Histoire souterraine de la sécularisation
Dans le Texte
Mohamad Amer Meziane
Judith Bernard
(émission conçue et animée par Louisa Yousfi)
Lorsqu’on parle de sécularisation, on évoque généralement le processus par lequel les sociétés occidentales se seraient libérées du joug des religions au profit du règne de la raison émancipatrice. La critique du ciel serait ainsi advenue de l’intérieur de l’Occident, en un mouvement purement endogène, garantissant une séparation du religieux et du politique, propice à l’émergence de sociétés démocratiques.
Dans son livre Des Empires sous la terre. Histoire écologique et raciale de la sécularisation (La Découverte, 2021), le philosophe Mohamad Amer Meziane déboulonne, dans un geste déconcertant d'originalité, ce grand récit de la sécularisation en remontant aux origines du phénomène. La version qu'il nous livre est proprement inouïe : loin d'en avoir été le moteur principal, la mort de Dieu ne serait qu'un effet collatéral de la sécularisation dont le véritable mobile est le projet colonial que l'Occident fomente et réalise comme un désir de résurrection de l'Empire romain. Ce n'est donc point d'un phénomène intra-européen qui se serait étendu au reste du monde grâce à la colonisation dont il est question. La sécularisation est la modalité stratégique par laquelle l'impérialité de l'Europe s'est donné le moyen de revivre grâce à la colonisation et la racialisation des populations indigènes, plus exactement de l'Islam, grand rival historique, qui va se constituer alors jusqu'à nos jours comme la figure fanatique d'une sécularisation impossible. La sécularisation, nous explique Mohamad Amer Meziane, est donc indissociable de son rapport à cette altérité radicale islamique qui hante l'impérialité occidentale. Renonçant au christianisme pour le réaliser sur terre, la sécularisation inaugure par ailleurs « une ère de prédation de la nature, d’exploitation des ressources et d’exploitation illimitée des sous-sols à la recherche d’énergie ». La sécularisation serait-elle également l'autre nom de la catastrophe climatique ?
En tissant des liens inédits entre sécularisation, colonisation et catastrophe écologique, Mohamed Amer Meziane pose les bases d'un travail qui n'a vraisemblablement pas fini d'ouvrir des horizons de pensées radicalement nouvelles, et peut-être même, révolutionnaires…
Louisa Yousfi