Contre la résilience
Aux Ressources
Thierry Ribault
Laura Raim
La résilience désigne, à première vue, une bien jolie chose : une ressource psychique précieuse qui permet de traverser une épreuve traumatique et d’en sortir plus fort. Dans son bestseller de 1999 Un merveilleux malheur, le neuropsychiatre Boris Cyrulnik filait ainsi l’inspirante métaphore de l’huître qui, pour se protéger du grain de sable qui la blesse, secrète du calcaire, produisant ainsi une perle.
A en croire la philosophe Cynthia Fleury, il nous est ainsi permis d’espérer de sortir grandis de la pandémie de covid19 : « nous pouvons vraiment apprendre quelque chose de cette crise, refonder nos modèles de résilience collective ». Un espoir qui ne sort pas indemne, toutefois, de la lecture du dernier livre de Thierry Ribault. Contre la Résilience. A Fukushima et ailleurs (L’Echappée). Ayant vécu une dizaine d’années au Japon, le chercheur au CNRS a été aux premières loges, après l’accident nucléaire de 2011, pour observer la manière dont le concept de résilience s’est avéré un outil fort utile pour gérer un désastre ingérable : car « dans son processus pseudothérapeutique, la résilience consiste à substituer à ce qu’elle ne peut résoudre – la dégradation biologique dans un milieu contaminé – des problèmes de circonstance auxquels elle affecte d’apporter des solutions ». Voilà donc l’astuce : escamoter les problèmes impossibles, tels que les effets irréversibles induits par une exposition au rayonnement, en "avançant des problèmes de substitution tels que l’état mental et l’habilitation des individus, l’« empowerment », et la « reconstruction » des communautés dans lesquelles ils vivent. »
Pour Thierry Ribault, la résilience n’est pas une bonne chose en soi, une force humaine qui aurait été malencontreusement récupérée et instrumentalisée par le néolibéralisme, toujours enclin à compter sur les individus pour surmonter les catastrophes engendrées par un système qu’il n’est pas question de remettre en cause. Il s’agit foncièrement d’une idéologie de l’adaptation et de la soumission, et d’une technologie du consentement, qui transforme les victimes en « acteurs » cogestionnaires de la dévastation.
Laura RAIM
Livres et articles cités
- Laura Raim, "Contre la résilience", Regards, 2 avril 2020
- Nadine Ribault, Thierry Ribault. Les sanctuaires de l’abime : chronique du désastre de Fukushima. Ed. de l'Encyclopédie des nuisances, 2012
- Laura Raim, En Floride, les riches n’auront pas les pieds dans l’eau, Le Monde diplomatique, mai 2020
- Primo Levi, Si c'est un homme.
- Robert Proctor, Golden Holocaust, La conspiration des industriels du tabac, Editions des Equateurs, 2014
- Joseph Gabel, La réification, Allia, 2009
- Theodor W. Adorno et Max Horkheimer, Dialectique de la raison, 1972
- Soraya Boudia, Emmanuel Henry (dir.), La mondialisations des risques. Une histoire politique et transnationale des risques sanitaires et environnementaux, Presses universitaires de Rennes, 2015
- Eva Illouz, Les sentiments du capitalisme, Seuil, 2006
- Gunther Anders, Hiroshima est partout, Seuil, 2008