTwg?si=PJOBAm0PhVr6YyiCFilm vu jadis et aimé … Maria Schneider était parfaite, de même Marlon Brando.
Les temps changent … et une certaine morale couvre de sa chape de plomb l’époque qu’on vit, laquelle, par contre, filme les morts sans prévention et sans réserve, en tout cynisme et toute amnésie.
J’aime vos émissions.
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