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L’effondrement qui vient

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Il y a des lectures qui bouleversent à jamais votre regard sur le monde. Le livre de Pablo Servigne, Comment tout peut s’effondrer, est du genre à vous déssiller irréversiblement. C’est d’ailleurs à ce titre qu’il m’a été recommandé. Un soir, au Lieu-Dit, un inconnu m’a abordée, pour me parler d’une émission qui avait changé sa vie : mon entretien avec Frédéric Lordon, à propos de Capitalisme, désir et servitude. « Depuis, m’a-t-il confié, un seul texte a eu la même puissance de déflagration pour moi. Un seul : le livre de Pablo Servigne ».
Alors je me suis lancée dedans – c’était il y a six mois. Et je n’en suis jamais revenue. Avec son co-auteur, Raphaël Stevens, Servigne confirme calmement, méthodiquement, et presque sereinement, les pires intuitions que nous pouvons avoir sur notre avenir. L’effondrement de la civilisation, qu’à peu près chaque époque a fantasmé pour son propre compte, est cette fois imminent, scientifiquement documenté, et tout à fait inéluctable. Pas la fin du monde, non : juste la fin de la civilisation techno-industrielle que nous connaissons, et qui n’a aucun avenir. Ce ne sera pas forcément l’hiver nucléaire auquel les films post-apocalyptiques nous ont presque habitués. Ce sera « juste » la fin du pétrole, de l’électricité à foison, et du monde qui va avec.
D’ici quelques décennies (que le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité, inexorables, et un cataclysme financier très probable, auront rendues pour le moins chaotiques) la satisfaction de nos besoins élémentaires en eau, en énergie, en nourriture ne sera plus assurée à des coûts accessibles au plus grand nombre par des services encadrés par la loi. Ce que nous ne voulons pas voir et que Servigne et Stevens nous apprennent, c’est que c’est nous qui aurons à y faire face : nous qui avons encore quelques décennies à vivre et des enfants à élever sans trop savoir quoi leur promettre. Que leur dire ? Que dire à nos enfants quand nous avons de plus en plus conscience de leur léguer un monde exsangue, essoré par un capitalisme débridé et menacé de devenir bientôt inhabitable ?
Leur dire ceci : l’effondrement de notre civilisation industrielle approche, mais ce n’est pas la fin du monde, ni celle de l’humanité. Il va falloir cultiver d’autres formes de vie, beaucoup, beaucoup plus sobres, mais plus coopératives, aussi : seuls les petits systèmes résilients parviendront à résister aux chocs, grâce à l’entraide, à la polyvalence et à l’autonomie. L’occasion de mettre à l’épreuve les principes de la philosophie anarchiste, qui postulent que les groupes humains n’ont pas besoin de centralisation ni de structures autoritaires pour s’auto-organiser. Là est sans doute la clef de la relative sérénité de Servigne et de son texte : dans un même geste d’écriture, il nous inflige un deuil redoutable – c’en est bientôt fini du monde tel que nous le connaissons – mais nous arme pour regarder la transition qui vient d’un oeil lucide, avec le sang-froid qu’il faudra pour se prémunir du pire. Et qui sait si nous n’aurons pas des occasions de nous réjouir, alors, et d’inventer un monde en mieux ?
Judith BERNARD
13 réponses à “L’effondrement qui vient”
Merci Judith, merci Pablo. On peut regretter deux interrogations absentes de cet entretien, et qui laissent à l’évocation d’une issue pacifique et sereine une place si grande qu’elle fleure bon l’illusion. Deux raisons pour lesquelles je ne vais plus résister à mon envie de lire cette analyse (après celles de Georgescu-Roegen, de Jancovici, de Jorion, etc.) pour y étudier ces absences. 1/ Qu’est-ce que s’interroger quant aux conditions de possibilité de « mourir dans la dignité » pour une espèce junky suicidaire ? Question on ne peut plus « éthique » dont les réponses données par les premiers signes de l’effondrement sont déjà férocement honteuses. 2/ La théorie des jeux est plus cynique encore. Les prémisses de la situation dite du « dilemme du prisonnier » (Cf. Robert Axelrod) sont désormais réunies. Dès que les solutions coopératives sont évaluées moins profitables que les solutions concurrentielles, par anticipation, alors le premier qui trahit en jouant « perso » gagne seul. Telle n’est-elle pas la température montante des jeux géopolitiques de ces derniers temps ? Les puissances, grandes ou petites, n’agiraient pas préventivement en connaissance de cause ? Ne voulant pas croire à ce que pourtant elles savent déjà ? ArghH ! C’est là bien mal connaître les devoirs des militaires.
Merci pour cet entretien très intéressant qui nous plonge dans l’angoisse de notre finitude. Je pense que ces propos sont particulièrement violents pour les populations des pays riches… de très nombreux autres individus vivant déjà une forme d’effondrement, du moins ne profitent pas, comme nous, de ce voile de richesses, de conforts, de technologies qui nous occulte la réalité du monde et nous fait croire que nous sommes protégés de tout (climat, manque de nourriture, maladies…) voire de la mort.
Je ne serais pas aussi optimiste que vous dans votre conclusion, je ne vois pas comment un bouleversement, une fracture, un effondrement de notre voile protecteur pourrait ne pas se faire dans la violence et la souffrance. Une mort, une naissance ne peuvent que déchainer les plus extrêmes émotions ; d’autant que notre civilisation occidentale perdure et a perduré dans le temps parce qu’elle a dominée, spolié, asservi, violenté…les autres de ce monde. Comment notre chute pourrait-elle ne pas être à la hauteur de notre ascension? On le sent bien dans l’air que l’intolérance, le rejet, la haine sont de plus en plus présents. A l’image d’un Trump et se son « America First », je ne nous vois vraiment pas emprunter la pente de la bienveillance et de la coopération. Mais qui sait…Le jardin et le tir comme je disais à mes nièces et à mon neveu – une de mes nièces horrifiée a l’idée de devoir tuer des animaux pour manger le fut plus encore quand elle comprit qu’il s’agissait davantage de défendre le jardin contre les prédateurs humains ou non.
La résilience coopérative passera sans doute par là. Pour ma part je suis dans une démarche personnelle de décroissance énergétique. Aucun voyage en avion depuis 15 ans. Une voiture hybride pour 2. Transformation Minergie de ma maison (isolation ventilation passive chauffage solaire thermique et bois par pellets.) Nourriture bio pauvre en viande.
J’ai tenté de « faire ma part » et j’ai donné envie a d’autres dont quelques voisins à prendre le même chemin. J’encourage chacun a lire ce livre « Comment tout peut s’effondrer » que je connais depuis sa parution et dont je félicite les auteurs.Merci merci !
Tiens, correspondance souterraine avec une citation proposée récemment par un @sinaute (et que j’avais notée) : ‘J’ai le sentiment confus que nous préférons le bien-être à la vérité : plutôt que d’aimer la vérité parce qu’elle est la vérité, nous déclarons vraies les idées que nous aimons… Qu’elles soient vraies ou fausses, peu nous importe : nous voulons simplement qu’elles nous fassent du bien à l’âme… » (Etienne Klein)
@Gauthier R : » Leur narcisse alors se met en route » (…)blablabla (…) « brandit son nombril comme un drapeau » : euh… non, rien^^
Nécessaire émission. Je vais lire ce livre. Suis en deuil, et ravi d’entendre mes intuitions énoncées avec cette douceur.
Bonjour Judith, déjà merci pour la découverte. Puisque j’en suis au éloges et pour contre balancer la parole des grincheux dans les commentaires, l’effondrement approche et votre invité en fait une description indiscutable qui ne sera jamais de trop. Néanmoins, il me semble qu’il y a systématiquement un grand thème absent dans vos questions, je parle du mouvement des communs. ASI s’y était penché l’année dernière, mais ne serait-il pas de circonstance d’inviter B.Coriat sur cette question à travers l’ouvrage collectif qu’il a coordonné (« le retour des communs », la découverte) ou M.Bauwens (plutôt sur le peer to peer). C’est surement dans vos plans cela dit, mais j’en parle quand même car c’est il me semble que les communs offrent une vision à la fois institutionnelle de la transition nécessaire, mais aussi politique puisque qu’à travers l’organisation en faisceaux de droits décrite par Ostrom, la démocratie peut s’appliquer au collectif de production. D’ailleurs, le concept de récommune de F.Lordon m’a souvent fait penser à celui des communs (en plus « terre à terre »). Ce que l’on déplore avec l’effondrement qui vient, c’est qu’aucun autre paradigme que celui du capitalisme ne semble en mesure de répondre au besoin d’organisation des sociétés. Et j’avoue, lorsqu’on me parle de l’auto-organisation anarchiste, je n’en vois pas les aspects concrets et macroscopiques. Je pense que c’est en partie cela qui effraye les gens, la perspective qu’il n’y rien après et qu’il n’y ai pas un déjà-là suffisamment puissant pour devenir la matrice de la société post-productive.
Ayant été assez « secoué » comme certains par cette émission, il me semble d’utilité publique que cette interview soit diffusée le plus largement possible.
Y a-t-il possibilité de voter pour rendre cette émission en accès libre ?
Cet un bel outil pour une prise de conscience plus large.URGENT DE METTRE CETTE EMISSION EN ACCÈS LIBRE !
« ABSENCE TOTALE DE CONSCIENCE SOCIALE » ????
…Faut-il offrir un second visionnage à Loïc CHANTRY ?
J’y vois AU CONTRAIRE, LA CONSCIENCE SOCIALE LA PLUS RIGOUREUSE en ce sens qu’elle fait preuve d’une responsabilité aiguisée en une situation d’un degré de gravité inédit qui l’exige a minima.
Encore ne faut-il pas faire un hâtif procès pour pessimisme avant d’avoir lu et étudié… [ Hein Loïc ? ]
Pablo SERVIGNE vient de livrer avec Gauthier CHAPELLE un excellent nouvel ouvrage : ENTRAIDE.
(il semblerait qu’il y parle de conscience sociale !!!Hahaha !)En géopolitique , PS est assez faible , citer le Vénézuela qui a des réserves de pétrole très importantes est le contre exemple parfait , en revanche les US qui sont conscient de cet état de fait font tout en tant qu’impérialistes pour se l’approprier.
Je viens de regarder PS interviewé par THINKERVIEW a évolué un peu dans son discours.
Il n’a pas lu le programme de la FI qui a intégré le programme Négawatt qu’il défend même si c’est insuffisant par rapport au danger nucléaire.
Bref peut mieux faire!
Dans le même genre, je vous recommande le travail de Philippe Bihouix « L’âge des Low Tech »
C’est intéressant d’observer notre réaction face à des nouvelles qu’un partie de nous considère vraies (sinon on ne réagirait pas, on les laisserait de côté comme des choses sans intérêts) et qu’une autre partie de nous rejette plus ou moins violent. Dans ces cas là c’est un peu comme si on investissait le messager du devoir de trouver et d’apporter des solutions aux enjeux qu’il met en lumière. Est-ce raisonnable d’investir une personne d’une telle responsabilité ?
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