Qu’est-ce qu’un bon film ?

avec Laurent JULLIER
publiée le
animée par Murielle JOUDET

J’ai découvert « Qu’est-ce qu’un bon film ? » sur les conseils avisés d’un abonné qui me suggérait d’inviter Laurent Jullier car il défendait en esthétique des positions diamétralement opposées aux miennes. A la lecture je passe mon temps à souligner des passages, à m’énerver, à répondre à mon livre à haute voix et me sens visée par ce qu’il appelle « la cinéphilie orthodoxe ». Je suis partisane d’un certain « beau en soi » alors que pour Jullier il n’y a que du « beau pour moi » : il n’y a pas de « film-texte », uniquement des « situations cinématographiques » dans lesquelles nous opérons des jugements de goût, influencés par tout ce qui nous entoure : le support, la personne qui nous accompagne, notre situation professionnelle, nos humeurs.

C’est au fond deux façons de voir la  « prétention à l’universalité » du jugement de goût, celle qui nous fait dire « c’est beau » devant un film alors que nous sommes censés d’écrire un état subjectif. Pour Jullier le jugement esthétique ne doit en aucun cas prétendre à l’universalité afin d’éviter « le dégoût du goût des autres » qu’il attaque fermement ; je dois m’en tenir à dire « ce film me convient ». Alors que pour moi, cette prétention à l’universalité est la condition même du partage, de la discussion; sans cela, plus d’enjeux. Si « des goûts et des couleurs on ne dispute pas », Kant résumait finalement que l’art, « c’est ce dont on discute ». Dont acte.

Murielle JOUDET

Durée 74 min.
  • Commentaires

15 réponses à “Qu’est-ce qu’un bon film ?”

  1. Jack Pougne

    À 6:27, vous avez mis une photo de Lévi-Strauss pour illustrer Marcel Mauss ?! Bon d’accord les deux finissent par ‘auss’ mais quand même 😀

  2. lionel goutelle

    Passionnant…Je croyais relire la distinction au début de l’entretien…(cf le dégoût des autres autres goûts », mais au nom de quoi et de quel droit? finalement ce débat est encore très vivant)…Je ne connais ni le livre ni l’auteur (pardonnez mon inculture). Il me semble qu’il déteste sans le dire (sauf à la fin: « Goffman oui, Bourdieu non ») la sociologie « critique », la catégorisation et la hiérarchisation des goûts en « légitimes » « intellos » « populaires »,etc…. Il livre un plaidoyer vigoureux et troublant pour dire tous les goûts se valent (puisqu’ils ne sont que le reflet d’expériences de vie différentes, ce en quoi la sociologie bourdieusienne serait tout à fait d’accord), même s’ils ne sont pas en position de pouvoir équivalente…Bref, il défend « le relativisme culturel »…je suis curieux de lire son livre car effectivement le cinéma est une forme d’émotion multidimensionnelle qui mérite analyse fine…décidément, on ne sort pas du jeu de la culture, fusse pour se distinguer en affirmant au nom de quoi cette prétention à la distinction (et implicitement à la supériorité) des « cinéphiles orthodoxes »?… C’est peut être le problème des « adversaires » de Bourdieu…ils confirment par l’absurde que la culture est bien un enjeu de lutte, quitte à occuper dans cette lutte la position de celui qui veut refuser le jeu, et avoir le dernier mot. Participer au jeu du commentaire sur la culture (comme je le fais), c’est prouver de fait qu’elle est un enjeu de lutte. Bourdieu disait « s’il y a une vérité, c’est que la vérité est un enjeu de lutte »…

  3. Jack Pougne

    @Judith : j’essaye tant que possible à remettre en cause mes pauvres certitudes, mais là… si ce monsieur en photo n’est pas Claude Lévi-Strauss, je veux bien manger mon noeud papillon 😀
    Autrement, émission très intéressante, merci.

  4. Bernard Guericolas

    Merci Murielle et Judith de nous avoir fait connaître Laurent Jullier ! Cet entretien pointilliste (peu d’arguments sont poursuivis très avant) donne envie de beaucoup creuser cette question : beau absolu universel vs. beau subjectif (au cinéma comme dans tous les artefacts). En tous cas je vais me précipiter sur ce livre. Un début de réponse par Laurent Jullier vers la fin : donner les outils pour mieux discerner les modalités du beau et donner les mots pour l’exprimer. Et puis, je me sens à 100% en phase avec Laurent Jullier (mais il faut que je le lise) et je commence à comprendre pourquoi je supporte si mal les « critiques » de Pierre Murat ou Louis Guichard, entre autres. Mais je ne devrais pas en être si irrité : comme il est dit dans cette émission, « la critique cinématographique est une forme littéraire comme une autre ». Alors, si la critique cinéma n’est que littérature, pourquoi en éprouver désagrément et colère ? 😉

  5. Papriko

    @ Murielle Joudet : j’espère que vos futures émissions seront consacrées autant au cinéma qu’à l’étude de la fonction des salariés qui gagnent leur vie en parlant du cinéma.

  6. Totorugo

    Bravo Murielle et merci pour cette émission !

    Je me suis senti agressé par ce « penseur » qui ne pense absolument rien et qui applique au jugement de goût le théorème des économistes ultra-libéraux : « laissez-faire, laissez-passer », tout sera pour le mieux. Je me suis senti agressé, parce je trouve extrêmement violent ce parti pris de plus en plus répandu (et qui n’a rien de subversif) de déclarer les « chefs-d’œuvre » systématiquement porteurs d’une prise de pouvoir, d’une domination culturelle, etc. Je ne suis pas un cinéphile, je ne connais absolument rien à la technique du cinéma, me mélange les pinceaux dans son vocabulaire, n’ai aucune connaissance historique ni chronologique, n’ai jamais lu le moindre livre d’histoire ou de théorie du cinéma, encore moins de revues, etc. Je suis pourtant bouleversé par la plupart des films de Robert Bresson. « Prénom Carmen » de Godard m’a ému aux larmes. Etc. Je suis incapable d’expliquer pourquoi et n’en ai aucune envie. Mais je supporte très mal de me sentir, alors que je correspond si peu au « profil », rangé toujours dans une catégorie je-ne-sais-pas-trop-quoi, intello, élitaire, cahiers-du-cinéma, auteurisme et compagnie. La seule chose que je crois savoir quant à mes raisons d’aimer ces films, c’est que je ne les aurais probablement jamais goûté en n’en regardant que cinq minutes en passant (et votre invité qui se réjouit qu’on puisse aujourd’hui, pendant ses cours par ex., découvrir sur internet un petit fragment par-ci par-là de tel ou tel film, au hasard – quel aveu de consumérisme…) ou en discutant une réplique sur deux avec les copains. « Expérience esthétique » ? Je ne sais pas… C’est en tout cas l’impression que m’ont laissé tous les films qui m’ont touché, l’impression d’être entré dans quelque chose de l’ordre de la communion entre une part de moi peut-être plus estimable que ce que je suis au quotidien et un objet sonore et visuel puissant et inviolable. Oui, inviolable, parce que l’art, c’est ce qui n’est pas à vendre, et les films qui m’ont le plus touché sont ceux que j’ai ressentis comme les plus puissamment réfractaires à devenir marchandises. Bien sûr, ça fait belle lurette que le capitalisme a trouvé le moyen de vendre même l’invendable, et donc de violer même l’inviolable, mais enfin disons que les films de Bresson se vendent sans doute beaucoup moins bien que ceux de Besson – et que ce que j’attends d’une institution (Cinémathèque, sujets du Bac, etc.), c’est justement de permettre à ces films si peu faits pour la « consommation » de nous toucher encore, plutôt que d’être morts et enterrés par la loi de l’offre et de la demande.

    Merci encore, Murielle.

  7. Papriko

    « Précision : les émissions sont tournées à deux caméras, mais avec un seul cadreur : les deux cams ne peuvent donc pas être éloignées l’une de l’autre.  »
    @ Judith : je dirais plutôt que les deux caméras sont proches l’une de l’autre parce que c’est la même caméra qui sert à faire les plans rapprochés et comme elle doit cadrer de façon symétrique les deux interlocuteurs, elle se trouve à égale distance des deux (donc proche de la caméra qui donne le plan large).
    Puisqu’on parle technique, j’ajoute que les gros plans sont souvent trop « gros ». Ces plans « plans poils-de-nez  » sont inutiles et souvent indécents. Ils me rappellent les horribles gros plans de l’époque de l’ORTF, abandonnés depuis une quarantaine d’années. (1).
    Je persiste à penser qu’une réalisation à trois caméras serait plus naturelle. Un seul cadreur suffirait car, une fois les plans – fixes – calés, sa fonction se réduirait à vérifier que tous se passe bien (en gros, à contrôler la mise au point, qui n’a aucune raison de se décaler, surtout si on évite les trop longues focales, c’est-à-dire le plans poils-de-nez).

    (1) : http://img4.hostingpics.net/pics/333489Dumayetpoildenez.jpg

  8. Klerian

    Bonjour,

    Je n’arrive pas à cerner l’objet de la discussion…
    Le reproche que je fertai à murielle ne serait pas de trop parler, mais plmutot de ne pas finir ses phrase si bien ce que je ne sais quasipment jamais ce qu’elle entend vouloir dire…

    J’ai le meme souci de compréhen,sion avec Maja d’ailleurs.

    Bonne journée,

    Cyril.

  9. gomine

    merci Totorugo pour votre commentaire magnifique

  10. Papriko

    La notion d’esthétique semble essentielle à Murielle Joudet.
    Mais l’esthétique est-elle si importante pour juger de la qualité d’un film ?
    Je ne pense pas que les spectateurs vont au cinéma comme ils iraient voit une exposition de peinture.
    Un bon film (le titre de cette émission est bien: « Qu’est-ce qu’un bon film ? ») est surtout, me semble-t-il, un film qui raconte une histoire intéressante (émouvante, si possible) interprétée par des acteurs convaincants. Bref, un bon scénario, bien interprété et mis en scène avec talent. J’espère qu’on pardonnera ses propos à l’esprit simple que je suis, qui n’a rien lu de Kant et qui ne sait donc pas si les réflexions de ce brave Emmanuel sur l’esthétique pourraient s’appliquer a postériori au cinématographe.
    Je relève également l’étrange intérêt de Murielle Joudet pour l’amateurisme (très « tendance » ces derniers temps, il s’épanouira à coup sûr dans la future sixième république), les professionnels de la critique cinématographique n’existant selon elle que pour des raisons économiques. Si j’ai bien compris, n’importe qui devrait être autorisé à faire ses commentaires sur un film dans n’importe quel journal ou magazine. Espérons que, dans cette hypothèse, le lecteur conserverait le droit de ne pas les lire.

  11. Papriko

    @ cyrilkenyatta :
    Je suis à peu près d’accord avec tout ce que vous dites, notamment sur la mise en scène. Il n’y a pas de film sans mise en scène, c’est certain. Mais la mise en scène doit rester invisible. Le spectateur ne doit pas être conscient que ce qu’il voit sur lécran a été enregistré par une caméra. Un travelling trop apparent est aussi gênant que l’ombre de la perche du micro sur le mur du fond.
    J’espère que « Dans le film » ne sera pas une émission barbante « pour cinéphiles ». Il n’y a pas que « Besson et Bresson ». Beaucoup de très bons films sont sont très classiques dans leur forme et sont d’ailleurs réalisés par des cinéastes qu’on ne classerait pas parmi les « grands cinéastes ».

  12. Ribouldingue 80

    Difficile d’adhérer à une émission sur le cinéma avec un invité qui met sur le même plan Besson et Bresson et une animatrice qui déclare ne pas aimer Bergman et qui n’a retenu de Monika que les poils sous les bras.
    http://comediennes.org/actrices/photo/90

  13. Papriko

    Nous découvrons en Laurent Jullier un homme courtois et plein de bon sens. Son humour, sa patience et son indulgence envers les jugements à l’emporte-pièce de la jeune Murielle méritent admiration et respect.

  14. MSC

    @Lefayot (très – trop ? – longtemps après …)

    Vous citez Bourdieu :
    « Parce que les pratiques les plus nobles et les plus rares leur sont interdites, les cadres subalternes et les cadres moyens peuvent trouver dans la dévotion photographique, esthétisme du pauvre, comme dans toutes les pratiques culturelles de second ordre, qu’il s’agisse de la lecture de revues de vulgarisation, Historia ou Science et vie, ou de l’érudition cinématographique un moyen à leur portée de s’affirmer comme différents. Parce qu’elle ne se détermine que négativement, l’esthétique apophatique des dévots reste déterminée, dans le choix de ses objets ou dans la manière de les saisir, par l’esthétique populaire qu’elle nie.» (Un art moyen)

    Et vous enchaînez : « Ce qui tendrait à prouver que pour Bourdieu la hiérarchie esthétique existe […] »

    Il me semble que c’est une conclusion difficile à tirer du passage que vous citez. Bourdieu y dit uniquement qu’il y a une hiérarchie entre pratiques culturelles, et une hiérarchie socialement instituée. Et en effet : qui mettrait la pratique de la photographie ou la lecture des cahiers du cinéma sur le même plan (social) que la pratique du golf, la fréquentation de vernissages « VIP », ou l’oenophilie version grands crus classés ? De ces pratiques, « plus nobles et plus rares », sont exclus « les cadres subalternes et les cadres moyens » qui dans leur recherche de pratiques ennoblissantes adoptent « une esthétique apophatique » dont le négatif est l’esthétique populaire – qui détermine donc ces pratiques « moyennes » (ces derniers guillemets ne marquent pas une citation mais un raccourci). Je ne crois pas que Bourdieu dise autre chose (forcément me direz-vous, en paraphrasant à ce point …), en tout cas pas de trace d’une reconnaissance d’une hiérarchie esthétique autre que socialement construite ; et c’est là qu’on retombe sur l’incompréhension initiale : qu’est-ce qui pousse Laurent Jullier à refuser si massivement le parrainage de Bourdieu que Murielle Joudet lui propose, non sans logique d’après le contenu de l’entretien ?
    Si un autre passage de l’oeuvre de Bourdieu (ou le même lu différemment) ou de celle de L. Jullier, permet un éclairage sur la question, je suis preneuse.

    Par ailleurs, pour continuer de paraphraser d’autres commentaires, merci à Murielle et Judith (et Maja et Laura) de nous offrir des voix différentes de celles qui nous bassinent partout … et des leurs propres !

  15. PM2046

    Nouvel abonné, je n’ai vu la vidéo que hier soir. Enfin j’ai arrêté à la moitié, trop agacé. Laurent Julllier n’a pas pu faire deux phrases complètes, étant systématiquement et longuement interrompu. J’ai lu son livre à sa sortie. Je me souviens qu’il pose de très bonnes questions et que j’avais révisé mes positions. Mais ici, tout est enterré, contredit avant même d’être exprimé, toutes les propos de L. Jullier sont ramenés par l’interviewer à des simplismes ( avec grand renfort de Kant et autre références à la grande cinéphilie française). Résultat, on dirait une dispute politique à la télé. Laurent Jullier a à peine eu le temps de dire qu’à l’origine de son livre, il y a une critique du « dégout des gouts des autres ». Dégout parfaitement illustrée par l’interviewer qui exprime son dégout de l’opinion de son invité. Bien déçu.

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