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Paradoxes de récits de transclasses

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On en a lu, relu, re-relu. Des récits, écrits à la première personne, d’écrivains que rien ne prédestinait à prendre la plume un jour, écrivains partis de rien, ayant déjoué tous les déterminismes sociaux et néanmoins décidés à les dire, ces déterminismes, parfois à les dénoncer explicitement. Récits de miraculés qui refusent de croire aux miracles, de bons élèves qui esquintent l’institution scolaire, d’intellectuels écoeurés par les sophistications de la pensée, de méritants qui honnissent la méritocratie, de résilients encombrés de névroses et de mauvais affects. Toutes ces contradictions logées au coeur des récits de transclasses – en réalité, d’une partie de cette littérature (celle de gauche pour le dire vite) – ne sont pas forcément des faiblesses du genre. Il est probable qu’elles soient leur raison d’être, ce qui précisément « fait oeuvre » (contrairement aux récits de transclasses de droite, plus cohérents, plus « réussis » et pour cette raison même cantonnés à une sorte de sous-littérature du genre).
Comment raconter la violence sociale, le manque, l’humiliation, l’absence totale de perspectives, qui font le lot quotidien des classes laborieuses à partir d’un parcours d’exception ? Comment raconter les bonnes et mauvaises étoiles qui voient naître enfants de bourges et enfants de prolo en maintenant un ordre impeccable et ne pas faire du petit inexpliqué de son propre parcours un chaos qui annule tout ? Comment venger les siens quand, objectivement, on a « trahi » tout ce qui nous reliait à eux ? Ces questions impossibles, mille fois remises sur le métier, font de cette littérature un agrégat de textes quasi-similaires, ultra-réflexifs, au ton souvent lancinant, se reprenant sans cesse, parfaitement conscients de l’inconfort de l’entreprise car vouée à plaire aux classes intellectuelles bourgeoises convaincues des bienfaits de la lecture et des études : trier parmi les prolos ceux qui méritaient de le rester des quelques élus qui les gratifient désormais d’un précieux témoignage. « Inspirants », non ?
Les récits de transfuge de classe sont désormais un topos de la littérature contemporaine, dite « politique ». Le canevas narratif commence à se voir et donc à rater ses effets. Dit plus franchement, on commence à en avoir marre. Qu’est-ce qu’ils ont tous à vouloir nous faire pleurer sur leur passé de prolo – si tant est que celui-ci est avéré (les faux transfuges de classe constituent à eux seuls un autre dossier) ? Mais surtout, pourquoi systématiquement sous cette forme-là, reconduisant les codes du roman classique, cette langue-là, dépouillée au possible mais portée par une érudition de professeur, ce ton-là, cette humilité grandiloquente, cet autoritarisme de la décence qui empêche l’expression de sentiments moins balisés, comme par exemple le rire ?
Ce sont toutes ces considérations – prises entre l’admiration sincère pour certains de ces récits et l’agacement que suscite notamment leur prolifération (c’est là un point à nuancer – nous le verrons dans l’émission) – que le livre de la linguiste Laélia Véron, Venger et trahir. Paradoxes de récits de transfuge de classe (La Découverte, 2024) permet de mettre en ordre et de penser froidement, avec distance et surtout sans céder à un mauvais esprit ricaneur. Elle nous raconte surtout comment cette littérature est appelée à se déplacer ou à se renouveler si elle ne veut pas finir par mourir de ses paradoxes.
Louisa Yousfi
5 réponses à “Paradoxes de récits de transclasses”
Laélia Véron devrait faire un effort pour parler plus lentement et articuler. On a l’impression qu’il lui importe peu que son discours soit compris. Comme Louisa Yousfi est à peine meilleure, le spectateur a l’impression d’être exclu du dialogue et d’assister à un papotage entre deux bonnes copines, ce qui est dommage car on a la conviction qu’elles se disent des choses intéressantes.
Laélia Véron cite des noms propres en quantités industrielles (des noms généralement inconnus du grand public) sans se douter que le spectateur serait dans l’impossibilité de les entendre si le réalisateur ne lui sauvait pas la mise en montrant les couvertures de livres sur lesquelles figurent ces noms.Le cas des transfuges de classe, c’est une manière de nier (minimiser par l’exception) le blocage global de l’ascenseur social.
C’est aussi un discours qui sert aux classes supérieures à ne pas culpabiliser sur leur féroce envie de reproduction d’élites endogames.
Les classes de niveaux à l’école alsacienne, on en rêve !Un « transfuge en upper-class », peut aussi arriver à la conclusion que la classe supérieure à laquelle il a accédé (ou qu’il s’imagine avoir accédé dans le regard de l’autre), est un vaste espace d’hypocrisie et de codes sociaux assez frustres et factices qui ne justifient pas de rester dans cet environnement (il faut du temps pour l’assimiler, forcément). Il y a mieux à faire en retournant ou en affirmant/revendiquant ses origines comme une fracture avec ces classes dites supérieures dont les affirmations sont excluantes pour ne pas dire plus. Le transfuge de classe dispose lui des éléments de comparaison qui peuvent lui permettre de décoder les faux semblants surplombants assez futiles. Dans cette émission, dominent les cas individuels qui ont « réussi » à se maintenir et surtout en littérature.
Le symbole de l’échelle sociale est bien un outils (de com) des classes supérieures pour identifier les critères et identifications des classes plus basses sans faire usage « des hautes valeurs morales » dont ils voudraient bien se réclamer du fait de leur statut autoproclamé.
Dans l’ensemble de l’émission, je reste sur ma faim.
Pourquoi suis-je resté finalement un homme de lettres (postales) ? Humour à deux balles ?@papriko : Pour ma part je comprends parfaitement et sans problème Dame Veron comme Dame Yousfi (Mesdames, je vous en prie, ne changez rien !). Je vous le confirme, on est loin du « papotage » et c’est tout à fait intéressant. C’est dommage de passer à côté d’un entretien de haut niveau pour un bête problème de compréhension. Sachez que vous n’êtes pas isolé et les lecteurs vidéos proposent des fonctions d’accessibilité qui pourraient bien vous aider. Si les plus jeunes utilisent ces fonctions pour passer les vidéos en lecture rapide (vivre vite), les plus vieux peuvent faire l’inverse. Vous trouverez en haut à droite du lecteur une petite molette qui vous donnera accès à divers réglages dont la vitesse de lecture.
P.-S. au sujet de votre problème de misogynie, la lecture de Testosterror (Luz chez Albin Michel) pourrait vous aider.
D’accord avec le commentaire de Papriko qui dit que le spectateur à l’impression est exclu de l’échange . Je l’aime pourtant bien L Véron mais surtout à France Inter. Ici à hors série et comme trop souvent, c’est un ensemble de copines de Normal Sup qui papotent ensemble ça va vite, c’est entre soi, brillantes certes mais … chiantes. Et je ne parle pas des autres invités qui ont l’art d être incompréhensible (je pleins leurs étudiants). Bon je suis un peu fâché ou plutôt fatigué.Malgré tout il y a de bons moments mais c est trop rare. Vais je continuer à tenir la chandelle ?
@SirDeck : votre commentaire est méchant et condescendant. Pourquoi m’accusez-vous de misogynie? Que savez-vous de moi ?
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