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Repenser le féminisme avec Marx

Dans le Texte

Saliha Boussedra

Émission animée et conçue par Galatée de Larminat

Comment penser le corps ? À force d'en étudier le conditionnement social, à travers l'histoire de son assujettissement et de son exploitation, nous en avons presque oublié la vitalité... C'est que les féministes matérialistes ont dû longuement insister sur la construction sociale de l’inégalité femmes-hommes, de leurs sexualités et de la division sexuée du travail, pour s'opposer aux discours essentialistes qui détournent la biologie afin de fonder « en nature » la fatalité de la domination masculine.

Dans Féministe avec Marx. Pour un dialogue avec Judith Butler et les « féministes matérialistes », Saliha Boussedra revient sur ce rejet de l'idée de nature chez les féministes matérialistes des années 1970. Ces lectrices assidues de Marx ont pourtant fait l’erreur de distinguer en Marx le penseur de la nature et le penseur de l’histoire - une séparation que le matérialisme historique tente précisément de dépasser. Leurrées par l’analogie d’Engels (« Dans la famille, l'homme est le bourgeois ; la femme joue le rôle du Prolétariat »), elles ont mésusé du concept de classe sociale, croyant pouvoir l'appliquer aux rapports sociaux de sexe dans la famille. Or, Marx ne s’oriente ni vers une minimisation des rapports entre les sexes, ni vers la constitution d’une classe sociale des femmes. En l’absence d’une lutte des sexes distincte de la lutte des classes, existe-t-il un intérêt stratégique à l’autonomisation des mouvements féministes ? Comment penser la spécificité de nos corps si l’on continue de séparer la société et la nature ?

Cet abandon de l’idée de nature a été poussé à son paroxysme par la philosophe Judith Butler quand, dans les années 1990, elle écrit Trouble dans le genre puis Ces corps qui comptent. En réduisant toute la réalité sociale au langage, Butler s’est empêchée de voir le rapport naturel et vital que nous entretenons à nos corps. Ces derniers ne sont pas seulement nommés, catégorisés, réprimandés, mais aussi affectés, éprouvés, endurés dans leur dimension sensible. Être sensible est indissociablement lié à l’épreuve du besoin et à la mise au travail de nos forces et de nos capacités. Ce corps de chair et d’os entretient un lien de dépendance vitale vis-à-vis de la nature et présente un caractère limité, fini.

Dans une perspective féministe et marxiste, il est pertinent de revenir sur ce que ce corps subit (les grossesses, les violence sexuelles et plus largement les pathologies causées par le travail) pour protester contre les logiques impitoyables du capital. Pauses pipi minutées, exposition à des substances toxiques, cadences infernales : ainsi va le corps humain rêvé par la société capitaliste - un corps aux ressources inépuisables. Les conséquences délétères de l’exploitation capitaliste et de la domination masculine sur les limites naturelles de nos corps sont des signaux d’alarme qui soulignent la nécessité de la lutte politique.

Seulement qui définit ce qui est une activité nuisible ou saine pour le corps — surtout quand il s’agit des corps des femmes ? Situer les limites naturelles des corps, n’est-ce pas toujours risquer de les sanctifier ?

Notre entretien avec Saliha Boussedra se conclut sur la question de la prostitution. Telle qu’elle est développée chez Marx, elle est pensée comme une activité nuisible qui ne peut prétendre au statut de travail, car elle détache l’organisme vivant de sa part d’humanité et de son pouvoir de résistance. Par là même, il condamne les prostituées à l’éclatement constitutif du lumpenproletariat et à l’impuissance politique. La question de ce que les corps peuvent accomplir, ainsi que des pratiques auxquelles ils doivent ou non participer, est ainsi au cœur des débats contemporains.

Galatée de Larminat

Dans le Texte , émission publiée le 05/10/2024
Durée de l'émission : 89 minutes

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