"Planter du Blanc", le néocolonialisme français
Aux Sources
Saïd Bouamama
Au nom de quoi la France possède-t-elle toujours, en 2019, et en violant ostensiblement certaines résolutions de l’ONU, des territoires en Amérique latine, au large de Madagascar et en plein Océan pacifique ? Comment s’y prennent nos gouvernements pour endiguer, le plus discrètement possible, les velléités indépendantistes des populations ultra-marines ? Pourquoi huit pays africains utilisent-ils encore une monnaie portant le nom de l’ancien occupant, le franc CFA ? En quoi la philosophie des Lumières peut-elle s’avérer le corolaire, et non le remède, de discriminations raciales ? Dans « Planter du Blanc ». Chroniques du (néo)colonialisme français (Syllepse, 2019), un livre incroyablement documenté sur le plan historique et factuel, le sociologue Saïd Bouamama apporte des réponses édifiantes.
Ce livre a de nombreuses vertus. D’abord, pour paraphraser Aimé Césaire, il montre que le colonialisme français n’est pas mort. Il excelle à se renouveler pour mieux se maintenir ; par exemple en substituant un racisme culturel à un racisme biologique, ou en accordant aux anciennes colonies une indépendance corsetée et une souveraineté mutilée. Par ailleurs, cet ouvrage ambitieux s’intéresse à la manière dont le néocolonialisme français se déploie dans trois espaces différents : les anciennes colonies africaines ; les départements et régions d’outre-mer ; le territoire métropolitain et ses quartiers populaires. Chaque espace a ses particularités mais il existe aussi des logiques transversales, qui font le propre de la domination coloniale. Saïd Bouamama met en évidence ces invariants : traitement d’exception, hiérarchies raciales, extraversion de l’économie au service des besoins de l’économie française, expropriation terrienne.
En puisant dans la pensée marxiste, mon invité montre combien l’entreprise coloniale est indissociable de l’histoire du capitalisme. L’accumulation primitive de richesses par la bourgeoisie européenne fût rendue possible par la conquête des Amériques, l’extermination de ses populations, le pillage de ses ressources et la traite négrière. Deux siècles plus tard, la colonisation de l’Afrique et de l’Asie permit la révolution industrielle en apportant à l’Europe les nouveaux espaces dont elle avait besoin. Enfin, malgré la vague de décolonisations consécutive à la Seconde Guerre mondiale, les pays industrialisés anciennement coloniaux maintiennent leur domination sur le reste du monde grâce à la structure inégalitaire du marché mondial. Au cours de l’émission, Saïd Bouamama revient en détails sur cette histoire, avec une grande clarté didactique, et le souci de donner à son auditoire des clés pour poursuivre la décolonisation de nos institutions, de nos pratiques, ainsi que de nos imaginaires.
Bon visionnage !
Manuel Cervera-Marzal