Ni barrage républicain Ni union nationale, faire front populaire
Aux Sources
Olivier Besancenot et Ugo Palheta
Début juillet 2024 en France, un parti d’extrême-droite est aux portes du pouvoir. Du jamais vu sous la Ve République. Les étrangers, les réfugiés, les immigrés, leurs descendants, les sans papiers, les musulmans, les maghrébins, les roms, les noirs et les quartiers populaires dans leur ensemble sont les premières et les principales cibles des politiques d’extrême droite.
Au premier tour des législatives, 9 344 000 de Français ont voté pour le Rassemblement national et ne masquent désormais plus un racisme qui progresse jour après jour dans tout le pays. L’alignement et la clarification de Jordan Bardella sur les positions macronistes en matières fiscales, sociales, monétaires et européennes, qui sonnent comme une proposition allusive de rapprochement avec les classes dominantes, n’ont absolument pas perturbé la progression du RN qui, depuis les européennes, a gagné un peu moins de deux millions d'électeurs. Les classes laborieuses blanches sont tellement xénophobes et déçues de la gauche socialiste au pouvoir (François Mitterrand, Lionel Jospin et François Hollande) qu’elles ont voté une nouvelle fois contre leurs intérêts de classe. Le Nouveau Front Populaire (NFP), avec son programme de rupture, récolte environ neuf millions de voix, tandis que la majorité présidentielle en compte un peu plus de six millions. Ce n’est plus trois blocs qui s’affrontent mais bel et bien deux Fronts.
Le RN bénéficie cependant de deux atouts majeurs: une partie de la macronie, qui est arrivée en troisième position, n’a pas souhaité se désister en faveur du NFP quand il s’agissait de candidats de La France insoumise (LFI) ou du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) - ils ont la fâcheuse tendance de défendre un peu trop les Arabes et de s’en prendre aux capitaux et privilèges de la bourgeoisie. Ainsi, aux européennes, 80% des deux millions de nouveaux électeurs du RN ont voté Emmanuel Macron en 2022. Le deuxième atout du RN est sa proximité idéologique avec un autre parti, sans aucun doute le plus fourbe et sous-estimé: le Parti médiatique. Chaque soir à 20h, plus de 15 millions de personnes se réunissent devant les grandes chaînes de télévision qui, depuis l’annonce de la dissolution par Emmanuel Macron, sont en roue libre pour salir le NFP et en particulier Jean-Luc Mélenchon, tout en ménageant et en dédiabolisant le Marine Le Pen. Il n’y a pas que Bolloré TV et les controverses « de gauche » anecdotiques sur le réseau X dans la vie. A l’heure où j’écris ces lignes, la gauche bourgeoise (Parti socialiste et Europe écologie les verts) est tentée par une « union nationale républicaine » avec Macron en cas d'échec du RN à obtenir une majorité absolue: ou comment s’asseoir sur le programme commun de rupture du NFP, décevoir ses électeurs et s'assurer d’une victoire de Marine Le Pen en 2027. Est-ce si surprenant de leur part
De manière plus générale, comment vivre et penser sereinement cette angoissante et parfois décourageante période d’entre-deux-tours ? Quels enseignements tirer des ratés de la gauche dans certaines zones rurales trop délaissées, la France n'étant toujours pas un campus de Paris VIII grandeur nature ? Comment convaincre les abstentionnistes d’aller voter - environ 33% au premier tour ? Un gouvernement RN au pouvoir, ça donnerait quoi ? Pour quelles raisons « faire barrage républicain » est une faute politique et qu’il faut faire front hégémonique, au sens gramscien du terme, pendant plusieurs années voire des décennies après le second tour ? Pour en discuter, je reçois Olivier Besancenot, membre du NPA et candidat de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR, l’ancêtre du NPA) aux présidentielles de 2002 et de 2007, auteur de plusieurs ouvrages dont Prenons parti (Mille et une nuits, 2009) co-écrit avec Daniel Bensaïd. Je reçois également Ugo Palheta, sociologue et auteur de La Nouvelle Internationale fasciste (Textuel, 2022) et de La Possibilité du fascisme (La Découverte, 2018).
Selim DERKAOUI