La mécanique raciste

avec Pierre TEVANIAN
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animée par Manuel CERVERA-MARZAL

Emission présentée par Manuel Cervera-Marzal

J’ai longtemps cru que le Front national avait le monopole de la xénophobie, que les autres partis en étaient immunisés. J’ai longtemps réduit le racisme à ses formes les plus outrancières – l’injure, la haine, les coups. J’ignorais la violence structurelle des discriminations (tolérées, voire encouragées, par l’Etat français), la violence lancinante de la ségrégation (spatiale ainsi que temporelle, comme l’indique le changement de couleur des passagers du métro avant et après 7h du matin) et la violence infantilisante d’un « Touche pas à mon pote ». J’ignorais également la violence de la tolérance, moins vertueuse qu’il n’y paraît puisque si je tolère autrui, c’est que je juge son attitude fautive ou sa présence incongrue.

Je croyais que le racisme se limitait à des préjugés, que le temps parviendrait à dissiper. J’ignorais que sa mécanique repose, au fond, sur des privilèges, dont chaque Blanc jouit, même lorsqu’il s’est affranchi des poncifs racistes. En tant que Blanc, je peux traîner avec mes semblables sans être traité de communautariste, je peux sortir d’une grande surface avec du foie gras plein les poches sans être suspecté de voler, je n’ai jamais à indiquer mon origine, je peux payer par chèque sans qu’on vérifie ma carte d’identité, je peux évoquer un problème de racisme sans qu’on me reproche mon manque de neutralité, je peux brailler dans le bus sans qu’on attribue cette incivilité à ma culture, et ainsi de suite.

A ces privilèges du quotidien, parfois minimes (les pansements sont beiges pour s’accorder à la peau des Blancs), s’ajoutent ceux de salaire, de statut, d’accès au logement, aux études, à l’emploi et aux promotions. Les discriminations jalonnent chaque étape de nos vies. Comment y mettre un terme ? Se morfondre ne fait pas avancer les choses. Lorsqu’on est Blanc et que l’on souhaite lutter contre le racisme, la seule attitude moralement valable consiste à trahir les siens, c’est-à-dire à se mettre au service des victimes du racisme, non pour agir à leur place, mais pour leur prêter main forte si et quand elles en expriment le désir. Les accompagner sans s’imposer, savoir se retirer lorsqu’elles l’exigent. C’est la voie qu’emprunte le philosophe Pierre Tevanian, depuis de nombreuses années, à travers différentes voies : son militantisme quotidien, le site internet Les mots sont importants (lmsi.net) qu’il co-anime et les ouvrages qu’il consacre à la question du racisme. Son dernier opus, paru à la Découverte en avril 2017, est une synthèse magistrale de ses analyses. La mécanique raciste est disséquée dans toutes ses dimensions : philosophique (une manière de raisonner), esthétique (une manière de percevoir autrui) et éthique (une manière de se concevoir soi-même). « Connaître pour mieux combattre » est la devise de cet ouvrage, qui condense les principaux enseignements de Sartre, Césaire, Fanon, Guillaumin, Memmi et Martin Luther King.

J’ai souhaité en discuter avec lui, et j’en suis ressorti conquis. Pierre Tevanian expose ses vues avec autant de clarté que de conviction.

Bon visionnage !

Manuel Cervera-Marzal

 

Durée 82 min.

8 réponses à “La mécanique raciste”

  1. J. Grau

    Bonjour, Marc Gébelin.

    Sans vouloir faire dans le sarcasme facile, c’est votre commentaire que je trouve un peu facile. Les propos de Tevanian sont à la fois argumentés par une analyse des notions et par des faits. Par exemple, je trouve très éclairant la manière dont il explique la montée du thème de l’insécurité dans les médias et dans les opinions. Quand à l’exemple que vous citez, il est évidemment caricatural (peu d’hommes et peu de femmes tiennent de tels propos), mais il visait seulement à montrer qu’il y a une différence importante entre des groupes dominants et des groupes dominés (femmes, groupes victimes de discrimination racistes…). Les dominés peuvent avoir des préjugés et un comportement très négatifs vis-à-vis du groupe dominant, mais il n’y a pas de symétrie entre les deux. Les femmes, les Noirs, les Arabes, les Roms, subissent un système discriminatoire massif, alors que les discriminations que peuvent subir les hommes de la part des femmes, ou les Blancs de la part des Non-Blancs sont beaucoup plus rares. Il me semble que ce que dit Tevanian correspond assez bien à ce qu’on peut voir dans la « vraie vie », non ? Et si vous ne le trouvez pas convaincant, pourriez-vous être plus explicite et précis dans vos critiques ?

    Cordialement,

    J. Grau

  2. Patrick

    En accord avec Marc Gébelin et le problème, c’est que « salaud » n’est pas l’équivalent masculin de « salope ». L’exemple est mauvais.

  3. monique A

    à la minute 45,44 il est question d’un certain prof de philosophie , conseiller laïcité de JLM qui est traité de raciste pour avoir dit »je n’ai pas à savoir dans ma classe qui est juif, qui est athée, qui est musulman ,qui est chrétien car ce sont des égaux et je dois les traiter comme tels .
    je souhaiterais connaitre le nom de cette personne afin de m’entretenir avec elle de son racisme.
    J’attache le plus grand prix à votre réponse dont je vous remercie à l’avance.

  4. astrid_etchegood

    Le passage sur les comportements des privilégiés, du type refermer son sac à proximité d’une personne racisée, m’évoque ma propre expérience :
    Je suis une jeune femme blanche et comme toutes les femmes je subis le harcèlement de rue. Certaines de mes amies sont quasi-systématiquement abordées par des hommes blancs quarantenaires CSP+. Moi j’attire les jeunes hommes noirs. De fait, j’ai beau savoir que le harcèlement de rue n’a pas d’âge ni de race ni de classe, les hommes qui m’abordent dans la rue sont toujours jeunes et noirs.
    J’en viens donc à développer une certaine angoisse lorsque je croise des jeunes hommes noirs ou que des jeunes hommes noirs s’asseyent à côté de moi dans les transports en commun (j’entends : une angoisse accrue par rapport à l’angoisse de base que je ressens au quotidien comme toute femme qui se déplace dans l’espace public), alors que dans l’écrasante majorité des cas il ne se passe rien.
    Fréquentant les milieux féministes, j’ai compris que je n’avais pas à culpabiliser d’avoir peur des hommes dans la mesure où certains d’entre eux sont effectivement dangereux. Même si seule une très faible proportion d’entre eux me harcèlera, m’agressera ou me violera effectivement, il est légitime d’être méfiante envers tous les hommes.
    Mais alors, est-il légitime d’être particulièrement méfiante envers les jeunes hommes noirs étant donnée mon expérience ? Ou est-ce une forme de racisme ?
    Dans l’histoire j’ai l’impression d’être à la fois l’oppresseure et l’oppressée…

  5. monique A

    J’ai posé une question précise dans un commentaire le 17 mai .Aurais-je une réponse? si non pour quelle raison?

    à la minute 45,44 il est question d’un certain prof de philosophie , conseiller laïcité de JLM qui est traité de raciste pour avoir dit »je n’ai pas à savoir dans ma classe qui est juif, qui est athée, qui est musulman ,qui est chrétien car ce sont des égaux et je dois les traiter comme tels .
    je souhaiterais connaitre le nom de cette personne afin de m’entretenir avec elle de son racisme.
    J’attache le plus grand prix à votre réponse dont je vous remercie à l’avance.

    Par monique A, le 17/05/2017 à 18h27

  6. Totorugo

    Cette émission m’a laissé un goût étrange. Je me retrouve en accord avec énormément de choses, reconnait d’excellentes intuitions, mais reste dubitatif devant une méthode de réflexion fourre-tout ou gobe-tout, qui procède à la fois d’un pêle-mêle de tout et n’importe quoi mis sur un même plan, et d’un examen à une seule aune, celle du racisme, comme si d’autres déterminations n’entraient pas en cause dans les phénomènes que décrit Tevanian (ou comme s’il avait décidé d’avance qu’elles ne l’intéressaient pas, préoccupé qu’il est à tout interpréter à l’aune de la question du racisme).

    Je n’ai pas encore lu le livre, mais s’il argumente avec autant de subtilité et de nuance qu’il le fait au sujet des positions d’Henri Pena-Ruiz (critiquables, mais pas aussi sommaires que les dessine votre invité), ça me refroidit un peu.

    Merci néanmoins pour cette émission intéressante sur bien des points.

  7. Anne Brunswic

    Roboratif et stimulant, mais je partage des réserves émises ici par d’autres, il y a de sacrées impasses :
    – la prolophobie surdétermine le racisme. C’est l’Arabe (le Noir, etc.)pauvre qui fait peur. Pas celle qui fait ses emplettes avenue Montaigne, pas celui qui enseigne à l’université…
    – les allogènes qui sont restés en dehors du périmètre de la colonisation française, notamment les Chinois, les Sri-lankais… ont une expérience assez différente. Il y a uns spécificité post coloniale et aussi une réalité actuelle : les territoires africains ex-colonisés sont loin de s’être émancipés de la métropole (financièrement, culurellement, politiquement), ce qui entretient l’idée qu’ils sont inaptes à se gouverner. Rien à voir avec l’Inde, le Vietnam.
    – le propos glisse fréquemment du Français issu de l’immigration (qui n’est pas concerné par la double peine) à l’étranger.
    – impasse complète sur la question de ce qu’on appelle la « crise migratoire » qui banalise des fantasmes génocidaires.
    – impasse complète sur le terrorisme au nom de l’islamisme qui est un faceur très aggravant et pas une production essentiellement due aux élites
    – parmi les rapports au « corps noir », on ne peut faire l’impasse sur l’esthétisation et l’érotisation qui vaut pour les femmes (mannequins), les hommes (idoles gays notamment, les footballeurs, tous état à un degré ou un autre des sex symbols
    – « aider quand on vous appelle et selon les modalités demandées par le dominé ». Certes mais quid des réfugiés, des clandestins, des sans-droits, de ceux qui ne sont pas en position de réclamer la moindre égalité, mais juste l’accès à un minimum de droits. (C’est une bénévole de la Cimade qui parle, ONG paternaliste mais utile).
    Bref, parlons.

  8. Anne Brunswic

    Roboratif et stimulant, mais je partage des réserves émises ici par d’autres, il y a de sacrées impasses :
    – la prolophobie surdétermine le racisme. C’est l’Arabe (le Noir, etc.)pauvre qui fait peur. Pas celui/celle qui fait ses emplettes avenue Montaigne, pas celui qui enseigne à l’université…
    – Parlons aussi du communautarisme juif (dont je suis issue) et de l’empressement des mêmes politiques et journalistes à se rendre chaque année au dîner du CRIF. Il y a un « bon » communautarisme et un « mauvais ».
    – Quid de l’utilisation à tout va du mot « communauté » par les médias, ex : la communauté chinoise d’Aubervilliers, la communauté turque d’Allemagne, sans parler évidemment de la communauté juive dont on se demande ce qu’elle recouvre en dehors des juifs communautaristes (une étroite minorité, elle-même très clivée).
    – les allogènes qui sont restés en dehors du périmètre de la colonisation française, notamment les Chinois, les Sri-lankais… ont une expérience assez différente. Il y a une spécificité post coloniale et aussi une réalité actuelle : les pays maghrébins/africains ex-colonisés sont loin de s’être émancipés de la métropole (financièrement, culturellement, politiquement), ce qui entretient l’idée qu’ils sont inaptes à se gouverner. Rien à voir avec l’Inde, le Vietnam
    – le propos glisse fréquemment du « Français issu de l’immigration » (terme qu’on n’emploie jamais pour les juifs) à l’étranger, seul concerné par la double peine.
    – impasse complète sur la question de ce qu’on appelle la « crise migratoire » qui banalise des fantasmes génocidaires (on le rejette à la mer ou on les laisse crever au Tchad, au Niger ou en Libye ?).
    – impasse complète sur le terrorisme se revendiquant de l’islam, qui est un facteur très aggravant et pas une production essentiellement due aux élites
    – parmi les rapports au « corps noir », on ne peut faire l’impasse sur l’esthétisation et l’érotisation qui vaut pour les femmes (mannequins, chanteuses), les hommes (idoles gays notamment, les footballeurs, tous étant à un degré ou un autre des sex symbols
    – « aider quand on vous appelle et selon les modalités demandées par le dominé ». Certes mais quid des réfugiés, des clandestins, des sans-droits, de ceux qui ne sont pas en position de réclamer la moindre égalité, mais juste l’accès à un minimum de droits? (C’est une bénévole de la Cimade qui parle, ONG sans doute paternaliste mais utile).
    Bref, parlons.

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