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De la prison

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Regarder la prison en face. Non pas de l’extérieur, forteresse austère et muette, impénétrable. Mais de l’intérieur : percevoir ses cris, sa folie, sa barbarie, avec les yeux d’un prisonnier, avec sa peur, sa solitude et sa douleur. Ceux de Jean-Marc Rouillan. Ancien membre d’Action Directe et de plusieurs groupes antifascistes, il a été arrêté dans les années 80 et a passé plus de vingt-cinq ans en détention. Il a conjuré l’enfer de la discipline carcérale par une discipline plus exigeante encore : écrire, écrire sans relâche, pour nommer, décrire, s’évader (vertus de la fiction, du fantasme), et pour instruire le procès de la machine pénitentiaire qu’il connaît mieux que quiconque. Son premier livre, Je hais les matins, est paru en 2001 chez Denoël, avant d’être réédité chez Agone en 2015 ; c’est un brulôt dont on ne sort pas indemne.
La prison n’y apparaît pas seulement la forme paroxystique de la violence légale – son principe officiel est la privation absolue de liberté ; mais cela, on s’en doute, n’est que le versant avouable de l’affaire. Passé le mur d’enceinte, se déploie une violence illégale, à l’abri des regards et des lois, livrant la population carcérale à toutes les formes de la sauvagerie. Les détenus s’entre-déchirent, savamment encouragés à le faire par des autorités bien conscientes du bénéfice qu’elles en tirent (à la centrale plus qu’ailleurs, on divise pour mieux régner). Les surveillants, quand ils ne deviennent pas suicidaires, cèdent aux inclinations sadiques que leurs prérogatives leur permettent, protégés par une direction au mieux indifférente, souvent complice, qui maquillera les morts violentes en suicides, ou bien exfiltrera ses cadavres en ambulance avant de consigner dans un bref rapport : « malade, mort pendant le transfert vers l’hôpital ».
Si le spectacle que Rouillan nous donne à voir terrifie, ce n’est pas seulement pour sa part d’horrifique obscénité – ces hommes emmurés vivants que la société prétend corriger en les déshumanisant. C’est surtout parce que la prison est le hors-champ de nos démocraties si fières d’elles-mêmes ; l’angle mort du narcissisme occidental, refoulant intra muros tous les incompatibles que notre modèle social produit. Dans cet infra-monde, nul état de droit, pas question de justice : l’arbitraire et la démesure répressive donnent des airs d’Ancien Régime à ce cauchemar, et font comme une enclave de terrorisme au coeur même de notre système « libéral » – mais une enclave qui ne serait pas tant une anomalie persistante de la démocratie que sa clef de voûte, censée tenir tout l’édifice par la terreur qu’elle inspire.
Parce que l’hystérie sécuritaire qui caractérise notre modèle pénal fait de la prison la forme quasi-exclusive de la sanction, dans une surenchère qui ressemble à une course à l’abîme – de plus en plus de peines carcérales, de plus en plus longues – il fallait clore notre trilogie judiciaire par ce douloureux face à face. Il ne pouvait se trouver de meilleur interlocuteur pour un tel rendez-vous que Jean-Marc Rouillan : il a vécu et pensé cette expérience, tenu par une conscience politique inébranlable. Son regard, en la matière, n’est pas seulement instructif ; il faut le dire aussi, pour finir, car je n’ai jamais été aussi secouée par un entretien : il est bouleversant.
Judith BERNARD
8 réponses à “De la prison”
Quel entretien!!! Bravo et merci d’avoir inviter Jean Marc Rouillan.
Je n’ai pas vu la vidéo jusqu’au bout. J’en suis à 53:21 mais j’ai envie d’intervenir. Je pense que c’est le meilleur entretien vidéo que vous ayez jamais fait. Je suis bouleversé par le discours de cet homme et en même temps par la capacité de la présentatrice à rester professionnelle eu égard à ce qu’elle entend. On touche ici du doigt ce qu’il faut faire : changer radicalement de société. Je suis producteur vidéo, je pense qu’il faut aller plus loin et montrer ce qui est dit ici. Il faut le montrer, il faut le dire, il faut faire du bruit (i.e. la révolution en image). Si ça intéresse Hors Série de faire des « hors série » de ses propres productions, je suis partant. Je pense qu’il faut que le monde change or vous faites partie des gens qui le font changer. Si vous avez envie d’aller chercher de l’image qui corresponde à votre discours, je suis chaud. Anyway, je vous sais gré d’avoir produit cet entretien. Qui a changé ma manière d’appréhender le monde.
Transmettez à Jean-Marc Rouillan nos remerciements pour avoir si patiemment travaillé à retrouver ses mots après l’isolement. Ils nous sont ici infiniment précieux.
Cette entrevue est comme un poing dans le bide qui me laisse un goût de contradictoire, comme souvent quand j’entends quelque chose d’important. Il est frappant d’entendre un homme qui a pratiqué la violence parler à son tour de celle qu’il a subit et subit encore. Il est une tendance générale de considérer qu’une personne emprisonnée doit se taire et regarder ses pompes. Si je réprouve fermement le mode d’action de la lutte armée et de l’homicide, la violence que subit cet homme et les injonctions à se taire, qui sont d’autant d’intimidations à lui et ses soutiens, témoignent de l’état de crispation que l’auteur d’un crime inspire, non pas seulement aux institutions chargées d’administrer la peine, mais à la société toute entière. Je ne peux m’empêcher de penser aux commentaires en dessous des articles relatant régulièrement avec un voyeurisme dégoutant les conclusions pénales des faits-divers. Les gens veulent que le criminel souffre, cela semble dans l’ordre des choses. Sa souffrance est le prix du crime, elle n’a pas à être à la mesure du préjudice. Mais le criminel ne souffrira jamais assez. Qui n’a jamais entendu un proche dire que les prisonniers passaient des jours merveilleux à jouer à la Playstation aux frais du contribuables ? L’isolement serait presque une sanction trop douce. Il y a un telle méconnaissance de ce qu’est une prison, un prisonnier ou encore une peine. On rechigne à faire de la prison un enjeux politique et symbolique. C’est pourtant par là que l’on invalide socialement des dizaines de milliers de personnes par an. Beaucoup de nos politiques y compris à gauche n’ont de vues de la prison qu’aux travers des rapports aseptisés écrit par les administrations. Le criminel exagère, il n’a pas le droit de se plaindre puisqu’il est coupable, sa révolte est suspecte, son suicide indiffère et sa souffrance est justice. Il semble urgent de réclamer l’abolition du système pénal, à lire notamment : Louk Hulsman.
Remarquable entretien. Glaçant.
Remarquable humain. Très émouvant.
Je ne sais pas pourquoi, il me fait penser à Auguste Blanqui. Il s’en dégage une force irrépressible, à faire chialer. Ce que j’ai fait d’ailleurs.Ouch ! J’avais déjà pris une claque avec le « Procès des comparutions immédiates » organisé par Mediapart (https://www.youtube.com/watch?v=-DCMXXSqaVc&feature=youtu.be). Et maintenant ça… glaçant effectivement. On a du boulot. La joie est dans la lutte !!!
Le seul reproche à cette émission sera donc le spectacle à répétition de ce petit crocodile ô combien symbolique de la bourgeoisie française, porté par un combattant communiste… Etait-ce fait de manière intentionnelle ? Tel un doigt d’honneur levé très très haut ??? Lacoste côtoyant le bracelet électronique …
JM Rouillan était venu à Saint Denis il y a 2 ans lors du festival Censures du cinéma l’écran et j’avais été impressionnée par sa prestance après tant d’années de prison et d’isolement. Cet homme est un modèle pour nous qui avons tant de mal à voir la réalité en face et les luttes à tenir, et qui déprimons finalement assez vite après les échecs. en fait, c’est vraiment un homme libre, il a l’air indestructible. Merci de l’avoir invité
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