Etre ou ne pas être anticapitaliste ?

avec Bernard FRIOT, Thomas PORCHER
publiée le
animée par Judith BERNARD

DÉCOUPAGE DE L’ÉMISSION EN FIN D’ARTICLE !

Au moment où surgit à gauche de la scène politique un nouveau mouvement, Place Publique, animé notamment par Raphaël Glucksmann et Thomas Porcher, le paysage de notre dispersion se fait plus flagrant que jamais. Cette nouvelle formation politique, aussitôt accueillie par l’enthousiasme de 10 000 adhérents, de plus de 700 participants réunis jeudi soir à Montreuil pour son premier meeting – et par la colère ou la perplexité de tous ceux qui s’identifient à d’autres mouvances de gauche – approfondit-elle l’atomisation de la gauche qu’elle prétend justement résorber ? Que faut-il penser de cette tendance séculaire de la gauche à multiplier les partis, mouvements, groupes et groupuscules, si souvent moquée par nos adversaires, qui ne se privent pas d’en profiter à chaque scrutin électoral où leur discipline collective leur épargne les défaites que nous encaissons ?

Peut-être l’esprit critique est-il à gauche plus vigoureux, poussant chacun à être rigoureusement intraitable sur tel ou tel aspect programmatique – souverainisme ou internationalisme ? Universalisme ou représentation différenciée des minorités ? Poser ces questions, parmi d’autres, à gauche, c’est s’assurer de foutre un joli bordel dont on ne sortira pas sans égratignure, et l’âme navrée par la profondeur des abîmes qui nous divisent. Or parmi ces lignes de fracture, il y a la question du rapport que nous entretenons avec le capital et le capitalisme : faut-il l’amender, le subvertir de l’intérieur ou le renverser tout entier ? A quoi donc la gauche doit-elle œuvrer : restaurer un capitalisme à visage humain ou débarrasser complètement la société de la dictature du capital ? Ça fait beaucoup de questions, et la menace d’un sacré précipice.

C’est précisément sur cette ligne de fracture que j’ai voulu cheminer avec mes deux invités. Deux économistes de gauche, pour examiner à fond les questions économiques qui nous occupent : le cadre des traités de l’Union Européenne (en sortir ou pas), la question de la production (salariat et propriété des moyens de production), celle du marché (marchandises, monnaie, libre-échange), croissance ou décroissance, et enfin quelles stratégies politiques (prendre le pouvoir central ou transformer immédiatement nos pratiques et nos entreprises).

Deux économistes de gauche, disais-je, mais pas tout à fait de la même gauche : d’un côté Bernard Friot, qui se réclame très explicitement de l’alternative communiste, et de l’autre côté Thomas Porcher, qui déclare ne s’opposer qu’au capitalisme libéral, considérant que sa version keynesienne – encadrant le capital grâce à un Etat fort, à la fois social et stratège – est un modèle vertueux avec lequel il faut renouer. La discussion entre ces deux hommes est instructive : ce qui sépare ces deux économistes tient moins dans les options économiques qu’ils promeuvent (souvent à l’unisson) que dans la temporalité dans laquelle ils inscrivent leur projet : le défensif à court terme, parce que ça urge (Porcher) ou l’offensif de long terme, parce que c’est comme ça qu’on « gagne » – c’est-à-dire qu’on change le monde (Friot). Et ces deux manières de faire, au moins, ont le mérite extrêmement réconfortant de n’être pas exclusives l’une de l’autre…

Judith BERNARD

DÉCOUPAGE/CHAPITRAGE :

10:10 : Les traités de l’U.E (en sortir ou pas ?)

14:50 : Le travail : salariat et propriété des moyens de production

28:10 : Le marché, les marchandises à prix

50:48 : Productivisme, croissance, décroissance

53:50 : Crédit, dette, subvention

1:01:37 : Sécurité Sociale de l’Alimentation

1:13:46 : Politiques fiscales

1:21:19 : Stratégies politiques, alliances, partis

1:32:43 : Politique fiction : présidentielle gagnée à gauche, « le scénario d’un bras de fer ».

Durée 101 min.
  • Commentaires

6 réponses à “Etre ou ne pas être anticapitaliste ?”

  1. Jeremie Chapet

    Attention! Adam smith est ecossais pas americain.

  2. Samuel V.

    Je télécharge le son et je m’écoute ce précieux entretien très vite 🙂
    Merci encore Judith pour le super boulot !!
    héhé diffuser les idées de Bernard Friot dans les cercles de la social-démocratie, pas bête ! 😉 De toute façon c’est tellement limpide de logique quand on l’a compris que tout le monde peut être convaincu, sauf peut-être Carlos Ghosn.

    Autre entrevue superbe entre le dirigeant du PTB (belge) et un écologiste français : https://www.mediapart.fr/journal/international/141118/raoul-hedebouw-le-renouveau-de-la-gauche-belge
    Le renouveau viendrait de derrière les Ardennes ? Après ce centenaire qui oublie l’essentiel, une belle revanche géographique 🙂
    Avec ce qu’il se passe au PC en France aussi, ça fait le ménage doucement, on lit même dans des commentaires que la « parenthèse Mitterrand se refermerait »… bon gardons les pieds sur terre. Mais dans cette époque plus que sinistre un tout petit peu d’espoir est plus qu’appréciable.

    Merci.

  3. Jean-Philippe Barbier

    Un echange réellement passionnant. Des analyses très justes, des idées et des solutions concrètes qui donnent envie de (re)lire Marx, Schumpeter, Lordon, Friot… Et cette question insoutenable : « la prise de pouvoir politique, et ensuite ? » On ne peut que partager l’avis de B. Friot sur la prise de conscience indispensable des travailleurs pour mener le changement.

  4. Yann Lambert

    Merci pour cet émission qui laisse néanmoins un goût d’inachevé. C’est dommage de laisser si peu de place à la questions de la stratégie et de l’union de la gauche qui veut aménager le capitalisme avec la gauche radicale à la lumière de toutes les trahisons passées. Parce que bon tout le reste on sait déjà ( en spectateurs assidus de hors série 😉 ). Trouver un compromis acceptable entre les différentes composantes de la gauche ça par contre…

  5. Dominique L

    Je suis assez étonné de la conclusion de B. Friot et il me semble que Judith Bernard aussi..qui ne souhaite pas prendre le pouvoir. Cela expliquerait-il les rapports entre le PC et la FI?
    Bien sûr les salariés d’aujourd’hui sont formatés pour obéir mais en cas de prise de pouvoir par une vraie gauche, elle relèverait l’échine. C’est bien ce qui s’est passé en 1936 où les grèves ont contraint le gouvernement à des réformes pas prévues.

  6. Al K

    Bon, j’ai un peu l’impression que la conclusion de chacun correspond en fait à son point de départ, tel que je les connaissais (je connaissais surtout Friot). Du coup, je reste un peu sur ma faim :).

    Pour moi, la conciliation possible entre « réforme » et « révolution », elle vient justement de cette affirmation que Friot répète un peu partout que la « révolution » / dépassement du Capitalisme est un processus long, qui nécessite d’abord la conquête du pouvoir écconomique. Du coup, c’est tout à fait compatible à mon avis avec une démarche plus « réformiste » qui chercherait quand même à accéder temporairement au pouvoir étatique, sans l’ambition d’y rester bien longtemps ni de mettre fin au capitalisme durant le mandat, mais qui permettent quand même de mettre en place quelques éléments structurants pour aider à cette conquête:

    1. La mise à bat du néolibéralisme (capitalisme libéral, comme dit Thomas Porchet) avec retour à un forme de capitalisme keynésien avec une certaine dose de protectionnisme, régulation de la finance, sortie de tout un tas de traités qui vident la démocratie de sa substance. Principalement parce que la libre circulation des capitaux et la non libre circulation des personnes désavantage structurellement les travailleurs face au capital dans la répartition du fruit de leur travail. Et donc dans la conquête du pouvoir économique
    2. Il y a sans doute des lois à créer pour faciliter la création des coopératives, ou reprise d’entreprise en coopératives. Déjà, il y avait l’idée dans le programme de la FI d’un droit de préemption des travailleurs quand une entreprise est revendue. Ca semble un minimum. On pourrait même penser à ce qu’il y ai une possibilité pour les travailleurs de racheter leur entreprise sur la base de sa valeur comptable (le calcul du prix total des outils de travail) en partant du principe que l’écart entre la valeur comptable d’une entreprise et sa valeur actionnariale (sujette à la spéculation) est principalement une estimation de la qualité futur du travail des travailleurs.
    3. L’idée d’étendre la sécurité sociale à l’alimentation me semble une très bonne idée, probablement en se contentant d’une économie mixte dans un premier temps, mais qui permettrait franchement d’aider à cette conquête là.

    Bref, à partir du moment où on est d’accord avec Friot que la fin du capitalisme, c’est pas pour demain, il y a plus vraiment d’opposition entre « réformisme » et « communisme » / « anti-capitalisme ». Il s’agit en revanche que ce réformisme corresponde bien à la définition qu’en donnait Jaurès à son époque et consiste à mettre en place les institutions subversives pour organiser la conquête du pouvoir économique. De fait, la sécurité sociale en France a été mise en place il y a plus de 70 ans et elle est encore debout aujourd’hui tant bien que mal malgré toutes les tentatives réactionnaire de la détruire. Voir les choses comme ça aide également à se débarrasser de la tentation, une fois arrivé au pouvoir, de s’y accrocher par tous les moyens, qui a mené un certains nombre de gauches dans le monde à trahir assez largement l’idéal démocratique qu’elles prétendaient défendre.

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