Voyage de classes

avec Nicolas JOUNIN
publiée le
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animée par Judith BERNARD

Des ghettos du gotha, on sait ce que les Pinçon-Charlot nous en ont appris : ces milieux hyper privilégiés cultivent un sens de l’entre-soi et du réseau qui en fait le seul groupe social réellement doté d’une « conscience de classe ». Même s’il n’y a pas de murs d’enceinte autour de leurs quartiers de vie, ils se sont bâti des forteresses symboliques où l’on ne pénètre pas sans avoir le sentiment de sa foncière illégitimité. C’est pourtant à cette incursion transgressive que Nicolas Jounin a invité ses étudiants en sociologie.

Quelques stations de métro séparent l’université de Paris 8 (Saint-Denis) où ces jeunes font leur formation, du 8ème arrondissement, où évolue une classe immensément fortunée qu’il s’agissait de découvrir, d’observer et même d’interroger, dans des enquêtes en face à face. Il a fallu bien de l’audace et de la bravoure à ces étudiants (pour la plupart issus de milieux très modestes, et très souvent de l’immigration), pour oser ces gestes pourtant parfaitement légaux : entrer dans les boutiques de l’avenue Montaigne, s’installer au Plaza Athénée, solliciter un entretien avec un aristocrate pur jus dans son hôtel particulier (dont chaque meuble coûte une fortune et raconte une histoire longue de plusieurs siècles…). Ils l’ont fait. Ils ont beaucoup appris – d’abord la méthode de l’enquête sociologique, qui était l’objet premier de leur apprentissage, mais aussi la « violence symbolique », l’art d’y faire face avec dignité, et pourquoi pas de la subvertir ou de la nier purement et simplement – car Nicolas Jounin a quelques comptes à régler avec cette notion bourdieusienne dont les principes ne lui semblent pas toujours bien établis.

De cette expérience pédagogique – et aussi, forcément, politique – inédite et singulière, il a ramené un récit passionnant : Voyage de classes, Des étudiants de Saint-Denis enquêtent dans les beaux quartiers. Tout le charme de l’enquête tient dans ses rapports délicats avec la littérature : il y a quelque chose de la petite musique pamphlétaire des Lettres Persanes, où Usbek et Rica, venus de Perse, découvraient les mœurs de la France de Louis XIV avec un regard d’autant plus aiguisé qu’il était « candide », et où ils étaient regardés eux-mêmes comme des animaux exotiques. Il y a les émotions poignantes de Martin Eden, de Jack London, dans les témoignages de leur malaise physique quand il s’agit de prendre place dans des décors conçus pour vous écraser de leur faste… Mais c’est le regard de Fatoumata, de Yasmine ou de Minh Thu, c’est le regard de la jeunesse populaire d’aujourd’hui sur un monde qui prétend être en « crise économique » au cœur d’une enclave qui y échappe manifestement complètement. Et c’est le travail d’un enseignant-chercheur décidé à proposer une forme de pédagogie « engagée », qui ne craint pas d’affronter la violence du monde social, et explore, modestement mais scrupuleusement, les voies d’une émancipation possible.

Judith BERNARD

Durée 78 min.

4 réponses à “Voyage de classes”

  1. Rene Zaslawsky

    Très intéressant. Ce qui me frappe c’est que des étudiants ne possèdent pas un abonnement de métro – bus qui leur permette de se rendre dans l’entier de la capitale et de ses environs. L’abonnement cree le ghetto. Je trouve que l’université devrait mettre à la disposition de l’ensemble de ses étudiants un abonnement général métro bus ter afin de leur donner un accès facilité sans restriction de la ville région.
    Ce serait bien le moins que puisse décider un gouvernement de gauche.
    Bien à vous

  2. Papriko

    @ morvandioux, @ Cazadxou : les « événements » que vous imaginez s’appellent des « manifestations ».
    Même si ce n’est pas comme cela que vous les imaginez, c’est ainsi que les verrait la Préfecture de police. Or, on ne peut pas organiser une manifestation (ou même un simple rassemblement) sans autorisation.
    Souvenez-vous du premier pique-nique qu’ arrêt sur images avait organisé près de la tour Montparnasse : les flics n’avaient pas tardé à débarquer. Il n’y avait pas eu de drame. Mais aujourd’hui, les choses se passeraient peut-être autrement. Car depuis cette époque (qui parait très lointaine), certains événements ont considérablement banalisé la pratique de la répression. Nous avons basculé dans une autre époque et dans un autre monde. Le mouvement « Je suis Charlie » est un des marqueurs de ce chamboulement, qui a vu l’approbation par nos concitoyens de l’assassinat délibéré de notre vieille connaissance La Bonne Franquette. Beaucoup d’entre nous n’en ont pas encore bien pris conscience.

  3. Papriko

    Quote (Gynko) : « il faut prendre ce que le monsieur dit dans les liens que j’ai postés précédemment avec des pincettes »

    Ne vous n’excusez pas, Gynko : personne n’aurait regardé des vidéos longues de 28mn,43s et 2h,17mn,14s.
    Personne ! N’ayez crainte. :o)
    On a déjà bien du mal à visionner toutes les productions de Hors-Série et d’Arrêt sur images…

  4. Georgina Meliot_1

    Merci à Nicolas Jounin et à Vous Judith pour cette analyse d’un ouvrage qui pour moi est une pépite que je cours acquérir de ce pas !!!

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