Sur les murs des villes où nous nous entassons, on voit fleurir ce tag : « l’écologie sans la lutte des classes, c’est du jardinage ». Le slogan se plante comme une épine au coeur de nos contradictions : en milieu urbain, l’écologie se résume à quelques rêves de potagers urbains, formés par des bobos qui roulent à vélo, font leurs courses dans des enseignes bio et s’échinent à trier leurs poubelles à défaut de parvenir au zéro déchet. Pour la plupart ils tendent à voter « écolo », c’est-à-dire souvent « capitalisme vert », et s’ils ont entendu parler de « lutte des classes », la formule leur a probablement soutiré le haussement de sourcil narquois qu’on oppose aux vieilles lunes passées de mode. Portée par ces classes supérieures éduquées, identifiées aux intérêts de la bourgeoisie, « l’écologie » est un onguent pour âme délicate sans autre vertu que lénifiante - et le capital peut continuer à rouler tranquille le train de son carnage écocide.

On voudrait leur crier : réveillez-vous ! Soyez communistes si vous voulez vraiment sauver le vivant ! Mais on se retient, on se tapit dans l’embarras, peu fier : le « communisme » n’a guère de titre de gloire en matière d’écologie. Que ce soit chez Marx, dont on ne peut nier qu’il a conçu le projet révolutionnaire en penseur productiviste, ou dans les socialismes réels qui ont donné lieu à des désastres tout aussi écocides que le capitalisme, il n’est pas facile d’étayer notre admonestation : on n’a pas trop de leçons à donner, sauf... Sauf à remettre en chantier le marxisme originel, comme on retourne au grenier pour y trier les archives, en les débarrassant de la poussière souvent trompeuse que l’histoire a déposée.

C’est le travail auquel se livre Paul Guillibert dans Terre et capital, pour un communisme du vivant (Amsterdam, 2021). Sans nier les inclinations productivistes de l’auteur du Capital, Guillibert se mêt en quête des prédispositions écologiques de la pensée marxienne, soucieuse du "métabolisme" des sociétés, métabolisme que Marx jugeait sain ou perturbé selon que le capitalisme était venu, ou non, produire une séparation dans la "totalité naturelle" que forment humains et non-humains qui interagissent dans un milieu donné. Au delà des origines du marxisme, Guillibert suit le fil, minoritaire, de ses héritiers hétérodoxes, qui ont tâché d’articuler le marxisme aux singularités des territoires et des populations, et proposé un communisme émancipé du développement industriel et de la centralité de la classe ouvrière.

Travail d’orfèvre, minutieux, qui exhume des traditions et des concepts méprisés par le communisme orthodoxe, et réhabilite la subversion possible des mondes agraires, l’importance de la question raciale dans les luttes indigènes, les valeurs de la spiritualité... Et détecte, dans les luttes environnementales, territoriales et décoloniales contemporaines des principes communistes qui, s’ils ne s’en réclament pas toujours explicitement, consistent bel et bien en une lutte de classe. Bref : à partir de théories et de pratiques d’émancipation, il met en oeuvre un double mouvement salutaire, consistant à corriger l’écologie par le communisme, et le communisme par l’écologie. C’est un immense chantier qui s’ouvre là, dont l’époque a plus que jamais besoin, et qui appelle à de grands défrichages - à commencer par celui de nos imaginaires et de nos préventions. C’est au prix de cet effort que pourra se fonder en raison ce qu’il appelle de ses voeux et qui, tiens tiens, se manifeste déjà par toutes sortes de prémisses qui sont autant de « déjà là » : un véritable communisme du vivant.

Judith Bernard