Le Maître ignorant

avec Jacques RANCIÈRE
publiée le
animée par Judith BERNARD

Voilà des années que j’entendais parler de ce texte : le Maître ignorant. Certains l’avaient lu, et en étaient marqués à vie. D’autres avaient entendu à son sujet d’homériques querelles – c’est que Jacques Rancière y évoque une méthode pédagogique révolutionnaire, répudiant l’instruction au nom de l’émancipation. Il bouleverse notre manière de concevoir le savoir, la transmission, l’enfance, les rapports de domination et jusqu’à l’ordre du monde. Et il renvoie les enseignants à leur condition « d’explicateurs abrutisseurs » qui, au lieu d’élever les jeunes à la conscience de leur puissance, les maintient dans une infériorité révoltante pour quiconque croit vraiment en l’égalité que nous annonçons au frontispice de nos écoles. Bouleversée comme les autres par sa lecture, j’ai rencontré le philosophe qui nous avait tant secoués avec une grande émotion… Je ne m’attendais pas à ce qu’y entre tant de joie pétillante. 

Judith BERNARD

Durée 77 min.
  • Commentaires

23 réponses à “Le Maître ignorant”

  1. Damien

    Suis avec Firefox et impossible de télécharger aussi (aucun des 3 fichiers proposés). Et je vous confirme que je suis bien identifié sur le site Hors Série (de toute façon, le bouton Télécharger n’apparaît pas si je ne me suis pas identifié).

  2. Alain

    Bonsoir, Toujours impossible de voir les vidéos en plein écran avec le navigateur FIREFOX.

  3. Paul Balmet

    Rien à dire, Rancière est magistral !

  4. ahurie

    La fin de l’entretien et cette affirmation « on n’est pas obligé de tout comprendre »,a provoqué,chez moi,une immense libération qui m’a permis de retrouver des tas de moments où j’étais très intéressée, faisant un peu même temps ma réflexion, puis retrouvais une autre période tout à fait intrigante, et ainsi de suite. Mais je sais que des tas de réflexions vont me revenir et alimenter ma compréhension, probablement à ma façon et je retiens avec une reconnaissance infinie, déculpabilisante, de ne pas tout comprendre !
    Françoise L

  5. Papriko

    Chaque émission fait l’objet de deux séries de commentaires : celle-ci, plus celle qui apparait lorsqu’on clique sur « Télécharger la vidéo ». Il serait opportun de supprimer une de ces deux listes et de regrouper les commentaires relatifs à une même émission.

  6. Papriko

    A propos des deux « forums » de commentaires (qui font doublon) notons que sur celui-ci les derniers commentaires apparaissent en haut de la pile alors ils apparaissent en bas (comme c’est le cas sur les forums d’@si).

  7. Papriko

    J’avoue que j’ai eu beaucoup de mal à écouter ce bonhomme à la fois timide et très content de lui-même, bardé de certitudes et à le suivre dans les méandres de sa pensée cahotique.
    Un exemple de son manque de rigueur et de la confusion de ses idées: lorsque Judith lui fait remarquer (mn 35) que Jacotot affirme sans démontrer et que son discours ressemble à un évangile, il rétorque, en substance, qu’il ne faut pas chercher à tout justifier et qu’il n’y a pas de justification, par exemple, dans la phrase « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ». Un telle confusion est stupéfiante. Car, dans un cas, Jacotot prétend – ce en quoi il se trompe, mais passons – décrire objectivement (à la manière du chercheur dans son laboratoire) une réalité préexistante (par exemple : tous les hommes sont pourvus de la même intelligence); dans l’autre, le législateur (« Les hommes naissent libres et égaux en droit » est, comme chacun sait, un des articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) ne prétend pas décrire le réel, mais au contraire, en posant les principes fondateurs d’une politique, se propose d’agir sur le réel et de le modeler, en affirmant tacitement que les lois de la nature, elles, ne sont pas modifiables. Cette confusion entre la position de l’homme politique (« Je décide que les choses doivent être ainsi ») et celle du savant (« La terre tourne sur elle même, que je le veuille ou non ») est navrante.
    Plus d’une fois, en essayant d’écouter ce monsieur, qui martèle comme un credo sa négation de l’inégalité des intelligences (l’intelligence apparaissant comme sa bête noire, son ennemie personnelle), j’ai pensé à la phrase de Coluche : »Quelle que soit l’intelligence dont on est pourvu, on la trouve suffisante parce que c’est avec ça qu’on juge ».
    Jacques Rancière nous épuise en nous forçant à essayer – le plus souvent en vain, car ses raisonnements sont bancaux – de faire le ménage dans son discours – débité à une allure démente et souvent ponctué d’un petit rire niais – et de mettre bout à bout les éléments de sa pensée déstructurée. On ne s’étonne pas lorsqu’il révèle que certains producteurs de radio et de télévision lui demandent de faire un effort pour pour être accessible à tous et encore moins qu’il en soit surpris. Le moins marrant n’est pas qu’il se pose en spécialiste de la pédagogie…
    Jacques Rancière donne l’impression de vivre coupé du réel, dans un état de folie douce. Il semble ignorer les principes de l’argumentation et de la démonstration, qui lui sont inaccessibles parce qu’il n’y a pas été initié. Cette incapacité et en elle-même, plus que toute argumentation, le signe de l’inanité de ses théories sur la capacité à acquérir des connaissances de manière autodidacte. De toute évidence, le maitre ignorant, c’est lui.
    Jacques Rancière me fait irrésistiblement penser à un autre penseur fou: Etienne Chouard (Maja N., si vous me lisez, je vous demande pardon). L’un et l’autre semblent avoir été un beau jour frappés par la grâce d’une découverte initiatique à laquelle ils s’accrochent comme si c’était vital pour eux. Pour Chouard, c’est le principe du tirage au sort des gouvernants, qui a été expérimenté pendant quelques années il y a quelques millénaires. Pour Rancière ce sont les élucubrations de Jacotot. On imagine à quel point ils doivent se sentir isolés et incompris, eux qui ont vu la lumière.
    Ces farfelus essaient de s’adapter recréent avec des mots un monde qui leur convient. C’est un spectacle assez singulier. Ce syndrome a probablement été probablement décrit et classé par les psychiatres.

  8. Papriko

    C’est musclé, hein ?
    Mais le bonhomme m’a mis en colère, tellement j’ai dépensé de l’énergie à essayer de le décrypter. Je n’ai pas la patience angélique de Judith et je ne me sens pas tenu de ménager l’invité.
    D’ailleurs, juste avant que vous n’interveniez, j’allais rendre mon texte encore plus méchant en ajoutant « jingle ponctuant ses certitudes » en apposition à « rire niais ». On a vraiment l’impression que son petit rire bref signifie : « Je sais, j’enfonce des portes ouvertes, mais je m’y sens une nouvelle fois obligé: comment peut-on nier l’évidence de ce que j’affirme? ». Eh, bien, non, papy! Non seulement c’est pas évident, mais c’est faux. Et j’ai le droit de l’affirmer aussi sottement que toi !
    J’étais assez content de ma formule « jingle ponctuant ses certitudes »(moi aussi, je sais être content de moi, personne n’est parfait), mais je n’ai pas eu le temps d’amender mon magnifique commentaire, puisque, je le constate, on ne peut éditer un message si un nouveau commentaire a été mis en ligne.

  9. Papriko

    Merci, Judith, pour cette précision.
    J’avais bien entendu que vous évoquiez le caractère auto-réalisateur des prophéties de Jacotot, mais je vous ai mal comprise car je pensais que vous n’adhériez pas à cette croyance dans cette circonstance. Je ne nie pas la réalité des prophéties auto-réalisatrices, mais je ne connais pas assez le dossier Jacotot pour affirmer que c’est ici le cas. Je note que vous pensez qu’on a ici l’exemple de l’efficacité de cette démarche (en tous cas das l’exemple que vous citez de ces étudiants qui apprennent le Français sans le secours d’un maitre). Dont acte.
    Cela dit, je citais ce passage de votre interview comme une simple illustration des étranges mécanismes de la pensée de Rancière, qui ne me parait pas un modèle de rigueur. J’aurais aimé savoir à quels « apprenants » Rancière a eu affaire dans sa carrière d’enseignant. A-t-il enseigné à de jeunes enfants? A-t-il connu des classes « à la Bégaudeau »? Ou a-t-il eu affaire uniquement à des étudiants motivés ? Dans le processus d’apprentissage, la motivation est bien entendu essentielle. Vous évoquez la notion de « désir » en parlant de l’apprentissage du langage. C’est en effet la clé du sujet, et ce point n’a peut être pas été assez développé…
    NB : l’expression de « désir vital » que vous employez n’est peut-être pas très heureuse et me semble d’ailleurs être la source d’un malentendu avec Rancière, qui la prend dans une acception très limitée puisqu’il vous répond – dedans et à pieds joints, le malheureux … – qu’un enfant n’a pas besoin de parler pour manifester qu’il a faim…

  10. Papriko

    gynko a écrit : « J’ai tendance à me dire qu’au plus on montre les muscles, au moins on entend le cerveau ».

    Vous voyez que pouvez être méchant, vous aussi. :o)
    C’est pas mal pour un début.
    Comme l’a dit Jacotot: « Quand on veut, on peut ». Même en autodidacte.
    Mais si vous avez besoin d’un conseil en vacheries, je suis à votre disposition. J’essaierai d’être pédagogue et d’éveiller votre désir d’apprendre.

  11. Papriko

    jlb93 : « Moi aussi j’ai commenté copieusement. »
    Certes, mais vous avez oublié la dose de méchanceté qui fait réagir :o)

    jlb93 : « j’ai cru un moment avoir « tué » le débat … »
    Meuh, non! Le calme plat sur les forums, c’est faute à Karim Benzema et Lionel Messi.

  12. Papriko

    J’aurais aimé poser à Jacques Rancière une question très simple : pensez-vous qu’on peut mesurer l’intelligence?
    S’il m’avait répondu oui, je lui aurais demandé de fournir les résultats des mesures. Résultats montrant, bien entendu, que toutes les intelligences sont égales.
    S’il m’avait répondu non, je lui aurais demandé comment on peut affirmer que deux grandeurs sont égales si elles ne sont pas mesurables.
    Mais bon, il doit y avoir une faille dans ce raisonnement simplet.

  13. Papriko

    Internet est une bénédiction pour les autodidactes, c’est indéniable. Internet plus l’ordinateur individuel, bien sûr, sans lequel internet serait inutile. C’est compliqué, tous ces trucs, faut y penser de temps à autre. Je veux dire les microprocesseurs, les logiciels, les réseaux, tout ça. Très hard (même le soft…)!
    J’espère que las partisans de l’apprentissage autodidacte ont conscience que ces merveilleux outils qui sont mis – comme par magie – à leur disposition n’ont pas été créés par des autodidactes, mais par des chercheurs, des ingénieurs et des techniciens qui ont acquis leurs connaissances et leur savoir-faire par des méthodes académiques.
    La poésie, le rêve, le désir pour la réalité, ça va bien un moment. Mais de temps en temps, faut atterrir.

  14. Papriko

    Depuis que je sais, grâce à Jacques Rancière, que je suis aussi intelligent qu’Albert Einstein, je fais parfois ce rêve (étrange et pénétrant) où je remporte le prix Nobel de Physique.
    Dans mon rêve de la nuit dernière, je suis allé à Stockholm en automobile pour la cérémonie de remise des prix. C’est étrange, me direz-vous, mais je ne vous ai pas caché que c’était un rêve étrange. Il y avait avec moi dans la voiture Frank Ribéry, qui allait se faire remettre son Prix Nobel de Littérature et Nadine Morano (Prix Nobel de Mathématiques). Ils ont acquis tout leur savoir, m’ont-ils dit, par internet.
    Je fais vraiment des rêves étranges.

  15. Papriko

    @ jib93 : il existe effectivement, comme vous le dites « des peintres autodidactes, des instrumentistes autodidactes, des comédiens autodidactes ». Il n’est pas moins vrai que, dans certaines disciplines nouvelles, les inventeurs et tous les découvreurs font une partie de leur parcours en solitaire.
    Mais tous ces personnages autodidactes que nous sommes amenés à connaitre ne sont-ils pas précisément ceux qui ont réussi à émerger et à sortir du lot par leurs qualités exceptionnelles, ? Il me semble qu’il y a une opposition entre l’affirmation que toutes les intelligences sont égales et l’existence de ces rares autodidactes. Un individu qui n’a pas été initié aux pratiques d’apprentissages ne peut pas apprendre seul. Récemment la presse citait le cas de cette candidate au bac qui avait eu plus de 20/20 de moyenne, alors qu’elle est issue d’un milieu modeste. Mais n’est-ce pas parce que cette jeune fille constitue une exception que la presse la cite? Il est probable que cette élève, par ses qualités hors du commun a pu surmonter le handicap que constituait son environnement et qu’elle a reçu très tôt, d’une manière ou d’une autre, les bénéfices et les gratification liées à ses premiers succès. Or, ces gratifications et ces encouragements, qui créent le désir dont nous parlions, qu’ils soient formels ou indirects, proviennent en grande partie de l’institution qui prodigue la connaissance et qui lui a donné les moyens d’acquérir son savoir.

  16. Papriko

    @ Valérie Carlier : Donner l’exemple de l’apprentissage du langage comme preuve qu’on peut apprendre de manière autodidacte ne me parait pas très pertinent. J’allais dire que c’est stupide, mais je ne veux pas accabler Jacques Rancière. L’enfant apprend à parler parce qu’il y est contraint par son environnement, par des mécanismes qu’il ne maitrise pas. La question – essentielle, répétons-le – de la motivation ne se pose pas. La pulsion d’imitation et le désir d’intégration sont irrésistibles (sauf cas de dérèglements tels que l’autisme). L’enfant ne choisit pas d’apprendre. Car si c’était le cas, il pourrait prendre la décision de ne pas apprendre.

  17. Papriko

    @ Valérie Carlier : « acquisition du langage par l’environnement » et « faculté innée » ne sont pas incompatibles. La faculté innée – contrairement à la pousse de mes cheveux – ne se développe pas sans le désir que suscite l’environnement. Pareil pour les oeufs qui se trouvent dans la boite en carton alvéolé dans votre frigo : si vous voulez voir éclore les poussins, vous devez les couver. Je veux dire « trouver une poule pour les couver », bien sûr.
    Encore que… Le poussin se trouve programmé dans l’oeuf. Alors que ce qui est inné chez l’enfant, c’est la faculté d’apprendre un langage et non pas le langage lui-même. On n’a, jusqu’à ce jour, pas vu un petit espagnol parler spontanément l’allemand.
    Contrairement à vous, je pense que l’apprentissage du langage (à la différence de l’apprentissage de l’écriture, par exemple) se fait de manière tout à fait autodidacte. C’est même un cas absolument parfait. L’erreur est de le croire exemplaire. Prendre un cas et en faire une loi est une erreur de raisonnement grave.

  18. Papriko

    @ Valérie Carlier : je crois que nous sommes globalement d’accord.
    Dans votre dernier message, vous n’employez pas le mot « autodidacte » et c’est très bien… :o)
    Il n’y est question ni d’élève ni de maître, et c’est très bien. :o)
    Mais nous nous éloignons un peu du sujet en nous fixant sur la question de l’apprentissage du langage, puisque qu’elle n’apparait qu’à l’occasion d’un exemple (malheureux) présenté par Rancière, dont le livre a pour titre « Le Maître ignorant » et non pas « L’Acquisition du langage ».
    Au lieu d’appeler à l’élimination des maitres (l’apprentissage autodidacte y conduit, me semble-t-il), Rancière devrait souhaiter plus simplement que l’enseignement soit de meilleure qualité. Au lieu de souhaiter la mort de la pédagogie (devenue inutile par la disparition des maitres), il devrait souhaiter que cette science se perfectionne afin qu’on connaisse mieux les mécanismes de l’apprentissage. Au lieu de nier le principe de la transmission des connaissances, il devrait appeler à l’étude de ses mécanismes afin qu’ils soient rendus plus efficaces. Au lieu de cela, ce vieil anarchiste appelle à la destruction du système.
    Le parallèle que je faisais plus haut (plus bas, en fait…) entre la démarche de Jacques Rancière et celle d’Etienne Chouard me parait de plus en plus justifié : l’un nous dit: ‘Les méthodes d’enseignement sont mauvaises et les maîtres sont mauvais : supprimons les maîtres »; l’autre nous dit : « Le pouvoir corrompt et les hommes politiques sont mauvais : supprimons les hommes politiques ». Ces étranges théories reposent sur un socle commun : la détestation de l’ordre établi et le refus de toute structure hiérarchique, l’ordre établi et la hiérarchie étant le résultat de la domination des classes qui détiennent le pouvoir et les outils de sa perpétuation.

  19. zobroc

    Merci pour cette excellente émission et cette très belle interview! Lecteur de Jacques Rancière depuis fort longtemps, très marqué par « Le Maître ignorant », je me suis délecté. Bravo au philosophe brillant et humaniste, et bravo aussi à Judith Bernard qui a su si bien l’interroger.

  20. Papriko

    En visionnant l’interview de Jacques Bouveresse par Maja Neskovik, j’ai eu la joie de l’entendre tenir des propos qui confortent ce que je disais plus haut. C’est vers 00h44mn. Jacques Bouveresse rappelle que Bertrand Russel était scandalisé (comme il l’est lui-même) par cette étrange idée (qui commençait à se répandre dès le début de vingtième siècle) de la relativité de la vérité (la « démocratisation » de la vérité, dit-il), l’ idée que toutes les points de vue se valent et que la science n’est qu’une voie parmi d’autres pour y aboutir, au même titres que des croyances telles que la divination. Bouveresse insiste avec véhémence sur l’idée que la vérité ne se décide pas par des lois ou par des votes. Manifestement, Jacques Rancière ne partage pas ce point de vue puisqu’il confond les lois scientifiques et les lois du législateur.
    Il se trompe, bien entendu. Je peux décider du jour au lendemain que les hommes peuvent se marier entre eux, mais je ne peux pas décider d’abroger la loi qui dit que si on comprime un gaz, la pression est multipliée par 2 si le volume est divisé par 2. Cette loi de la physique (Loi de Mariotte) est valable partout (en France comme en Iran) et n’a pas été créée par un vote.

  21. Stephane ERARD

    Vidéo introuvable 🙁

  22. Winckler

    Merci à Judith Bernard pour ce bel entretien que je viens de regarder après être arrivé au terme de la lecture du livre de Jacques Rancière.

    L’ouvrage m’a dans l’ensemble peu convaincu, par moment même franchement énervé. D’abord par sa forme inutilement ésotérique (comme d’autres l’ont relevé avant moi). A tort ou à raison, il m’a semblé que les saillies poétiques participent aussi (surtout ?) à dissimuler certains sauts de raisonnement. Mais c’est surtout le fond des propositions avancées qui m’a posé problème.

    Plusieurs points qui me chipotent ont été relevés par Judith Bernard : le volontarisme qui traverse tout le livre, le mythe de l’autodidaxie (chez Rancière/Jacotot, les livres remplacent les enseignants dans le processus d’acquisition du savoir, mais sans aucune problématisation du fait que le livre est lui-même un discours, est lui-même constitué d’explications, etc.), la morale catholique qui parait omniprésente (le maître est ignorant au même titre que le pauvre est un riche qui s’ignore et que les premiers seront les derniers dans l’au-delà), et ainsi de suite.

    Or, il me semble que plutôt que chercher à se justifier, Rancière a pendant tout l’entretien tendance à reculer, à neutraliser la charge de ses propositions. Par exemple l’enseignement universel de Jacotot n’est plus tout à fait la méthode d’enseignement géniale qui nous avait été présentée. Elle devient un principe philosophique bien plus général. C’est déjà beaucoup mais ce n’est quand même plus tout à fait la même chose. Beaucoup d’autres extraits me semblent aller dans ce sens, ce qui à certains égards rend l’entretien plus convaincant que le livre lui-même. Peut-être le temps écoulé depuis la rédaction de l’ouvrage y est-il pour quelque chose.

    Pour revenir à la thèse du livre, je peine quand même à me défaire de ce profond malaise que je ressens chaque fois qu’un intellectuel prête « généreusement » les compétences culturelles les plus diverses et les plus absolues aux dominés (aux pauvres, aux exploités, chacun choisira le terme qui lui parle le plus). Cela au prix d’un déni pas moins absolu de la violence de leurs conditions d’existence et des effets de cette violence. Je trouve qu’il y a d’ailleurs dans le livre une confusion permanente entre les différents sens du terme « égalité ». C’est une chose de prêter à tous et toutes, au nom de notre commune humanité, une même capacité innée à faire usage de notre intelligence (encore faudrait-il s’entendre sur le sens de ce mot) pour appréhender ce que nous voyons et ce que nous faisons. C’en est une autre de prêter à chacun, un peu abstraitement, la même capacité à s’approprier des biens culturels (ne fut-ce qu’un livre) qui paraissent sans doute à Rancière tellement co-exstensif de l’homme qu’il est devenu (un peu comme le latin dans la vidéo) qu’il en oublie combien ces biens culturels sont distants de l’univers ordinaire de beaucoup de gens, et tout ce qu’ils peuvent incarner à leurs yeux. Dans le même sens, je doute que même avec les meilleures intentions du monde, une méthode pédagogique spontanéiste à la Jacotot (voilà un livre et débrouille toi puisque tout explication est suspecte de rompre le rapport enchanté entre une volonté et un objet quasi sacré) puisse systématiquement émanciper là où un démarche d’instruction plus verticale nécessairement opprimerait.

    Cela étant, pour peu que l’on accepte – au moins le temps de la lecture – certains présupposés, il est vrai que le livre, par sa radicalité, oblige à réfléchir contre bon nombre d’évidences, et donc contre soi-même. Ce qui restera toujours précieux. On ne perd pas non plus son temps à écouter ce riche entretien.

  23. Graphico LPL

    J’ai été frustré! Ce n’est que vers la fin, dans les 5 dernières minutes que la conversation a glissé vers le voir et son apprentissage, qui est un sujet qui me fascine, et l’unique explication qu’en a donné l’invité m’a parue tellement juste que j’avais une soif de l’entendre poursuivre. Sinon, son discours complexe m’a bien plu et j’ai téléchargé votre ancienne émission pour la regarder plus tard. Merci quand même pour cette ouverture sur la pensée d’un homme dont je ne connaissais que le nom.
    sinon, la video précédente est là:
    https://www.hors-serie.net/Dans-le-Texte/2014-07-05/Le-Maitre-ignorant-id19

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