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Premières mesures anticapitalistes

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Dans un magnifique texte publié sur son blog, Frédéric Lordon énonçait le 7 avril dernier les orientations pour le monde d’après. Le texte est au présent, on s’y croit déjà : « la vie commune doit être refaite de fond en comble », et le philosophe-économiste nous en décrit les grands principes, en quelques énoncés brefs, et bouleversants tant ils sont émancipateurs. Puisque, comme il le rappelle, « on ne va nulle part sans s’être fait avant une idée de la destination », il fallait commencer par ces « Orientations » qui donnent le cap. Reste que, comme il l’écrit par ailleurs, pour parvenir à cette refondation, « ce qu’il s’agit d’envisager est de l’ordre d’un renversement, et qu’il n’y a pas d’action de renversement sans une organisation de renversement ».
C’est là que ça coince : l’organisation du renversement. Comment on fait ? Alors que les crises sanitaire, écologique, sociale, économique, sont en train de s’amplifier mutuellement dans un maelstrom infernal, que la gouvernance néolibérale, autoritaire et inconséquente, maintient le cap vers le désastre avec un entêtement quasi-psychotique, les forces susceptibles de porter l’alternative paraissent atomisées et tétanisées, comme si l’urgence qui la rend plus impérieuse que jamais annihilait paradoxalement ses conditions de possibilité. C’est que plusieurs décennies de défaite des luttes sociales, elles-mêmes posées sur l’échec des expériences révolutionnaires du XXème siècle, ont laissé notre « camp » – celui de l’alternative post-capitaliste – complètement désarmé. Alors : fatalisme ? Et consentir à l’achèvement par la catastrophe – qui pourrait s’y résoudre ?
L’autre voie, c’est le travail de la stratégie, et c’est bien sûr celle que nous privilégions à Hors-Série : analyser nos défaites passées, diagnostiquer nos carences présentes, œuvrer à y remédier en forgeant les outils nécessaires pour renouer avec la puissance, l’efficacité, et la victoire. Grands mots, oui, pour de grandes ambitions – mais entre ça et périr complètement, ce n’est pas comme si nous avions le choix.
Stathis Kouvélakis, fort d’une longue et intense expérience militante (notamment en Grèce où les tempêtes politiques ont été singulièrement vigoureuses), jointe à une production théorique de haut vol, est ici un précieux expert, capable d’éclairer le débat stratégique avec une rigueur intraitable.
Le principe de cet échange entre ces deux intellectuels engagés était donc posé : discuter stratégie, avec exigence et lucidité. Bien sûr, on n’aura pas été complètement exhaustif, et on n’en sort pas tout à fait avec un mode d’emploi prêt pour demain matin, ni même pour après-demain soir (« le Grand ») ; mais le champ est, me semble-t-il, très nettement balisé, et nous permet d’y voir clair sur les tâches urgentes et les médiations à mettre en œuvre. Et puis il y a ceci, qu’on n’avait pas forcément programmé : le plaisir, qui vient par surcroît, de conjuguer ces deux pensées particulièrement disposées à dialoguer ensemble. On ne l’avait pas anticipé, mais au fond, on avait été prévenu (c’est Jean-Marc Rouillan, qui s’y connaît, qui l’avait rappelé à la toute fin de son propre interview) : la joie est dans la lutte. Et elle commence dès lors qu’on entreprend de l’organiser.
Judith Bernard
RÉFÉRENCES
Un certain nombre d’articles sont mentionnés à l’appui de notre discussion, qui permettent d’en approfondir les perspectives :
L’article de Mathieu Bonzom qui sert de « tiers-matériau » pour la discussion : « Faire naître le nouveau. Luttes sociales et horizon politique aujourd’hui en France », publié sur Contretemps.
Le Manifeste pour un nouvel internationalisme des peuples en Europe ;
Un article indispensable sur la refondation d’un parti révolutionnaire: « Refonder un parti écologiste et socialiste de transformation révolutionnaire de la société », par Hendrik Davi, publié sur Contretemps.
Sur la Pompe à phynance, le blog de Frédéric Lordon lié au Monde Diplomatique :
Orientations ; Quatre hypothèses sur la situation économique ; Problèmes de la transition ; Ouvertures ;
14 réponses à “Premières mesures anticapitalistes”
J’aurais tellement aimé être sur le plateau pour défendre bien mieux les idées friotistes ! J’enrage, car j’apprécie beaucoup stathis. Brrrrrrrrrrrrr.
Et au final j’ai trouvé cette émission un peu pauvre. Mais comment l’enrichir, tout parait inaccessible à nos petits bras ?Sur le marché, dont la conservation est evidente à la fois comme mécanisme de coordination et de formation des prix dans une société psot-capitaliste qui evoluerait vers le salaire socialisé, il ne faut pas lui opposer l’unique alternative du prix fixé par l’Etat. Il existe des nuances dont il faut s’emparer pour déterminer après délibération, parmi les biens et services à produite, ceux qui doivent relever du gratuit public, du gratuit tarifé, du privé conventionné/socialisé, du privé encadré. Qques précisions rapides au lien ci-apres, qui j’espere permet de concilier marché et social, et surtout de cantonner le marché à sa version capitaliste (qui incorpore le profit dans le procès de production)
https://www.salaireavie.fr/post/coronavirus-%C3%A9cologie-climat-tous-enjeux-de-la-lutte-des-classes?fbclid=IwAR3NWhJF15J_TT4Be3Hf6Sl3JE2BOZAB_BW9ubJvswJmha_6n6QcGbsbdKoOn y croit plus parce qu’on n’adhère plus à une hiérarchie des luttes quelle qu’elle soit, s’expriment dans une « attitude auto-proclamatoire » ou autrement.
La tentation est alors grande de demander à chacun de plaider pour sa souffrance (à la manière des assemblées de Nuit Debout). Mais un catalogue de symptômes ne vaut pas diagnostic. La chose est d’autant plus vaine que chaque participant croit fermement avoir réussi à défendre sa cause lorsqu’il repart avec une prescription pour chacun des symptômes qu’il a mis en évidence. Voir à ce sujet, le catalogue de propositions pour l’après covid-19, livré par 20 associations.
L’on imagine bien qu’il ne sera pas possible de guérir le patient en multipliant les prescriptions et qu’il faudrait s’appliquer à émettre un diagnostic d’où puissent remonter la plupart des symptômes énumérés. L’enjeu pour faire masse c’est donc de parvenir à articuler les luttes. Mais on sent bien à travers les échanges de la vidéo notamment une vraie difficulté à penser cette articulation.
Encore un superbe document qui pourrait bien faire date. Stathis Kouvélakis et Frédéric Lordon ont saisi l’occasion d’un véritable échange de haut vol. Ceci dit, j’ai un désaccord avec Kouvélakis quant au principe de coordination qu’il préconise. La planification n’est pas à même d’assurer, à elle seule, la fonction de coordination que requiert un monde post-capitaliste proprement démocratique. Le risque serait réel d’une dérive autoritaire. Je pencherai plus volontiers pour une coordination par un marché strictement encadré, et arbitré par un contrôle démocratique des citoyens.
Et au fait, qu’elles sont-elles, au final, les premières mesures ?
Laisser « République » à l’adversaire ? Jamais !!! République, res publica, la chose publique, le bien public, le bien commun, l’intérêt commun… laisser tout ça à l’adversaire parce qu’il se l’est approprié pour en faire de la merde ? Et pour ne pas être confondus avec ces ordures il faudrait le leur laisser ? Jamais !!! Il faut le leur retirer des mains à coup de pieds dans la gueule s’il le faut mais jamais ne le leur abandonner !
Je n’ai pas encore vu l’émission, j’aime bien faire un tour des commentaires avant de me lancer, et en général puisque je n’ai pas vu je n’ai rien à dire, mais aujourd’hui je suis tellement choqué de lire ici, dans le commentaire de Mr Jean-Marc Joubert (14h08), des propos qui auraient toute leur place sur Fdesouche ou boulevard voltaire, que je me sens obligé de dire : pas de ça ici, vous avez vos endroits (qui sont de plus en plus nombreux d’ailleurs), laissez-nous les nôtres.
Franchement, perdre son temps à décliner en 3 points indentiques et mal articulés les obsessions identitaires qui garnissent les antennes de CNEWS et consorts sur un site qui ne laisse aucun doute sur son orientation radicalement antifasciste, c’est tout aussi impressionnant de témérité que sidérant de bêtise.
Je n’assimile évidemment pas les propos de cet olibrius au contenu de l’émission, dont je parie sans risque qu’elle explore d’autres thèmes bien plus féconds.Bravo et merci pour ce riche entretien!
MSC, bonsoir. Evidemment, l’entretien entre F. Lordon, S. Souvelakis et J. Bernard n’a pas grand-chose à voir avec les élucubrations fascisantes de Monsieur Joubert – si ce n’est que les deux invités parlent d’un retour du fascisme sous des formes très différentes de celui des années 30.
Quel bol d’air !
Une idée à la minute, avec Rupture comme mot-clé.
Merci à tous !J’espère que les profondeurs abyssales atteintes dans les commentaires ici, ainsi que l’énergie dépensée par Judith (en pure perte semble-t-il) pour faire cesser le carnage, feront avancer la réflexion critique sur l’utilité réelle de ces forums (à vrai dire on voir mal comment il pourrait en être autrement tant l’émission de haute tenue entre 2 penseurs importants et sérieux est minorée par les commentaires qui l’accompagnent – dont certains se veulent apparemment ironiques mais sont en fait exactement au même niveau de vide argumentatif que les autres). Les sites comme celui de l’association acrimed, qui ont choisi de se passer de ces espaces et ont souvent été vertement critiqués pour ce choix, pourront désormais renvoyer à cette « discussion » comme argument imparable contre l’existence des forums de discussions – au moins sur les sites dont l’objet est (la) politique.
Merci pour cette discussion riche et qui aborde des sujets concrets. On en a bien besoin dans la situation catastrophique où nous nous trouvons, que la plupart des intellectuels de gauche n’affrontent pas.
Quel dommage que Stathis n’ait pas lu Friot…Bien à vous. Montserrat Durban
Petit commentaire en passant à propos du salaire à vie et la centrale de Fessenheim.
Stathis Kouvélakis a l’air de se dire qu’en donnant l’autonomie des décisions concernant la centrale
aux gens l’exploitant ils voudraient automatiquement la prolonger jusqu’à plus soif.
Or avec un salaire garanti, chacun des membres de l’équipe d’exploitation a le loisir de considérer une autre activité sans perte de ressource, les rendant moins susceptibles de vouloir la maintenir coûte que coûte en activité mais au contraire de travailler à l’améliorer…
C’est un point que Bernard Friot aborde lors de son interview chez Thinkerview (https://www.youtube.com/watch?v=zrS-OkFTLkc).
Y-a-t-il des pointeurs sur la solution de sortie marché mentionnée par Mr Kouvélakis ?
C’est quelque chose qui me semble infiniment plus compliquée…
Bernard Friot et le réseau salariat ne sont pas contre le marché comme il a pu le rappeler lors d’une de ses interventions chez hors-série…
Bien sincèrement.Entretien intéressant et pourtant un peu désespérant tant la stratégie et les modalités concrètes de sortie du capitalisme semble être des notions assez flous même pour ceux qui y consacre une bonne partie de leur temps et de leur volonté.
Une piste n’a pas été explorée : celle de la « subversion institutionnelle en tant que telle », c’est à dire l’utilisation des institutions pour sortir des institutions. En un sens on peut dire que ce fut une partie de la tradition de la gauche républicaine radicale qui avait pour ambition la prise de pouvoir de l’assemblée dans le but de modifier radicalement les institutions politiques et économiques. Or cette perspective n’a jamais donné de résultats reellement subversifs tant il semble impossible de convaincre par avance le peuple de changer des institutions qui, bien qu’elles leur semblent injustes, assure la continuité d’un ordre plus ou moins stabilisé, garantie d’une tranquillité, même pour les plus démunis.
Finalement les seuls accès de la « gauche » aux institutions se firent dans le cadre d’alliances (gauches pluriels, cartels) où les forces subversives étaient systematiquement minoritaires donc inoperantes.
La France Insoumise et Melenchon incarne cette même illusion d’une gauche potentiellement subversive mais qui, si on écoute attentivement, nie fondamentalement sa volonté révolutionnaire. Et pourquoi LFI se doit d’atténuer sa portée subversive ? Par clientelisme électoral, c’est-à-dire justement par volonté de mise en conformité avec les institutions actuelles.
On pourrait imaginer comme stratégie alternative, l’édification d’un discours progressiste car électoraliste cachant une volonté révolutionnaire. Mais il me semble que c’est se bercer d’illusions que de penser cela comme une possibilités réelle. De plus ça serait inscrire l’acte révolutionnaire dans un mensonge initial ce qui est gênant quand l’objectif est la volonté d’une société qui tend à supprimer les dominations, donc les manipulations.Il me semble donc qu’il faut faire le constat lucide qu’il n’est pas possible de convaincre une majorité de citoyens à la mise en œuvre d’une politique du désordre induit par une politique subversive (disons communisme ou anticapitaliste).
Pourtant il me semble qu’une alternative est crédible, c’est celle qui consiste à présenter une liste à l’élection présidentielle qui porte comme proposition unique (!) l’instauration d’une nouvelle constitution mettant en place une nouvelle république dite de démocratie directe (tirage au sort, deprofessionalisation de la politique,…). L’établissement d’une constituante étant alors une possibilité d’instaurer un débat profondément subversif mais perçu par les citoyens non pas comme l’irruption d’un désordre mais bien plus comme l’édification d’un nouvel ordre plus démocratique.
Les gilets jaunes attestent de cette aspiration. Il est, il me semble, très significatif de constater que c’est sur une proposition portant sur les règles démocratiques (RIC) que le consensus a réussi à s’opérer au sein de gens aux tendances idéologiques et politiques différentes. Significatif également de constater que le niveau de subversion a augmenté au fur et à mesure que le mouvement progressait et que les gens discutait.
Bien sûr la question des médias reste un problème épineux si on veut que cette occasion ne se retourne pas comme une opportunité pour le capital. On peut penser que la « requisition » de France TV comme média de diffusion égalitaire des opinions durant la période d’établissement de la nouvelle constitions permet tout de même d’avoir une stratégie de contournement des médias du capital.Le déroulement serait ensuite imprévisible mais c’est cela même l’essence de tout changement de régime et l’essence démocratique. On ne peut prévoir dans sa chambre, pour reprendre l’expression de Lordon, ce que sera l’avenir ni le planifier selon des probabilités théoriques.
A noter qu’au fond LfI et Melenchon ont axé une partie de leur campagne sur cette stratégie de « révolution citoyenne » et on peut attribuer une partie des bons résultats dans les urnes à la ferveur suscitée par la création d’une nouvelle république. Pourtant le discours de Melenchon et des leaders de LFI étaient largement inaudibles puisqu’ils mélangeait cela à un programme politique et que Melenchon lui-même incarnait une personnalisation en contradiction symbolique avec l’émergence d’une démocratie plus directe.
Personnellement je crois en cette voie, comme espace des possibles ouverts. Il s’agirait ensuite de convaincre, de deconstruire les idéaux, les préjugés, ce qui, et c’est un euphémisme n’est pas une mince affaire. Mais gardons espoir car la confrontation d’hommes et de femmes motivés à leur liberté est sûrement le plus grand pourvoyeur de solutions nouvelles, donc subversives pour l’ordre en place.
Quand à Frédéric Lordon, il a déjà montré qu’il était capable de jouer un rôle crucial lors de ces moments charnière où il faut susciter l’émulation des volontés et donc des intelligences.
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