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Vaincre Macron

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Vaincre Macron, c’est un ambitieux programme – mais qui a le mérite d’être d’une urgente actualité. A l’heure où les mouvements sociaux reprennent le devant de la scène pour tenter de contrer l’infernal train de « réformes » que le gouvernement macroniste entreprend de nous infliger, il importe de réarmer nos luttes pour sortir de la logique de défaite où se trouve piégée la contestation des travailleurs depuis plusieurs décennies. Ces défaites ne sont pas exclusivement le fait de la puissance et de la détermination du capitalisme à réduire tout ce qui lui fait obstacle ; elles résultent également d’une grande faiblesse stratégique dans le camp de la résistance à la « réforme », qui, en se victimisant, s’est mis à penser dans la langue de son adversaire. Bernard Friot est sur ce point intraitable – et particulièrement convaincant : il est urgent de changer de stratégie. Urgent par exemple, d’arrêter de réclamer un meilleur « partage » de la valeur, urgent de ne plus vouloir « une plus grosse part du gâteau ». S’agissant de gâteaux, il faut changer de braquet : on ne veut pas « une plus grosse part ». On veut la maîtrise de la boulangerie.
Il ne faut donc pas se contenter de revendiquer « des emplois » – s’ils ne sont que le dispositif par où nous fabriquons nos propres chaînes. En faisant de l’emploi valorisant du capital l’alpha et l’oméga de la production de la valeur et de l’accès au droit du travail, le capitalisme non seulement a verrouillé un système dont le capital sort forcément gagnant, mais il nous a imposé une manière de penser la production qui alimente les peurs xénophobes et racistes ; car les emplois sont nécessairement en nombre limité, nous incitant à nous représenter la production de valeur comme ce fâmeux « gâteau » qu’il faudrait se « partager » – et face auquel il vaut mieux ne pas être trop nombreux : dehors donc, les mangeurs surnuméraires !
C’est une véritable religion capitaliste qui a colonisé nos esprits : on nous a convaincus que la retraite était un repos mérité au titre des années passées dans l’emploi (« j’ai cotisé, j’ai droit »), on nous a convaincus qu’avec les chômeurs, les handicapés, les jeunes, il fallait être « solidaires » en proposant des minima sociaux ou des aides à l’insertion dans l’emploi comme autant d’aumones octroyées à des « improductifs ». Penser et dire les choses comme ça, c’est rêver dans la langue capitaliste – c’est avoir perdu, sur toute la ligne.
Les retraités, les chômeurs, les jeunes, les parents ne sont pas improductifs ; ils produisent de la valeur hors de l’emploi et cela doit être reconnu par un salaire. Utopique ? Déjà là, répond Friot. Les retraités de la fonction publique sont en salaire continué, rémunérés à la hauteur de leur grade, c’est à dire de leur qualification, qui ne dépend pas des emplois qu’ils ont pu occuper. Les allocations familiales ont été initialement conçues et calculées comme du salaire (à partir du taux horaire d’un ouvrier spécialisé de la métallurgie) : élever des enfants c’est du travail, ça produit de la valeur, c’est rémunéré en salaire. Les indemnités de chômage ont été initialement conçues comme du salaire versé hors de l’emploi et non pas comme une allocation de ressources pour subvenir à des besoins. Toutes ces institutions initiales, forgées dans leur principe sinon dans les faits en 1946, que le régime général de la sécurité sociale résume et cristallise, ce sont des institutions communistes de la production, qui arrachent la valeur au capitalisme pour en rendre la maîtrise aux travailleurs – tous les travailleurs, qu’ils soient dans l’emploi ou hors de l’emploi, et qui doivent tous être reconnus comme producteurs de valeur économique.
Depuis, bien sûr, la contre-révolution du capitalisme n’en finit pas de tenter de démanteler cette offensive particulièrement subversive, et Macron est le dernier avatar de cette Réaction bourgeoise qui prétend défaire tout ce que les luttes des travailleurs ont fait. Mais pour le vaincre, il faut cesser de penser dans la langue du monde qu’il veut imposer ; il est urgent de devenir autonomes dans nos manières de penser, de dire, d’agir et de lutter – car l’autonomie, c’est le principe même de la souveraineté populaire qu’il s’agit de reconquérir sur le travail, la valeur et la production.
Judith BERNARD
14 réponses à “Vaincre Macron”
j’ai pas tout compris mais cela semble passionnant donc à lire son livre
Que cet homme nous fait du bien ! Serions-nous apte à le lui rendre un peu ?
C’est quand même autre chose que l’invité de la semaine dernière, qui est tout à fait respectable ceci étant.Merci à Bernard Friot pour ce superbe plaidoyer. Je m’empresse d’acheter votre livre ! Merci également à Judith Bernard, pour la qualité de cet entretien, sans aucun doute parmi les meilleurs que vous avez menés. Heureux d’avoir renouvelé mon abonnement à Hors Série !!!
Merci Judith Bernard pour cet entretien.
Difficile au terme de cette discutions d’imaginer le chemin politique qui pourrait en découler.
Les concepts sont parfois difficiles à bien comprendre.Ayant dirigé une petite entreprise, c’est vrai que l’endettement fait partie du « standard » pour ne pas dire du catéchisme. Les capitaux propres servent aux dépenses d’exploitation et l’investissement est financé par l’emprunt.
C’est un moyen d’asservissement redoutable. En effet dans beaucoup de PME les emprunts sont, en plus, garantis sur les biens propres (logement familial en particulier).
Dans la démonstration, de B. Friot, je n’ai pas compris comment la PME finance ses investissements. Y aurait-il une banque publique d’investissement qui assurerait le financement avec une contrepartie de copropriété par exemple?
L’explication de l’endettement des services publics à des fins de propagande, pour en dénigrer l’efficacité, et dont la finalité est la privatisation à moindre coût, s’applique à tous les grands services publics, de la SNCF, la santé, l’eau, l’électricité etc…
En celà l’Europe, telle qu’elle fonctionne, est un obstacle qui n’a pas été évoqué.Je me permet d’esquisser une réponse pour Dominique LAB:
Il faudrait un système socialisé des investissements, plutôt décentralisé et Démocratique, à différente échelle de subsidiarité pour permettre de financer des investissements locaux, régionaux, et nationaux. Il serait adossé sur une caisse qui collecterait nos cotisations « subvention ». Nous pouvons d’ores et déjà mutualiser une part de notre production à cet effet et ce que propose de concret bernard dans l’entretien, c’est d’assurer la compensation de l’augmentation des cotisations par le non remboursement des dettes. Mener la lutte quoi, car ce sera plus conflictuel que les manifs’ avec ou sans cortège de tête…
Nous ne maitriserons pas notre production sans en être propriétaire: il nous faut maitriser à la fois la création monétaire et l’attribution des subventions. L’avantage non négligeable d’une subvention, c’est qu’elle se rembourse d’elle même et sans intérêt…
Pour poursuivre: http://www.reseau-salariat.info/319aa12c81782b4386716c260b4a8ea0.pdf?revision=1472763848&lang=frHautement intéressant… mais, comme souvent avec Friot, hautement incompréhensible pour moi. J’ai l’impression qu’il faudrait que je découpe l’émission par petits bouts, à regarder plusieurs fois, que je couche sur papier les formulations pour tenter d’approcher les tenants et les aboutissants. J’avais lu L’Enjeu des retraites et wahou c’était difficile (à côté, Capitalisme, désir et servitude de Lordon m’était apparu limpide). Et pourtant je sens bien qu’il y a un réel enjeu pour moi, d’autant plus en voyant l’enthousiasme communicatif de Judith. Mais j’ai bien compris le conseil : la lecture de Vaincre Macron sera sans doute plus claire qu’un exposé orale 😉
@Judith :
Pas toujours simple de voir Amargi, mais n’est-il possible d’avoir accès au texte de la pièce (j’imagine qu’il y a peut-être des contraintes, de questions de droit d’auteur…) ?@damien
Ne pas hésiter non plus à visionner des heures de conférences. Puis recommencer.Exceptionnel de densité digeste, comme le précédent entretien. Pour avoir découvert la pensée de B. Friot il y a 4 ans, d’abord hostile, puis perplexe, puis curieux et enfin demandeur et carrément promoteur, j’engage les abonnés (et les autres) à lire « l enjeu du salaire » et « emanciper le travail », et à visionner tous les youtube de B. Friot.
Friot le décodeur humaniste du déjà-là, Lordon et les concepts spinozistes d’affects, bourdieu et le structuralisme : tous se retrouvent et – selon ma propre expérience – raisonnent dans leurs champs respectifs au fil des écrits et la pensée de Laborit le « pluridisciplinaire » que j’espère voir (en montage ou dans le texte) sur hors-série un jour.
Merci Judith, l’aventure et le dévoilement continuent !Note sur le début de l’entretien : j’apprécie beaucoup Friot, mais je pense qu’il se trompe en amalgamant les communs et le communisme, pour dire en quelque sorte qu’il s’agit d’une forme d’euphémisation. Les communs ne sont pas un mouvement politique d’abolition de l’état et de la propriété lucrative des moyens de productions. Ce sont des formes d’organisations originales qui peuvent s’insérer dans une conception communiste de la production de valeur (les soviets ou la gestion de la Sécurité Sociale entre 46 et 62 sont des communs communistes), mais elles gardent leur autonomie par rapport à l’hypothèse communiste qui utilise un modèle d’organisation politique bien plus précis et politique. Ou alors on parle d’une forme de communisme fondamental pré-marxiste ? Ce serait absurde, cela serait vider la substance politique du communisme. Un commun c’est une ressource en accès libre gérée collectivement par les personnes associées dans le partage de cette ressource à travers un réseau de faisceaux de droits d’usages et une gouvernance démocratique. Le grand théoricien des communs n’est pas Marx, c’est une femme du nom d’Elinor Ostrom. Wikipédia en est commun, mais ça n’en fait pas une institution communiste ou révolutionnaire. Être communiste n’est pas une honte, je n’en suis pas un pour ma part car je ne crois pas au dépérissement de l’état ni à la socialisation totale de la valeur à travers des institutions révolutionnaires, mais ça n’est pas non plus l’alpha des thèses émancipatrices.
Le modèle de paire à paire défini par Bauwens (ça serait bien d’avoir un Aux Ressources par ailleurs là dessus) n’est pas spécifiquement communiste. Bien qu’il en reprenne les intuitions fondamentales, on est dans un modèle où l’état et le marché ont une place bien spécifique. Bon à part ça, Friot Passionnant !
Pour Paul Balmet, mais peut etre déjà connu: une rencontre entre Bauwens et Friot
https://youtu.be/N6gS5tFiUGQJe ne comprends pas grand chose au laïus de Friot, que je trouve trop abstrait. Je ne saurais pas illustrer cette opinion par des exemples, car je n’arrive pas à entrer dans son discours hyper rébarbatif. J’avoue tranquillement que je n’ai aucune envie de visionner trois fois l’interview et me défoncer pour essayer de comprendre une personne qui ne fait rien pour être compréhensible. Friot me parait être typiquement un intellectuel qui se gargarise de son discours en oubliant son public.
Je crois avoir compris – j’espère me tromper – qu’il se refuse à donner des solutions trop concrètes aux problèmes qu’il évoque, ce qui me parait plutôt cavalier.
Ce bonhomme parle assez souvent des « travailleurs ». Ne devrait-il pas se sentir tenu d’utiliser un langage que ces travailleurs soient en mesure de comprendre ? Mais que doit-on attendre de quelqu’un qui souhaite que nos dirigeants ne soient plus élus mais tirés au sort, leur incompétence étant compensée par le fait qu’ils seront inspirés par des « conseillers ». Le terme de « conseiller » n’est probablement celui qu’il emploie. j’ai oublié le terme exact ; tout comme j’ai oublié de quelle façon il envisage que ces conseillers seront choisis, puisque, si j’ai bien suivi, le principe même du choix est à écarter. Certaines mauvaises langues ne vont-elles pas dire qu’il songe simplement à remplacer les politiciens de métier par … des intellectuels de métier ?génial!
En plus du plaisir à vous écouter, une bonne surprise m’a cueilli: à l’époque, j’avais découvert l’article de Danielle Linhart dont la conclusion m’avait consterné au point de lui écrire au Diplo… Heureux de voir maintenant que je n’étais pas le seul à être étonné. Pour la petite histoire, Danielle Linhart m’avait appelé au téléphone pour convenir que, de fait, on pouvait considérer que le statut de fonctionnaire constituait bien un prémice de ce qu’elle appelait fort justement de ses voeux.
Merci j’en redemande!Je suis un inconditionnel convaincu des analyses et prospectives de Bernard Friot… C’est un enrichissement d’entendre ses rappels historiques. Mais il déplore lui-même de ne pas arriver à toucher suffisemment les minorités visibles. Je vis en Guadeloupe, cette situation me donne un regard particulier et je pense que la stratégie qui consiste à présenter le Capitalisme comme un progrès par rapport à la féodalité est inaudible pour les descendants de peuples colonisés. Ici (aux Antilles) le passé c’est le commerce triangulaire, que moi j’envisage comme un premier triomphe du capitalisme antérieur à celui décrit par Marx… il en possède toutes les caractéristiques (rôles de la propriété lucrative, du crédit…) et chez lui le marché du travail se réalise dans le cours du bossale descendant du navire de traite… Le Capitalisme n’a jamais cherché qu’à soumettre les travailleurs, y compris à travers l’esclavage… Suggérer qu’il ait pu libérer les peuples du joug féodal est à mon humble avis une erreur de présentation.
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