Écoutons d’abord Mohamed Ali, considéré par beaucoup comme le plus grand de tous les temps : « C’est vrai que je n’ai jamais fait qu’une seule chose dans ma vie, combattre, mais il y a toujours eu une partie de moi qui se rebellait contre ça. Peut-être parce que ceux qui en tirent profit pensent que les boxeurs sont stupides. Ils nous considèrent comme les instruments d’un divertissement pour riches… Et puis j’ai toujours cette image cauchemardesque de deux grands esclaves noirs qui se battent jusqu’à s’annihiler l’un l’autre pendant que leurs maîtres fument de gros cigares en criant et en nous exhortant, excités par le sang ».

Des pauvres, souvent noirs, qui s’entretuent sur un ring pour enrichir des riches, souvent blancs (une petite clique de managers et promoteurs) ? Ce serait cela, la boxe ? Un monde structurellement inégalitaire, où, aux États Unis, une petite vingtaine de boxeurs concentrent 99% de l’argent généré par ce sport, et où, en France, sur 400 professionnels de la cogne, à peine 5 ou 6 vivent réellement de leur métier ? Des promesses déçues d’ascension sociale, une masculinité tragique qui contraint à le boxeur à ruiner ce qu’il valorise par dessus tout : son corps ?

Pour en discuter, je reçois le sociologue Loïc Wacquant pour son nouveau livre, tout juste paru aux éditions de la Découverte : Voyage au pays des boxeurs. Fruit d'une longue immersion au sein d'un club de boxe du ghetto noir de Chicago, cette enquête nous fait sentir ce qui se joue sur le ring, loin des clichés que nous pouvons avoir sur le sujet. L'univers de la boxe professionnelle, avec ses codes, sa morale et ses gratifications symboliques plus que matérielles, est un miroir grossissant des contradictions de la société états-unienne. A travers la boxe, ce sont la ségrégation raciale, l'exploitation capitaliste et les coûts de la virilité qui se donnent à voir. Qui sont les boxeurs ? Comment en viennent-ils à se vouer corps et âmes à leur métier ? Et que nous apprennent-ils sur notre monde social ? Voici le programme de cette émission.

Manuel Cervera-Marzal

Références

W.C. Heinze, The Professional, New York, Arbor House, 1958
Jim Tully, Le boxeur, Saint-Roman, Les éditions du Sonneur, 2020 (1936)
Leonard Gardner, Fat city, Auch, Tristram éditions, 2015 (1969)