Médiarchie

avec Yves CITTON
publiée le
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animée par Judith BERNARD

Qui d’entre nous n’a pas éprouvé ça : le sentiment de notre impuissance devant l’inéluctable déroulé de l’histoire ? Depuis des années nous voyons par endroits le monde se disloquer, nous voyons partout les cyniques pérorer, les menteurs être élus et les pires recettes reconduites. Nous crions que nous ne sommes pas d’accord, nous prenons le mégaphone pour faire entendre nos colères, créons des médias alternatifs pour diffuser notre critique – et notre défaite poursuit son invariable chemin triste, comme si tout ça s’écrivait de toute façon sans nous. Le monde inlassablement s’offre à nous comme un spectacle funeste, sans que jamais nous ne parvenions à le saisir comme terrain d’action ou comme matière à transformation.

Cette impuissance, Yves Citton la relie à notre méconnaissance de la « médiarchie ». La médiarchie : le mot fait entendre le « pouvoir » des « médias », mais la médiarchie, c’est bien plus que l’omnipotence des mass-média : la médiarchie c’est un régime d’expérience et de pouvoir par lequel non seulement les medias nous gouvernent, mais nous constituent, à la fois individuellement et collectivement – poussé à son dernier degré, ce régime de pouvoir et d’expérience tend à fantômiser à la fois le monde, et nos subjectivités, nous menaçant de devenir les zombies de notre époque… Car nos médias ne sont pas seulement des « outils » d’information ; ils conforment nos manières de voir, de sentir et de juger, ils structurent de l’intérieur notre affectabilité et notre agentivité (nos capacités respectives à être affectés et à être affectants – agissants) et nous empêchent, au fond, de les penser eux-mêmes, puisqu’ils pensent en nous.

Avec ce livre, Yves Citton nous invite donc à ouvrir les yeux sur ceci que les medias nous font – étant entendu qu’ils ne nous font pas seulement quelque chose ; ils nous font. Point. Nous sommes ce qu’ils font de nous. Une fois ceci posé, on comprendra que l’auteur soit estomaqué que les formations politiques progressistes n’aient pas toutes mis en préambule catégorique de leur programme d’action la refonte globale de la médiarchie ; c’est-à-dire pas juste quelques réformes cosmétiques, mais une métamorphose structurelle du système – laquelle est un préalable inconditionnel à toute entreprise de transformation du monde.

Mais ne l’ont-elles pas déjà fait, d’ailleurs ? On songe ici bien sûr au projet du Média, formé dans l’environnement immédiat de la France Insoumise, avec comme objectif déclaré l’élaboration d’un mass media portant un discours alternatif sur le monde, susceptible de devenir un puissant levier d’opinion, d’action et de transformation des choses… Qu’en pense-t-il, Yves Citton, de ce projet ? Et faut-il nécessairement viser « les masses » – au risque de subir les effets émollients d’une centralisation du discours ? Les médias alternatifs de moindre envergure, où des analyses plus radicales peuvent se faire entendre, ne contribuent-ils pas eux aussi à la transformation profonde des subjectivités qui forment ce monde à transformer ? Certes, répond Citton : ces médias alternatifs sont essentiels (il en anime un lui-même, en tant que co-directeur de la revue Multitudes) et produisent un indispensable travail de longue haleine. Mais voilà : on n’a plus le temps d’attendre. Tout s’accélère, et d’abord la catastrophe, et donc : ça urge. Et c’est cette urgence, sans doute, qui lui a fait prendre la plume pour écrire Médiarchie, et qui donne à sa parole une vivacité ultra-stimulante, et, vous le verrez, particulièrement communicative.

Judith BERNARD

Durée 75 min.

3 réponses à “Médiarchie”

  1. Astree

    super émission, on aimerait poursuivre avec le même invité sur d’autres sujets qu’il a travaillés. merci à vous deux.

  2. Maryse Vidal

    Bonjour Judith!
    Un commentaire général sur vos questions, lorsqu’elles sont relatives à a France Insoumise. Ce commentaire m’a été inspiré par la séquence sur le nouveau media en création, mais il est plus général. On ressent (plus qu’on entend) beaucoup de réserves implicites, de frustration ou de critiques à l’égard de la FI. Aucun problème sur le fait d’avoir une posture critique, bien entendu. Mais moi qui vous suis et vous apprécie depuis longtemps, j’ai un sentiment de malaise grandissant, celui du non-dit… Si j’ai raison, pourriez-vous nous dire ce qui vous gène? En tant que « Friotiste », je trouve que la FI ne va pas assez loin pour espérer vaincre le capitalisme, mais la proposition de la FI est tellement nouvelle et radicale dans le champs politique qu’il me semble qu’il faut lancer toutes nos forces dans ce mouvement, tout en étant explicite sur ce qui nous va pas…
    Bien à vous!

  3. Maryse Vidal

    Merci Judith pour votre réponse. Je partage votre analyse politique sur le programme de la FI en ce qu’il ne s’attaque pas suffisamment au coeur du problème, à savoir le capitalisme. Je partage également les réserves critiques que vous formulez si le media se donne pour objet d’être le porte-voix de la FI, comme les indices et déclarations de ses actuels coordinateurs peuvent vous le laisser penser, et je vous fais assez confiance pour ne pas en douter.
    Quelques remarques cependant.
    1/ je ne vous suis pas sur l’idée qu’un media de masse gommerait nécessairement toute subversion ou aspérité. On peut très bien diffuser idées subversives, qui ne seraient vraisemblablement pas partagées par la majorité des spectateurs (majorité en désaccord, qui changerait aussi selon le point de vue diffusé) mais qui se retrouvera sur le besoin et l’envie de débattre, discuter, comparer, confronter, etc.
    2/ En y repensant, l’objet principal de mon commentaire est la crainte des oppositions stériles entre « nous », sur le thème: je suis plus « pur », plus « radical », plus dans le vrai que vous, etc. Alors que l’on partage tellement d’analyses (ce que Citton a d’ailleurs également très bien formulé). Agissons ensemble (je ne m’adresse plus à vous Judith, mais à tous ceux qui inspirent ma crainte…). Ce processus « actif » nous changera, et créera plus surement des convergences d’idées (et de nouvelles divergences!) que les exigences préalables en certificats de pureté!
    3/Il me semble que la possible captation partielle des ressources financières que peut opérer le nouveau media joue un rôle dans les réactions à l’annonce de sa création. Est-ce comme cela qu’il faut comprendre l’offre récente de la Presse Libre?

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