Les Super-héros

avec William BLANC
publiée le
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animée par Louisa YOUSFI

Les super-héros votent-ils à gauche ? À vue de nez, on aurait plutôt tendance à penser le contraire. Chargés de porter à eux seuls le sort du monde sur leurs épaules d’élus bodybuildés, traquant sans répit le moindre petit bandit de rue qui menacerait « l’ordre » et la « paix », portant volontiers main forte à l’armée, à la police et au gouvernement américain, les super-héros ne semblent pas vraiment porter en eux la promesse du Grand Soir. Et pourtant… de quel naïf raccourci les esprits peu familiers du genre se rendraient ainsi coupables !

En effet, pour saisir toute l’ampleur du succès des super-héros dans la culture populaire, il faut se plonger dans la longue histoire qui les a vus naître, il y a déjà 80 années. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le contexte dans lequel nos légendaires encagoulés font leurs premiers pas est peu banal. Nous sommes en 1938, à la veille de la Seconde Guerre mondiale : deux fils d’immigrés juifs installés aux États-Unis, – Jerry Siegel et Joe Shuster–, conçoivent le premier super-héros de l’histoire : Superman. Sa mission : combattre les forces du Mal. Le ton est donné. La bête immonde clairement désignée. Scellant ainsi dès l’origine le destin du super-héros au destin des humains, une nouvelle mythologie polychromée va se déployer à travers les époques, multipliant ses personnages et ses intrigues, irriguant d’une imagination inépuisable les récits alternatifs de la Modernité.

D’abord viscéralement empreints des valeurs progressistes et d’une foi inébranlable au progrès technologique et scientifique promis par la Modernité, les super-héros vont se confronter aux désillusions successives du modèle occidental. Crise économique, guerres impérialistes, inégalités sociales, discriminations des minorités ethniques, menace nucléaire, réchauffement climatique… chaque génération de super-héros se voit alors confier la responsabilité des problèmes de son époque… proportionnellement à l’impuissance que nous éprouvons à les résoudre nous-mêmes. C’est donc en tant que projection inversée de nos propres faiblesses, lâchetés, et erreurs que le super-héros est autorisé à jouir de ces fameux super-pouvoirs que nous faisons mine d’envier. Version empowermentée de nous-mêmes, le super-héros nous raconte en filigrane le drame du pouvoir moderne.

Au seuil d’une crise mondiale de tous les ordres, que faire désormais de tout ce « progrès » dont on s’enorgueillissait au siècle dernier ? Ni fondamentalement à gauche ni fondamentalement à droite, le super-héros est ainsi une figure allégorique du pouvoir et en mime l’impressionnante élasticité : le pouvoir institutionnalisé, le pouvoir des États, de l’industrie, des multinationales, mais – plus intéressant encore – le pouvoir au sens large, celui que les luttes sociales sont parvenues à maltraiter, défigurer et parfois même à incarner au gré des bouleversements des rapports de force au sein des sociétés modernes. Ainsi, comme l’écrit notre invité William Blanc, historien et auteur du livre Super-héros, une histoire politique (Libertalia, 2018) : Captain America a combattu le fascisme avant l’entrée en guerre des États-Unis, Wonder Woman a vu l’élection d’une femme présidente, Green Arrow a soutenu des grèves de mineurs, la Panthère noire a mis en échec le Klan, Namor a défendu les océans et le tiers-monde, Howard the Duck a voulu s’installer à la Maison Blanche, Northstar a affirmé publiquement son homosexualité et Luke Cage a rappelé que les vies noires comptaient. Quid des millions de vies musulmanes frappées par une islamophobie rampante ? Un jour, leur super-héros viendra… qui sait?

Voici donc une pop’exégèse de la fresque humaine esquissée à coup de crayons de couleurs et propulsée au rang de machine à fric par Hollywood à laquelle Rafik Djoumi et William Blanc se sont joyeusement livrés sous mes yeux de néophyte ébahie. Bien entendu, avec plusieurs milliers de super-héros au compteur, on n’a pas abordé la moitié du quart du sujet et il est même probable qu’on ait omis d’évoquer votre super-héros préféré. Qu’à cela ne tienne ! Avec un univers aussi riche que celui du super-héros, on aura certainement l’occasion d’y revenir dans d’autres émissions du samedi. Vous connaissez le refrain n’est-ce pas ? Same bat-time, same bat-channel !

Louisa YOUSFI

Durée 112 min.

2 réponses à “Les Super-héros”

  1. JR

    Je n’ai pas encore regardé l’émission mais votre commentaire d’introduction me choque.
    La question n’est pas de savoir si les super héros sont de droite ou de gauche. Mais quelle idéologie ça trimbale.
    Toujours la même : le désordre est rétabli, le méchant puni ou mort, l’autorité reste en place et tout cela grâce à UN INDIVIDU! Jamais d’action collective, le commun des mortels est une victime permanente, impuissante et totalement passive, incapable de s’unir pour surmonter le trouble; l’archétype est Batman: un super héros bourré aux as qui sauve Gotham City d’un fléau dont le populaire n’a pas idée et qu’il serait incapable de combattre tellement il est nul (on dirait ce peuple là, si ignoré, directement sorti de la tête d’un Macron…ou n’est-ce pas plutôt Batman qui préside à la pensée politique d’un Macron?). Gotham city n’existe qu’au travers de ses immeubles et sculptures gigantesques (qui ne sont pas sans rappeler les délires totalitaires du XXème siècle),mais la ville est vide hormis les représentants de l’oligarchie à laquelle Wayne appartient,son double Batman donc , quelques pauvres flics honnêtes mais impuissants, ou d’autres corrompus, la pègre qui fourni les hommes de main du diabolique ennemi inventé pour l’épisode, et ce dernier bien entendu! De plus les super héros ne savent régler les conflits qu’avec leurs poings, au mépris de toute règle qui pourrait faire prévaloir l’absence de violence préalablement à toute action visant à empêcher les agissements criminels.. Ça c’est bon pour les quidams comme vous et moi!
    Ainsi faire régner la justice par soi-même,essentiellement par les poings en cognant comme une brute(des coups si puissants faisant si peu d’effets,ne banalise-t-on pas le règlement des conflits réels à coups de poings – insignifiants au regard des coups que se donnent et se prennent nos super héros?),in fine protéger et préserver l’ordre (le pouvoir en place: même si il peut y avoir quelques flics véreux il est curieux que les malfaiteurs ne soient que rarement issus des corps constitués tels que l’armée)trimbale quel idéologie? …Celle d’une Amérique de l’individualisme, de la conservation des élites en place (aucune Révolution, aucun renversement politique ne sont au programme; quand le peuple se manifeste c’est manipulé par le « méchant »; pas de remise en cause du capitalisme (sinon quelques types cupides issues de la pègre, jamais des « cols blancs ») ni de la compétitivité (le super héros n’est-il pas le meilleur donc nécessairement le premier: un as,the number one!). Belle idéologie à côté de laquelle vous semblez passé, involontairement, j’espère.

  2. Daniel Ristic

    Une super émission qui apporte toute la nuance et la complexité nécessaire à un sujet qui vu de l’extérieur peut paraître simpliste, spécialement si on n’est familiers des super héros qu’à travers leurs adaptations cinématographiques parfois pas très inspirées.

    La bande dessinée est pour certains une sous culture qui recycle des vieux mythes en leur donnant le vernis de la modernité, mais elle part en fait des mythes classiques et les dépasse pour leur donner une résonance actuelle, ce que les originaux vieux de milliers d’années sont bien incapables de faire. Pour s’en convaincre il suffit de lire Watchmen ou V pour Vendetta qui ont aujourd’hui peut être encore plus d’à propos qu’à l’époque où ils sont sortis, et même des oeuvres considérées comme destinées à un public enfantin comme La jeunesse de Picsou de Don Rosa, explorent et questionnent les mythes fondateurs des états unis et de la vison fantasmée du rêve américain et ont plus de profondeur que le dernier bouquin de Michel Onfray (qui répète à chaque occasion son mépris de culture populaire qu’il qualifie de sous culture).

    Vivement le prochain Dans le Mythe qui est devenu mon émission favorite de tout ce que propose hors série !

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