Pour la paix en Ukraine
Dans le Texte
Isabelle d'Artagnan, Stathis Kouvélakis, Jérôme Legavre
Judith Bernard
Difficile de faire le point sur la guerre en Ukraine, au loin, tandis que le paysage français rougeoie dans une ardeur quasi-insurrectionnelle. Les fumées des feux de poubelles et des gaz lacrymogènes occupent nos regards et nous font perdre de vue le champ de bataille ukrainien où pourtant explosions et violences sont d'une intensité tragique sans commune mesure. Se serait-on habitué ? Cela fait quatorze mois que l'armée russe a envahi l'Ukraine : quatorze mois de guerre, des villes bombardées, des populations déplacées, des centaines de milliers de morts sans doute, de part et d'autre de la ligne de front, suite à la violation par Vladimir Poutine de l'intégrité territoriale de l'Ukraine et de sa souveraineté.
L'agression est inadmissible, et condamnée à juste titre, mais dire que Poutine "est fou", qu'il "faut l'arrêter" en livrant toujours plus d'armes au gouvernement ukrainien ne saurait tenir lieu de politique responsable, et encore moins de programme pour la paix. Chacun sait que cette guerre dépasse les enjeux locaux, qu'elle engage les puissances internationales dans un bras de fer susceptible de déboucher sur une conflagration mondiale où le risque nucléaire n'est plus à exclure. Face à l'armée russe, ce ne sont pas seulement les Ukrainiens qui sont engagés militairement : l'OTAN et l'Union Européenne ont joué et jouent encore un rôle conséquent dans cet engrenage fatal qui leur est une occasion d'expansion et de profit.
Faut-il alors se ranger derrière la rhétorique guerrière, prendre place docilement dans cette nouvelle "union sacrée" de funeste augure, et consentir sans barguigner à ce que la France envoie des armes de plus en plus lourdes au régime de Zelensky, où les factions oligarchiques et la corruption règnent en lieu et place des "valeurs de la démocratie" au nom desquelles on livre bataille ? Que les médias français se soient (à l'exception notable du Monde Diplomatique) intégralement alignés sur propagande belliciste ne doit pas nous interdire d'analyser la généalogie profonde de cette guerre, et de rechercher une position pacifiste, lucide et responsable.
C'est ce que s'efforce de faire une gauche anti-guerre en cours de (re)formation, qui tente aujourd'hui de se rendre audible : un appel "Halte à la guerre", rassemblant des centaines de signataires européens, circule depuis février dernier, relayé notamment par le Parti Ouvrier Indépendant et des membres de la France Insoumise. Plus largement, une mobilisation en faveur de la paix doit pouvoir prendre consistance, dans la société civile, qui sache à la fois condamner l'agression russe et résister à la spirale belliciste, et c'est dans cette perspective que nous vous proposons cette émission.
En compagnie d'Isabelle d'Artagnan, historienne membre de l'Institut La Boétie et signataire de l'appel "Halte à la guerre", de Jérôme Legavre, député de La France Insoumise et membre du Parti Ouvrier Indépendant, et de Stathis Kouvélakis, philosophe et membre de la rédaction de Contretemps, nous examinons méthodiquement la généalogie locale et internationale de ce conflit, et revendiquons d'ouvrir un espace où la possibilité d'une paix négociée soit à nouveau discutée : c'est à la diplomatie de reprendre la main, et c'est à la société civile de se mobiliser pour faire pression en ce sens. Les peuples n'ont pas vocation à servir de chair à canon pour les industriels et les États qui se livrent bataille : ils peuvent et doivent, comme ils le firent contre la guerre du Vietnam, s'organiser pour former un vaste et puissant mouvement pour la paix capable de faire reculer les gouvernements bellicistes.
Judith Bernard.