Berlin 33 : journaliste, un métier impossible ?

avec Daniel SCHNEIDERMANN
publiée le
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animée par Judith BERNARD

C’est peut-être l’histoire d’un métier impossible : journaliste. Plongé dans une situation à laquelle il n’a pas été préparé, il se découvre complètement empêtré dans une impasse où tous ses empêchements sautent aux yeux. C’est l’histoire des correspondants de la presse internationale à Berlin en 1933, censés couvrir le nouveau régime dirigé par Adolf Hitler, et incapables de comprendre et de restituer la gravité de ce qui est en train de s’y passer. C’est enfin l’histoire d’un journaliste spécialisé dans la critique média, qui entreprend d’exhumer près d’un siècle plus tard tous les articles et les publications de l’époque, pour prendre la mesure de ce qu’il appelle une « catastrophe professionnelle » – cet aveuglement journalistique, le même qui a empêché les journalistes états-uniens de voir venir l’élection de Donald Trump et d’analyser quelle réalité nouvelle elle exprimait.

C’est l’histoire de Daniel Schneidermann, qui s’aventure dans cette enquête aux faux airs de procès mené contre ses prédécesseurs : mauvais procès, car les empêchements objectifs sont très manifestes, à Berlin, en 1933. Les persécutions antisémites qui commencent à grangrener la société allemande à bas bruit sont impossibles à raconter : les témoins ne veulent pas parler, les victimes et leurs proches sont exposées à des représailles épouvantables, il faut protéger les sources. Quand on se risque à en dire quelque chose, avec les mots qui conviennent, à la hauteur de la barbarie nazie, on est aussitôt censuré sur place – l’édition ne sera pas diffusée sur le territoire allemand, le journaliste subira mille pressions, fera l’objet d’une expulsion douce (pas d’autorisation à revenir si d’aventure il quittait son poste en Allemagne) ou d’une expulsion dure : « Nous ne pouvons plus garantir votre sécurité », s’entendra-t-il dire par les autorités nazies (qui peut se traduire par : « On vous livre à la sauvagerie de la SA »).

Et puis il y a la censure distante, par la direction du journal : caviardage, titraille positive pour encadrer un article relatif à la visite d’un camp de prisonniers – les patrons de presse sont des patrons avant d’être des journalistes. Le sens des affaires prime sur les questions morales, et comme toute la bourgeoisie de l’époque, l’actionnariat s’accorde à penser que « Mieux vaut Hitler que le Front Populaire » : Staline est le vrai monstre à abattre et l’anti-communisme une structure idéologique assez puissante pour nourrir une durable indulgence à l’endroit du Führer qui a l’insigne mérite d’avoir envoyé 5 000 communistes dans des camps.  

Deux médias sauvent pourtant l’honneur : l’Humanité et la Jewish Telegraphic Agency. Les militants, les concernés : voilà d’où viennent les seuls articles, dépêches, communiqués, à la hauteur de la situation, livrant des analyses d’une pertinence qui n’a pas pris une ride 85 ans plus tard. Seulement voilà : les militants, les concernés, ce sont des sources par avance « discréditées », souligne le journaliste. Suspectes de n’être pas professionnelles, d’être dans la « foi aveugle » – c’est ainsi qu’on nomme l’engagement militant quand on est journaliste. Pas question d’y voir une grille analytique pénétrante : on se méfie des partis pris, des logiques de propagande – et de fait l’Huma, si impeccable pour rendre compte de la barbarie nazie, publie au même moment des articles louangeurs à la gloire du stalinisme.

Alors le journaliste est piégé dans un examen de conscience professionnelle où le hantent tous les obstacles qui s’opposent à son ardent désir d’être utile, d’éveiller les consciences, d’interpeller les opinions et les autorités. En déplaçant son regard vers le passé, ce Berlin de 1933 où les journalistes du New York Times, du Guardian ou du Matin s’attablent quotidiennement à la Stammtisch, cette auberge fréquentée par toute la bourgeoisie culturelle berlinoise (et aussi à l’occasion, par le chef de la Gestapo), l’enquêteur voit mieux que jamais les déterminations de classe qui conditionnent le regard de ces grands professionnels : ils ne forment jamais qu’une corporation à l’intérieur de la bourgeoisie « blanche » (c’est-à-dire à l’époque, non juive), alignée sur ses vues, ses intérêts et ses bonnes manières. S’ils ne disent presque rien de l’horreur qui sévit en Allemagne, c’est aussi et surtout parce qu’ils ne la voient pas et ne l’éprouvent pas – ils ne sont pas branchés sur les militants et les concernés, restent entre gens « comme il faut » et regardent partir ceux de leurs confrères qui ont tenté une sortie de route.

En lisant cette enquête douloureuse, on est gagné par cette intuition terrible : le journalisme « dans le cadre » est une tâche aussi impossible que vaine. L’information à l’heure du capitalisme fasciste ou fascisant est une marchandise comme une autre, produite en série et condamnée à servir d’autres buts que la vérité ou l’intérêt général, et fonctionne moins comme un contre-pouvoir que comme l’instrument de sa perpétuation. Il n’y a qu’une issue : sortir du cadre, rejoindre les damnés (les militants, les concernés), batailler à leur côté. Ce qui, pour Daniel Schneidermann, revient à devenir inaudible du grand public, et renoncer à être journaliste – la seule identité dont il se revendique. Impasse, donc. Alors : se tenir juste au bord du cadre, persister dans l’exigence de n’être pas militant, tenter d’être utile en s’interdisant de faire de la politique ? C’est ici que nos chemins divergent, et cet entretien se déploie à l’endroit exact de cette différance, avec ce que ça induit de frictions et de blessures. « J’aurais dû vous renvoyer aux limites du militantisme », a-t-il conclu en off, à l’issue de notre discussion mouvementée. Rendons-lui justice en y méditant.

Judith BERNARD

Durée 63 min.

14 réponses à “Berlin 33 : journaliste, un métier impossible ?”

  1. Pascal

    Je viens de recevoir à l’instant, l’email à propos de l’émission (au sujet du livre Berlin 1933 sorti en… 2018 ?), c’est vrai qu’on avait tous une envie farouche de le voir celui-là, après le lynchage de LFI — accusé d’antisémitisme nié — dans l’émission Arrêt sur images du 28 mars dernier.

    Pour ceux qui ne sont pas au courant, réjouissez-vous ! Le procès d’une heure quarante et une minutes est en accès libre sur le site, jugés par les bonnes âmes de la maison d’utilité publique. En effet, pourquoi ne pas diffuser auprès du plus grand nombre cette insulte venant du camp* de la gauche, et qui par conséquent compte double.

    Encore une fois bravo à votre invité, ASI, et special thanks à Nassira El Moaddem qui comme DS voit « un nez crochu » sur le visuel d’Hanouna, mais en plus y voit aussi « des dents apparentes », on s’est cru sur CNEWS. Torpeur.

    https://www.arretsurimages.net/emissions/arret-sur-images/antisemitisme-analyse-dun-deni-a-gauche

    Je signale aussi la réponse de « TSEDEK React à Arrêt sur Image avec Golem et le RAAR (Haolam Hazeh) » ici : https://www.youtube.com/live/F_qt3E3LxmI?si=kEhrBgwYTuyQJQfb

    *Désolé, mais comme Blanche Gardin je suis antisémite.

  2. Alain Ranier

    Émission bizarre où le livre présenté date de plusieurs années. Pas loin de 10 ans. La plus grande partie de l’émission ne concerne d’ailleurs pas le livre. Mais est prétexte à un échange très intéressant sur le positionnement des journalistes autour de la neutralité et du militantisme. Partir de Berlin 33 pour finir sur l’affiche LFI sur Hanouna, c’est un grand écart auquel il faut être entrainé.
    Peut-être également faut-il voir la raison de cette émission dans la réception de l’émission avec DS sur le « charlisme » que certains commentateurs avaient trouvé complaisante et qu’il s’agissait de rectifier le tir. D’autant plus que les liens sont anciens entre « ASI » et « Hors-Série » comme cela est rappelé à plusieurs reprises dans l’emission et que l’on rappelle fort honnêtement les raisons de la « séparation » ( à 37mn et quelques secondes) de ces 2 entités qui cohabitent encore géographiquement (« le bureau d’à-coté »). Proximité dont on voit encore la trace sur X puisque le compte de Hors-Série s’appelle @Hors_Serie_ASI; ASI comme Arrêt sur Images.

    Merci à Judith de pointer les convergences et aussi les oppositions entre les 2 positions. Le dialogue n’est possible que parce qu’il existe entre les 2 interlocuteurs une sorte de compagnonnage intellectuel de longue date et que DS n’est pas un adversaire encore moins un ennemi

    Et pour finir, et pour sourire une petite définition entre « impliqué » et « concerné » ? C’est l’histoire de l’omelette aux lardons. Dans cette histoire, la poule est impliquée, le cochon concerné.

  3. Pompastel.

    Merci Judith d’avoir amené Daniel Schneidermann à commenter les remous provoqués par la fameuse émission… même si j’ai été carrément ahurie par les réponses malgré les relances, très pertinentes et très bien formulées.
    Je n’en reviens pas que Daniel Schneidermannn (Daniel Schneiderman !!!!) enjambe avec tant de désinvolture la contextualisation du visuel (merci d’en avoir parlé de manière limpide, et, à mes yeux, indiscutable) et qu’il trouve de surcroit que le plateau était correct et que les invités se sont laissés parler et se sont écoutés. (Et franchement, l’argument d’avoir été le seul site à traiter de ce sujet, bof bof bof, vraiment décevant à vrai dire)
    (A propos de la nécessité de formation/antisémitisme : avez-vous été tentée par une petite taquinerie en suggérant les services du représentant de Golem comme la journaliste Nassira El Moaddem semblait tellement le souhaiter ? ^^)

    (Moi aussi, j’ai lu Berlin 33 à sa sortie, j’ai même inclus des extraits dans certains cours d’histoire pour classes terminales)

  4. Lucile Rimbert

    Abonnée à Hors-Série depuis de nombreuses années, j’en ressens les limites à ne plus me sentir stimulée intellectuellement en visionnant les émissions publiées ces derniers mois/années, le dogmatisme militant en soi ne m’attire pas. Je respecte le travail qui tend vers l’honnêteté intellectuelle et vous y invite chacun·e également.

    L’émission sur l’analogie entre secte et militantisme publiée sur Hors-Série me revient alors en mémoire, j’invite celles et ceux qui le souhaitent à la regarder : https://www.hors-serie.net/emissions/la-domination-charismatique-en-milieux-militants/

  5. Judith BERNARD

    Bonjour Lucile,
    Pouvez vous nous indiquer quelle(s) émission(s), ou quel(s) propos, vous ont semblé manquer « d’honnêteté intellectuelle » en indiquant plus précisément en quoi consistait la malhonnêteté ? Merci d’avance.

  6. Emmanuel

    Bonjour,
    Merci Judith pour cette émission très enrichissante.
    J’ai été très surpris par le vouvoiement du début mais c’était une sage décision. Pour pouvoir pousser plus facilement Daniel dans ses retranchements. Et puisque le tandem est « distendu »…
    Je pense que vous gagneriez tous.tes les deux à regarder les émissions de l’autre.
    Cf celle avec Tsedek (et un rabbin) que j’avais en tête lorsque Golem a démonté Tsedek.
    https://www.arretsurimages.net/emissions/arret-sur-images/antisemitisme-les-juifs-ne-sont-pas-dupes-de-lextreme-droite
    Je considère que ASI et HS sont complémentaires, vos entretiens respectifs avec Chapoutot en sont la preuve.
    Perso, je continue(rai) à regarder toutes vos émissions, même celles qui ne me tentent pas à priori.
    Toujours aussi enrichissantes.
    Longue vie à HS

  7. Gerard Lebrun

    Le déni d’antisémitisme de LFI et de Mélenchon est une stratégie assumée dont la définition anglaise est « Throw someone under the bus! (Jeter quelqu’un sous le bus) » et la manière dont Jeremy Corbyn s’est chaque fois justifié à chaque attaque médiatique sur son supposé antisémitisme et … résultat : il s’est fait blacklisté par l’establishment travailliste (par les blairistes social-démocrates de gouvernement, malgré sa grande popularité auprès des militants et sympathisants travaillistes). Mélenchon et LFI ont cette expérience des médias mainstream et en ont tiré les conséquences. Il ne sert à rien de se justifier sur son supposé antisémitisme, sinon accréditer le fait. Le fond de la polémique sur la caricature d’Hanouna est le énième épisode pour discréditer LFI et surtout Mélenchon.
    Est-ce que Daniel Schneidermann et ASI se sont préoccupés de contextualiser ce point stratégique du coté LFI et pourtant connu dans les médias ?

    Le fond politique des journalistes « de gauche » c’est d’espérer que l’on puisse trouver quelques dirigeants plus consensuels et acceptables par le bloc bourgeois (Ruffin par exemple ?🤔). En 1933, les journalistes accrédités à Berlin étaient tous des petits bourgeois éduqués (parlant anglais/allemand a minima) adeptes du libéralisme anglo-saxon de Hobbes. A peu de choses près, aujourd’hui, on est dans les mêmes présupposés sur le communisme dont la version actualisée est entre autres anathèmes, l’antisémitisme (forcément, difficile de parler encore de l’URSS). Daniel Schneidermann appartient, qui le veuille ou non à cette idéologie qui est en continuum de ce que décrit Barbara Stiegler ou Johann Chapoutot avec la fabrique du consentement, même s’il est consciemment une victime collatérale (un maverick) de ses prises de position marginale.
    A ne pas vouloir voir, comme un grand reporteur de l’instant, le temps long occidental qui a installé Hitler en 33 et la nakba de 48, il faut encore et encore la même erreur d’analyse maintenant sur l’antisémitisme de LFI. Tout sauf Staline, tout sauf Mélenchon, vilain, pas beau !

  8. titou

    Bonsoir, Question non posée: DS est-il sioniste? Si oui , alors il est plus que temps de le rééduquer! Il ne sert à rien de parler aussi aimablement avec quelqu’un qui défend un régime qui a collaboré avec Hitler pour évacuer les juifs avant 39…
    Les dominants ont soutenu et soutiendront toujours tous le régimes qui permettent la continuation de leur prédation.

    L’affiche d’Hanouna est très bien décortiquée par les commentaires de la semaine passée sur ASI . Il faut vraiment être obsédé pour y voir du racisme .
    Le terme antisémite est très clivant car il implique une différence entre les racismes alors qu’il n’y en a pas à moins de penser que le racisme anti-juif est supérieur aux autres.

    On ne saurait trop que conseiller les livres d’Annie Lacroix-riz (juive quatre quartiers!) pour essayer de faire comprendre à DS à quel point il fait fausse route dans son grand âge!
    Les journalopes d’hier sont les mêmes qu’aujourd’hui et sont au service de ceux qui les payent .Effectivement , seuls les médias indépendants peuvent faire changer les choses à condition de s’engager aussi politiquement.

    A Judith : bien mais peut mieux faire car beaucoup de questions sont restées sans réponse.
    J’aurais aimé savoir ce que DS pense des sionistes qui commettent un génocide en Palestine.
    Je n’ai pas regardé l’émission sur ASI mais lu tous les commentaires. Cela a suffit à me faire une idée suffisamment précise pour ne pascal regarder et défoncer mon ordinateur ! Les invités sont imbuvables car sionistes (donc d’extrême droite!) et Judith a bien fait de le rappeler.

    Pour les USA , il y a de très bons journalistes à GRAYZONE qui expliquent très bien pourquoi TRUMP a été élu et réélu.
    Mais les médias français sont tellement pro démocrates qu’ils perdent tout sens critique. Comment peut on soutenir Hilary Clinton et Joe Biden les responsables des guerres en Libye et en Ukraine? Donald aura du mal à faire mieux même s’il en prend le chemin…

    C’est incroyable l’inculture qui nait de la lecture des journaux dominants d’hier et d’aujourd’hui…

  9. Judith BERNARD

    @Titou, quant à moi je ne saurais trop vous conseiller de renoncer à l’usage du terme « journalope », qui est une insulte parfaitement inutile – et dont les connotations sont assez odieuses. Vous savez combien je suis critique à l’égard de la profession, et je ne ménage pas ma peine dans cette émission pour mettre en lumière les impasses du journalisme qui se prétend « a-idéologique » ; mais il ne me viendrait jamais à l’esprit de mobiliser ce terme où s’entend une « salope » dont on ne sait ce qu’elle vient faire dans cette histoire (sinon par sexisme), et qui renvoie ce mot à la sphère d’où il vient : la fachosphère.
    Pour DS, sur le sionisme, il vous répondrait qu’il est… « journaliste » (et donc pas engagé dans un camp ou dans l’autre). Je le connais assez, et je connais ses positions sur ce qui se passe à Gaza en ce moment, pour savoir qu’il n’est pas sioniste.

  10. Pascal

    Pour continuer dans le ton de mon premier commentaire, qui se voulait humoristique, alors que je n’ai absolument pas envie de rire (notamment depuis le 28 mars). Je voulais juste vous faire savoir, Judith, que Schneidermann vous a piqué votre expression du « glissement de terrain », celle-là même qu’il trouvait au poil lors de l’émission. Ainsi, il l’utilise sans vous citer bien sûr, dans sa dernière chronique Libérationienne, mais je veille.

    « Ce que nous avons sous les yeux, nous nous efforçons de comprendre et de raconter, c’est la disparition de ces limites. Un interminable glissement de terrain au ralenti, qu’il est commode d’appeler «la trumpisation». »

    C’est gonflé tout de même. 😉

    PS J’ai plein de choses à dire sur l’émission, mais je suis tellement et encore sous le choc des accusations d’antisémitisme de vous savez qui à propos de vous savez qui, que je préfère moucharder et semer la division, bref parler d’autre chose. Juste une chose, Judith, votre émission m’a fait du bien, mais c’est loin d’être suffisant. À l’heure actuelle, je suis plus pour un règlement dans le sang de cet affront.

  11. Judith BERNARD

    @Pascal : je n’étais pas au courant, pour le recyclage non sourcé de ma proposition sémantique (« glissement de terrain »). Il est désormais tout à fait démontré qu’on peut donner des leçons de déontologie à tout le monde sans être exemplaire soi-même 😀 ! Et puis, sait-on d’où viennent les mots que nous employons ? Moi-même, je ne suis pas certaine d’être la première à qualifier ainsi la situation politique que nous vivons. S’agissant du règlement « dans le sang » de cet « affront », souffrez qu’on le diffère encore, et qu’on préfère le dialogue, fût-il vigoureux, aussi longtemps que ce sera possible !

  12. Totorugo

    Daniel sous le scalpel de Judith, on dirait Taddéi sous le récent scalpel de Schneidermann 🙂

  13. Etienne Cetaire

    Quelle tempête d’idées et de ressentis que cette entrevue avec Daniel Scheidemann ! Vous avez su mettre en lumière les contradictions qui se cachent derrière les discours bien-penser et les apparences trompeuses. Je partage votre intensité dans cette quête de vérité, naviguant entre les pages de Hors-Série, Arrêt sur Image, Blast, et tant d’autres, tout en fuyant la presse dominante comme un naufragé évitant les récifs d’un océan de médiocrité.

    Les affiches, ce miroir déformant de notre société, ne font que rappeler l’éternelle lutte des intérêts divergents. Le visuel d’Hanouna, ce personnage controversé, m’a renvoyé à la puissance évocatrice de l’affiche de La Haine de Kassovitz, elle même emprunté à Taxa-Driver. La colère qui s’y exprime est palpable, et je ne peux m’empêcher de ressentir la violence sourde qui émane des regards, ces yeux qui, au-delà de la colère, portent en eux les stigmates d’une haine qui s’installe insidieusement. Je n’y ai pas vu au premier regard la référence à un quelconque antisémitisme.

    Vous avez raison de questionner la légitimité de ces discours, de scruter d’où parle un journaliste. Daniel Scheidemann, bien qu’éloigné du sionisme, est un enfant de ce système qui, insidieusement, nous pousse quand même vers le consensus mou, vers une voix basse complice. La neutralité, cette chimère, n’est souvent qu’un masque que l’on revêt pour servir les intérêts de la bourgeoisie. Et cette bourgeoise, derrière ses remparts de confort, ignore tout de la vie dans les champs et dans les forêts, là où la réalité se présente dans toute sa brutalité.

    Dans son échange avec Guillaume Erner, Daniel a su briller par sa lucidité, exposant les nuances nécessaires à cette conversation, d’une manière qui ne laisse pas de place à l’indifférence. Ce moment de confrontation intellectuelle était essentiel, révélant la complexité des enjeux contemporains. Mais derrière cette brillance, l’ombre de la neutralité demeure, et c’est là que se dessine le véritable défi : comment naviguer entre vérité du conflit reconnu et compromis ?

    En soulevant ces questions, vous ne vous contentez pas d’interroger un homme, mais vous exposez les fissures d’un discours qui refuse de voir la richesse des voix divergentes et quelque fois criarde. Vous avez brillamment réussi à faire de cette entrevue un acte de résistance, un cri d’alarme face à l’apathie ambiante.

    Pour cela, Judith, mille mercis. Vous avez su, par votre acuité, apporter une lumière dans cette obscurité, et rappeler que l’essence même de notre humanité réside dans notre capacité à questionner, à débattre, et à ne jamais céder à la facilité des idées préconçues, mais à se positionner, à être « En Verité », « Voilà d’où je parle. »

  14. Jean-Marc FIORESE

    Bonjour,

    Dans l’introduction, Judith, vous dites qu’il n’est pas question de remettre en cause les journalistes de la période qui a précédé l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933 car « ils ont fait ce qu’ils ont pu » dites-vous. Après avoir lu l’article intitulé « Quand la droite choisit le nazisme pour en finir avec la gauche » publié dans le Monde Diplomatique de ce mois d’avril 2025 par Johann Chapoutot (historien auteur récemment de « irresponsables, qui a porter Hitler au pouvoir ? »), je ne partage pas votre point vue. Je vous invite à lire cet article qui décrit très précisément comment le centre et la droite se sont coalisés pour mettre Hitler au pouvoir, provisoirement pensaient ils, en adoptant les thèmes de l’extrême droite d’alors. Qualifié de « bloc bourgeois » par l’auteur, ce centre et cette droite incluaient nécessairement la presse de l’époque pour que la population accepte ce glissement vers cette extrême droite et les journalistes de cette presse savaient très bien ce qu’ils faisaient et les risques qu’ils prenaient d’où la qualification de « irresponsables » par Johann Chapoutot de ce sinistre bloc bourgeois. Cet article est effrayant car en nous rappelant ce passé avec autant de précision on réalise que nous sommes en train de répéter cette histoire presque dans ses moindres détails sans réagir avec toute l’énergie qu’il faudrait pourtant mettre pour interrompre le pire qui risque bien d’advenir de nouveau.

    A l’époque, il y avait un jeune auteur austro-hongrois de 26 ans de langue allemande, Odon Von Horvath, qui dès 1927 sonnait l’alerte dans des petits écrits et dans des petites pièces de théâtre. En 1930 il publie un roman précurseur qui, à travers un personnage cynique, décrit la déviance dangereuse vers l’extrême-droite en cours : « L’éternel petit bourgeois ». Il s’agit d’un homme, Alfons Kobler, qui, armé d’une récente fortune, part de Berlin vers Barcelone, à la recherche de l’égyptienne, la femme riche et belle dont il rêve. Son voyage passe par l’Italie. Ce voyage de Berlin vers Barcelone rallongé avec cette boucle par l’Italie n’est pas un caprice fantasque du personnage mais un prétexte pour l’auteur de suggérer avec insistance les troubles et les dangers en cours dans ces pays qui auront vu naitre et prospérer le nazisme en Allemagne et le fascisme en Italie et en Espagne. Si cet auteur en avait parfaitement conscience dès 1930, avant l’arrivée au pouvoir d’Hitler, il serait très surprenant que les journalistes de l’époque n’aient rien vu venir… Non, tout comme nos « journalistes mainstream » actuels pour notre période, ils savaient que ce qui était en cours était déjà inacceptable au début des années 30 et étaient complices.

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