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Covid 19 : un virus, des récits

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A chaque allocution présidentielle, ça recommence : on ne VEUT PAS l’entendre, on n’en peut plus – de sa morgue, de ses yeux vides, de ses phrases tombées d’un ciel sans rapport avec la réalité que nous vivons. Mais on a hâte de savoir ce qu’il a dit, qui va dicter la forme de nos vies, l’emploi du temps de nos semaines et jusqu’au nombre de cartouches nécessaires pour notre imprimante exténuée. Nous sommes suspendus à ses mots, d’autant plus insupportables qu’on sait qu’il en aura décidé à peu près seul, en monarque hypernarcissique persuadé que nous n’avons pas plus besoin de démocratie que lui. Et nous frémissons d’horreur d’être ainsi tenus à la merci de ses lubies et de ses oublis.
Il nous aura d’abord enrégimentés dans sa grande bataille – « Nous sommes en guerre, nous sommes en guerre » (ad lib), et nous nous serons tenus immobiles au fond de nos tranchées, regardant les premiers de corvée partir sur le front en nous demandant si c’était bien ça que nous faisions, bien ça qu’il fallait faire : « la guerre ». Et quelques mois plus tard est venu le deuxième récit, nous annonçant qu’il allait falloir « vivre avec le virus, durablement » et comme histoire ça nous allait mieux, puisqu’il était question de vivre et que ça nous intéresse – de vivre.
Mais en fait ça n’allait pas non plus, parce que ce n’était pas « vivre » qui nous était rendu possible, mais seulement travailler ; et tout ce qui fait de nos vies des vies, tout ce qui les nourrit et les grandit nous était interdit. Parce que « vivre avec » le virus, ça aurait supposé de disposer d’un système de soins dont on aurait pris soin, et le monarque n’y avait pas songé, ou bien il n’avait pas voulu puisqu’il avait préféré, comme ses prédécesseurs, démanteler le service public de la santé.
Et comme ses récits décidément ça n’allait pas, d’autres récits pullulèrent partout, qui venaient combler les failles et corriger les non-dits, quitte à les remplir avec n’importe quoi : le grand récit complotiste à la Hold Up qui voulait absolument que nous souffrions pour quelque chose, parce que quelques uns l’avaient voulu, qui avaient donc fabriqué intentionnellement ce mal qui allait accomplir, si nous n’y prenions pas garde, le grand projet de notre éradication.
Nous autres les anticapitalistes n’étions pas en reste, et nous avions notre explication aussi : ce n’est pas un complot c’est le capitalisme – ses déforestations, ses zoonoses, sa mondialisation accélérant tous les échanges, et nous voici armés d’un nouvel argument en faveur d’une sortie radicale, urgente, vitale, du mode de production capitaliste.
Ça fait beaucoup de récits pour un seul virus. C’est normal : une épidémie, parce qu’elle nous éprouve et met en crise tout ce qui fait tenir une société, génère de grands récits – c’est ainsi que l’humain, depuis toujours, répond à ce qui le met en péril ; c’est une structure anthropologique. C’est donc avec une spécialiste de cette discipline que j’avais envie d’y réfléchir : Charlotte Brives est anthropologue des sciences et de la santé, et elle travaille sur les virus, et les récits qu’ils suscitent, depuis plusieurs années. Son objet de recherche spécifique, ce sont les virus bactériophages – « mangeurs de bactérie » – qui offrent une solution thérapeutique très prometteuse pour guérir les infections liées à des bactéries antibiorésistantes. Elle observe donc des virus qui sont non pas des adversaires, mais des alliés de la santé ; non pas des « opposants », mais des « adjuvants », et cette fréquentation assidue d’un schéma actanciel si radicalement contraire à l’histoire que nous nous racontons à propos des virus ne pouvait que l’inciter à examiner avec beaucoup de sagesse, de rigueur et de lucidité les récits que nous produisons tous – scientifiques, politiques, militants, patients – sur ces êtres vivants qui tout à la fois nous entourent, nous constituent et nous ressemblent, même. Car si les virus ne se racontent pas d’histoires, ils sont, comme nous, des êtres relationnels qui ne vivent que d’interagir avec d’autres êtres vivants, et c’est une leçon qu’on comprend d’autant mieux qu’on l’éprouve douloureusement à l’heure de nos confinements.
Judith Bernard.
8 réponses à “Covid 19 : un virus, des récits”
Tout d’abord, merci Judith d’avoir touvé cette pépite, à savoir le regard de Charlotte Brives sur les récits structurants de nos vécus individuel et collectifs des interelations entre les virus vs bactéries et les virus ou les bactéries vs hommes (pour le dire vite)… Merci d’élargir nos connaissances et donc notre conscience nous permettant d’échapper à la dichotomie réductrice certitudes vs incertitudes liées à nos croyances, dichotomie piégeante, étouffante, source de nos angoisses, voire de nos follies (le discours technocratique du pouvoir en place est un exemple de follie selon moi)!
Quel soulagement de pouvoir dire que « l’on ne sait pas » sans se sentir, même vaguement, coupables de « ne pas savoir »… cette conclusion est un appel à l’humilité mais aussi à la curiosité face à l’inconnu, donc un appel au vrai questionnement qui doit rester ouvert, un appel à la recherche qui fasse « frétiller » d’aise et d’excitation nos cerveaux d’adultes encore en contact avec nos questions d’enfants…
Cette émission est la preuve que l’on peut faire réfléchir sur des sujets dits savants avec un vocabulaire et un discours parfaitement accessibles à des personnes « ignorantes » du domaine…
Il faudrait compléter ce regard avec une émission sur le fait que l’immunité dite naturelle (par opposition à celle provoquée par la vaccination) n’est jamais(?) prise en compte dans les discours obsessionnels dominants notre actualité, actualité centrée quasi-exclusivement sur « l’agent pathogène-la maladie-la mort » et sur les conséquences économiques, conséquences dont la vaccination fait partie sous couleur d’être le nouveau Sauveur de l’humanité alors qu’il s’agit d’abord de sauver les intérêts privés de big-pharma…
J’espère que ma demande est compréhensible à défaut de pouvoir être satisfaite !Merci pour cet entretien passionnant. Qu’est-ce que ça fait du bien !
Sujet passionnant. Je regrette simplement la faiblesse des arguments avancés lorsqu’il s’est agi d’analyser le cas Raoult. Je conseille la lecture de Laurent Muchielli pour y voir plus clair.
Autre regret, les phrases du type « bien sur il fallait confiner ». Pourquoi reproduire sans distance le discours du gouvernement: confiner pour éviter d’engorger l’hopital. Je vous invite à lire les études comparatives sur différents pays qui montre que les mesures de confinement n’ont aucun impact sur la propagation de l’épidémie. Voir par exemple « Covid-19 « Mortality: A Matter of Vulnerability Among Nations Facing Limited Margins of Adaptation », Quentin De Larochelambert, Andy Marc, Juliana Antero, Eric Le Bourg and Jean-François Toussaint, Frontiers in Public Healths.merci pour ce remarquable échange!!!
Je dois dire que je suis assez déçue par cette interview, pour les raisons dont a parlé dans son commentaire Patrice Lardeux.
J’hallucine par le manque de réactivité générale de la gauche devant ce que Macron et son gouvernement nous infligent. Où est passé l’esprit
critique des intellos et des politiques de gauche? Ils semblent, et vous semblez, tétanisés par les gens de droite qui portent
la contestation. Vous ne paraissez même pas inquiète par ce vaccin ARN, qui en se combinant avec l’ADN de nos cellules pourrait changer
notre génome, selon ce qu’en disent les scientifiques. Pourquoi ne pas en avoir parlé? etc; etc.Pardon c’est Maryse Vidal que je rejoins dans sa critique et ses propositions de lecture.
J’ajoute qu’il est urgent de voir et surtout écouter l’entretien de Taddei avec Frank Lepage et cie dans « Interdit d’interdire ».
Enfin des voix de l’éducation populaire qui s’élèvent contre cette scandaleuse et infantilisante stratégie de la peur.Je suis fasciné par le visage de Charlotte. On a dû se rencontrer dans une autre vie…
Très intéressant d’explorer les récits et les imaginaires qu’ils convoquent.
Une petite coquille dans le prénom de l’invitée : c’est Charlotte (sans ‘s’).
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