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Depardieu et les années 70

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Depuis le mouvement #Metoo, le tombereau d’affaires qui s’enchaînent nous obligent toujours à opérer un travail d’analyse, mais on ne sait jamais très bien lequel, et par où commencer. Que faire de nos totems culturels, tombés du ciel des images, redevenus des hommes et même des agresseurs ?
Concernant Gérard Depardieu, accusé de viols et d’agressions sexuelles par plusieurs femmes, et dont on a découvert la spectaculaire déchéance à la faveur d’un reportage (très putassier) de Complément d’enquête, deux lignes se sont nettement dégagées.
L’une consistait à défendre mordicus le monument national, le plus grand acteur vivant, l’ogre, l’artiste rabelaisien et bon vivant, forcément victime expiatoire d’une époque puritaine assoiffée de judiciarisation.
L’autre, qui souhaite se débarrasser de l’homme et de l’oeuvre, revoit des bouts de films de Depardieu pour juger à la hâte que le ver était déjà dans le fruit : Blier, Les Valseuses, c’est déjà la culture du viol, le masculinisme à la française. Et dans sa hâte à poser son verdict, mélange tout : l’espace symbolique, le réel des affaires. Surtout : le travail d’analyse n’est jamais fait. On juge Les Valseuses à partir d’un souvenir, et même d’une scène, celle où Brigitte Fossey se fait agresser par les deux loulous dans le train.
Et si une troisième voie était possible ? Qui consisterait à ne pas forcément tenir à préserver le monument national, ni à jeter avec l’eau du bain « l’imaginaire Depardieu ». Ni instinct de conserver notre vieux jouet, ni élan punitif – qu’on laisse à la justice.
C’est ce qu’on tente ici de faire avec notre invité, le critique et réalisateur Guillaume Orignac. Et cette émission est partie de plusieurs constats: il est souvent demandé à la critique de faire, justement, son autocritique. Et dans l’urgence du repentir que j’ai pu lire ici et ailleurs, se perd tout simplement la finesse de l’analyse, l’exigence intellectuelle. On ne peut pas penser, si on a l’impression d’avoir le pistolet de l’opinion sur la tempe. On jette tout par-dessus bord (en n’en pensant pas moins en privé), en se convertissant bêtement à la morale du présent.
Ou alors on réfléchit par tribunes interposées qui opèrent par raccourcis, séductions, slogans, envie de se faire l’adversaire.
Bref, ce travail d’analyse devient (pour d’innombrables raisons) impossible à faire. Peut-être, au fond, parce que réfléchir vraiment à « l’imaginaire Depardieu », ce serait en venir à des nuances qui font toujours moins vendre que les verdicts prêts-à-l’emploi.
L’analyse suppose du temps, un peu de rigueur, de revoir des dizaines de films, d’aller chercher dans les biographies. De ne pas ramener une filmographie, riche de 200 films, à une scène souvent mal appréhendée. Et puis surtout, il faut discuter avec quelqu’un qu’on n’a pas envie de « se faire », sortir tout simplement des mirages du débat pour renouer avec la maïeutique, la joie de comprendre: c’est quoi Depardieu ? Ca vient d’où et ça fonctionne comment ? Pourquoi ça a été génial ? Quelle idée de la masculinité incarnait-t-il ? Et les femmes selon Depardieu ?
Et puis, se fixer une méthode. Voici la nôtre : on s’en est tenus à une décennie, les années 70, là où tout commence pour lui. On a revu les films, on se repasse les extraits en entier: typique, l’extrait avec Brigitte Fossey dit bien des choses pourvu qu’on ne s’aveugle pas de panique, qu’on ne fronce pas d’avance le sourcil et qu’on le regarde en entier.
Depardieu n’a pas surgi du noir, il y a un contexte politique, une France bien précise qui se dessine toujours derrière lui. L’urbanisation de la France, le surgissement du Mouvement de libération des femmes, la légalisation de la pilule (1967), la dépénalisation de l’avortement (1975), une nouvelle guerre des sexes, que thématise une grande part du cinéma d’auteur de l’époque, et qui se formule à travers la question du viol, qui, de manière troublante, revient en boucle dans les années 70.
Avant d’être un monument, Depardieu a été un agent du chaos, venu d’en bas, dont les différents rôles ont tous pris en charge une certaine angoisse de la masculinité vouée à disparaître, égarée dans une mise en scène dont elle ne détient plus les clés. Constamment, il doit affronter une féminité qui, elle, s’organise, se réfléchit, pense collectivement. Le Depardieu 70s, c’est un Depardieu obligé de soutenir le regard des femmes, leur jugement et leur émancipation.
Et si le temps avait fait une boucle ? Et Depardieu avec ?
Murielle JOUDET
4 réponses à “Depardieu et les années 70”
L’émission est absolument passionnante – j’aurais bien aimé qu’elle continue une heure de plus -, merci !
Très belle émission, sauf la fin où l’invité tombe dans panneau dictateur: l’inculture des gens du cinéma en matière de politique est sidérante . Actuellement , plus de 90% des artistes sont incapables de dénoncer les crimes contre l’humanité commis en Palestine , mais pour la Russie , on peut y aller!!!!
Aux USA , tout va bien avec le régime du sénile Biden…ou en France avec le petit président … Ce que j’attends des féministes c’est qu’elles se regardent dans la glace et soient capables de dénoncer les femmes , comme la présidente de l’ »europe » qui soutient le carnage à Gaza: on a le droit de rêver. En ce moment , je soutiens les femmes de Gaza . La justice eaux ordres du pouvoir jugera GD . L’aspect qui n’a pas été évoqué est la mort de son fils qui a certainement perturbé sa vie.Les artistes et leurs réalisations artistiques : L’émission commence par évoquer Céline ! Aujourd’hui encore, on convoque le génie de Céline et de GD pour faire suite (?). En politique, aussi on réécrit l’histoire de Pétain, on n’arrive pas encore à réécrire complètement Hitler, mais on va y arriver un jour (avec la fenêtre d’Overton, forcément).
Je n’ai pas vu tous les films dont l’émission est émaillée, mais finalement, si je ne les ai pas vus, c’est peut être que à cette époque-là, mon attirance pour ce personnage comme pour celui de Gabin, était déjà largement émoussée. GD finalement depuis ses débuts joue GD et rien d’autre et « l’industrie du cinéma français » (comme on dit des autorités internationales pour parler de l’Occident) s’en est bien accommodée. C’est un renversement coutumier du cinéma français. C’est dit dans l’émission, certes d’une manière plus positive.Le summum de la perversion, c’est sa défense contre toutes évidences par le Président. Le bloc bourgeois frissonne toujours bien avec sa créature.
Toutefois, cette émission était effectivement la bienvenue après avoir laissé passer le buzz. Merci.
Invité très intéressant bien mis en valeur par les commentaires et le questions de Murielle Joudet. Un regret : l’allusion (au tout dernier moment…) de Guillaume Orignan (qui devrait limiter ses commentaires à son domaine de compétence : le cinéma) aux « dictatures ».
Emission parfaitement réalisée et montée. Merci à Murielle et Raphaël pour ce beau travail.
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