Quand leurs mots dictent nos vies

avec Olivier BESANCENOT
publiée le
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animée par Manuel CERVERA-MARZAL

Maja m’avait reçu en février dernier, pour discuter du rôle des intellectuels. Aujourd’hui, elle m’a cédé l’antenne, pour ma première émission en tant qu’animateur. Et, comme une nouveauté ne vient jamais seule, j’ai accueilli un invité tout droit venu du monde politique ; ou devrais-je dire du monde militant. C’est plus conforme à la vie d’Olivier Besancenot qui, récusant les arrangements politiciens, passe son temps dans les luttes, quand il n’est pas tout simplement au boulot. Car oui, Olivier bosse toujours, à la Poste.

La première fois que je l’ai vu à l’écran, lors de la campagne pour les présidentielles de 2002, il avait vingt-huit ans. Moi, j’en avais quinze. Issu d’une famille peu politisée, j’aurais été incapable d’expliquer la différence entre droite et gauche. Disons que je voyais la première comme garante de la liberté et la seconde comme garante de l’égalité. Et, comme ces deux valeurs me paraissaient importantes, si on m’avait demandé mon orientation politique, j’aurais dit que j’étais centriste. Pourtant, j’ai tout de suite été sensible au discours d’Olivier. Je savais qu’il était d’extrême-gauche. Rien que ce mot – extrême – suffisait à me faire peur. Mais son discours n’avait rien d’extrême, il faisait appel au bon sens et à des principes altruistes. Et, surtout, j’avais l’impression de comprendre ce que disait Besancenot. Quand j’entendais Jospin ou Chirac, j’étais loin de tout capter.

Ce talent pédagogique, j’ai pu le constater maintes fois par la suite. Qu’est-ce qu’une « crise de surproduction » selon Karl Marx ? Que veut dire le « partage du sensible » sous la plume du philosophe Jacques Rancière ? C’est en écoutant Besancenot en parler que j’ai fini par vraiment comprendre ces notions qui, jusqu’alors, restaient fort brumeuses pour ma cervelle !

Mais Besancenot ne se contente pas de transmettre les pensées de ses illustres prédécesseurs. Il s’essaye lui aussi à la production d’idées. Cinq ouvrages en sont nés en cinq ans. Il ne prétend pas théoriser à la place des théoriciens mais, plus modestement, partir de son expérience militante pour apporter sa petite pierre à la refondation d’une pensée révolutionnaire. Cette tâche, précise-t-il immédiatement, ne peut être que collective. J’ai souhaité revenir sur son cheminement intellectuel, en partant de son dernier livre, dans lequel il explique que la lutte des classes commence par le choix du vocabulaire que chacun mobilise. D’où vient la novlangue néolibérale qui rebaptise « plan de sauvegarde de l’emploi » des licenciements ? Comment se réapproprier les mots, nos mots, ceux de l’émancipation, de l’égalité et de la liberté, pour ne plus laisser leur vocabulaire insidieux piétiner notre dignité et dicter le sens de nos vies ? Ce sont ces questions, et d’autres encore, dont nous avons discuté.

Manuel CERVERA-MARZAL

Durée 87 min.

10 réponses à “Quand leurs mots dictent nos vies”

  1. Alain Heurtier

    Bonjour

    Je n’ai pas encore regardé la vidéo mais çà commence mal.
    En effet, peut-être certains, certaines, estimeront que la remarque qui suit est quelque peu issue d’un esprit pointilleux et hors de propos – en tout cas elle se veut loin du jargon actuel qui sévit un peu partout – mais tout de même, penchons-nous un moment sur cette intéressante idée de se « réapproprier les mots » – voir ci-dessous (1) – quand dans l’argumentaire de l’email de Hors Série reçu ce jour on lit, je cite deux points ouvrez les guillemets :

    « Maja est toujours de l’équipe. Simplement, son nouveau job lui fait traverser une période très intense qui la rend peu disponible pour Hors-Série »

    Là, c’est le mot « job » qui pose problème. N’existe-t-il pas dans la langue française d’autres mots plus nobles et plus précis qui désignent une occupation professionnelle?
    Je pense que cet anglicisme passe partout n’a rien à faire sur ce site et encore moins dans cette émission car à mon avis, il participe à une dévalorisation de la notion de travail certes tant malmenée depuis quelque temps et de fait,renvoie à tout et à n’importe quoi. Ou alors peut-être – bon allez, une petite provocation amicale – à « job » comme … jobardise ?

    (1) Extrait du texte de présentation Quand les mots dictent nos vies « Comment se réapproprier les mots, nos mots, ceux de l’émancipation, de l’égalité et de la liberté, pour ne plus laisser leur vocabulaire insidieux piétiner notre dignité et dicter le sens de nos vies ?
    Ce sont ces questions, et d’autres encore, dont nous avons discuté. »

    Bien cordialement et fidélement tout de même

    Alain Heurtier

  2. Dominique L

    Bonjour,
    Olivier Besancenot, que j’ai écouté sur Médiapart avant hier face à Henri Weber, a, ici, le temps de développer sa réflexion, sa philosophie, le passage sur le Kurdistan est très riche dans son enseignement et son « modèle ».
    Pour ne pas polémiquer stérilement, il évite d’attaquer le Front de Gauche, non sans égratigner Mélenchon.
    Concernant le temps présent, comme il est conscient qu’il faut partir de l’existant pour créer un espace politique, j’aurais bien aimé qu’il essaie de décrire le compromis ou la stratégie qui, à ses yeux, permettrait d’unifier les « troupes » de gauche pour amorcer un mouvement qui donne de l’espoir dans la perspective des échéances prochaines.
    En tout cas merci à lui pour la réflexion qu’il suscite.

  3. jeremie chayet

    Oui olivier, mais notre classe a été révolutionnaire, ce que tu sembles oublier. Il existe des institutions socialiste de la valeur économique, déjà là. Mais comme les Pinçon, tu ne les vois pas. Le réseau salariat milite pour que le salariat, en tant que classe révolutionnaire, soit le nouveau visage du prolétariat. La lutte de classe se joue sur la production, et heureusement car sur la consommation c’est plié… Le pouvoir n’est un problème que quand il n’est pas dilué: vive le salaire à vie, rendant les producteurs copropriétaires d’usage des outils. Il faut socialiser, sans étatiser, massivement sous forme de cotisations notre production. Nous ne sommes pas là pour témoigner avec quelques poches autogestionnaires résistantes. Ah, et au passage, si les mots ont un sens, classiste, vouloir le plein emploi c’est vraiment travailler pour l’ennemi: serions nous aliéner au point de vouloir le plein d’employeurs ? Personnellement, je ne veux pas légitimer le capital en le taxant.

  4. danielle brossier

    Excellente recrue que ce jeune homme dont j’avais déjà beaucoup apprécié l’interview ! Ca fait tellement de bien de voir et d’écouter des gens jeunes.

    J’ai beaucoup aimé aussi les propos d’Olivier Besancenot qui m’a donné envie de lire tous ces livres pour mieux comprendre le monde dans lequel on vit.

    Comme d’habitude, une émission dont on sort en se disant qu’on a bien réfléchi, qu’on est un peu moins ignorant, un peu plus intelligent. Merci à vous.

  5. Abracadabra

    Intéressant. A part ça, Manuel, remis de votre passage un peu mouvementé à Répliques chez l’ami Finkielkraut ?

  6. monique A

    « pardon de le dire, je veux pas polémiquer c’est pas le genre de la maison :il hésite et se lance: hé oui , Jean Luc Mélenchon « bégaie » sur « la liberté d’installation ». Ouf il l’a placé, après on peut repartir gentiment sur la nécessité du dialogue etc etc…
    Et sa position à lui c’est quoi sur « la liberté d’installation »?
    Moi je pense que parmi les milliers de migrants qui arrivent il y en a peut-être beaucoup qui auraient bien aimé rester chez eux, vivre au pays comme on disait avant et qu’il est bien légitime de s’interroger sur les causes de toute cette misère et de vouloir agir sur elles…
    Pour continuer le dialogue si nécessaire selon de nos deux amis ,si on invitait Jean Luc Mélenchon pour nous parler de sa position sur « le souverainisme », « la liberté d’installation », manière de travailler concrètement aux « convergences des luttes ».

  7. fxajavon

    Rendez-nous Maja ! Quoi ?! (je sors)

  8. Joel Dezafit

    Bon travail. Pour revenir sur un point symptomatique, ce qu’OB égratigne chez JLM n’est pas tant le souverainisme du programme de celui-ci que sa propre contradiction face à la nécessité dialectique d’un « Imperium » (cf. Frédéric Lordon) pour gouverner le commun. OB se pense plus marxiste que libertaire mais demeure très réservé, pour ne pas dire plus, quant à l’état nation comme infrastructure nécessaire, jusqu’à adopter des jugements trop binaires et donc inopérants. On aimerait suivre très bientôt un débat OB/JLM pour creuser ce point, certes, mais en attendant je renvoie les auditeurs intéressés par cette problématique à la rencontre qu’ils ont déjà eu en 2o11 (chez REGARDS de Clémentine Autain) et dont la bonne tenue permettait de lire plus clairement ce qui les distingue et ce qui les rassemble.
    C’est là en version complète : https://www.youtube.com/watch?v=853d8BR–CA
    En l’état des reflexions d’OB, c’est un entretien avec Frédéric Lordon qu’il faut aussi nous souhaiter de suivre. Pourquoi pas ici chez Hors-Serie, quelle que soit la rubrique et avec un arbitrage moins . . complaisant, pour égratigner tout le monde là où ça frotte ? Le sort de l’état nation n’y serait pas tiré à pile ou face et la rencontre pousserait plus loin encore l’analyse critique des vocabulaires jusqu’à la puissance des idiomes qui les portent.
    Bonne chance pour les en convaincre.

  9. mendi

    Merci de cet entretien. Ça a été vraiment très long d’attendre la fin de l’émission pour entendre parler de ce qui était censé être le sujet central, la question du langage, et il a fallu une question de Manuel pour évoquer une des rares expériences positives, le renouveau du lexique politique par le mouvement du 15M en Espagne (ou plutôt de l’invention de concepts ou de formules par des groupes d’activistes, qui ont été repris massivement parce que beaucoup de gens se sont retrouvés dans les expressions crées : No vas a tener una casa en la puta vida, Democracia real ya, No nos representan, etc…). Postérieurement il me semble qu’Occupy Wall Street a créé la formule des 99% vs. les 1% (inventée d’ailleurs par un publicitaire si ma mémoire est bonne), qui a été ensuite reprise dans de nombreux pays.
    Habitant moi même en Espagne, si on me demandait quelle est ma classe sociale, je répondrais la classe des 99%, ça ne me viendrait pas à l’idée de répondre que je suis ouvrière ou prolétaire (même si je correspond peut être de façon stricte à la définition, je n’en sais rien). Si le capitalisme (ou le système) produit constamment des mots nouveaux qui en réalité disent plus que les mots anciens (charges au lieu de cotisations, pour faire comprendre que c’est un poids, le mot est intentionnel et efficace) pourquoi la gauche radicale ne ferait pas l’effort de renouveler aussi son vocabulaire ? Pas pour renier les expériences historiques mais pour adapter les mots à de nouvelles réalités ; ouvriers, prolétaires ou lutte des classes, ce ne sont pas des mots négatifs en soi, mais ça renvoit à des imaginaires dans lesquelles la majorité des gens ne se reconnaissent plus.
    En tout cas c’est très décevant de voir que quelqu’un comme Olivier Besancenot (qui a peut être un longue expérience militante, mais qui n’a que 42 ans…) est incapable de voir la nécessité de renouveler le lexique politique en France.

  10. Samuel V.

    salut camarade ! 🙂

    Pas un mot sur Bernard Friot et les thèses de Réseau Salariat… domage.
    B. Friot parle de « guerre des mots », il dit que nous sommes « un pays occupé », par une langue.
    J’aimerai savoir si Olivier Besancenot a lu Bernard Friot …

    Sinon super entretien !

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