Touche pas à Mélenchon

avec Wissam BENGHERBI & Stathis KOUVÉLAKIS
publiée le
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animée par Louisa YOUSFI

Il y a 5 ans pile, en pleine campagne présidentielle, j’animais une émission sur Paroles d’honneur – « un média 100 % autonome, 100% décolonial » – au titre mémorable : « Mélenchon est-il notre pote ? ». Si la formule amusait, c’est par la familiarité ironique du mot « pote » qui dissimulait plutôt mal notre avis sur la question. Un « pote » dans la mémoire des luttes de l’immigration, c’est tout sauf un allié, encore moins un ami. Plutôt un récupérateur historique, un saboteur acharné de l’autonomie organisationnelle des luttes non-blanches. Autonomie que le mouvement décolonial avait mis tant de soin à édifier, radicalisant et clarifiant substantiellement son agenda politique et stratégique. En posant ainsi la question, nous narguions alors le candidat de la France Insoumise en rappelant à la mémoire de tous une photo d’archives peu glorieuse : celle du jeune Mélenchon en tête de cortège d’une manif de SOS racisme, la gigantesque main jaune affichant en arrière-plan ce qui allait devenir la formule canonique du paternalisme de gauche le plus crasse : « Touche pas à mon pote ». Néanmoins, Danièle Obono avait répondu présente ; présence communément qualifiée de « courageuse » tant notre volonté d’en découdre était palpable. De fins observateurs auraient cependant saisi la subtilité de l’entreprise : souhaiter régler ses comptes avec quelqu’un, ce n’est pas seulement vouloir l’affronter, c’est exprimer en creux le désir de négocier avec lui les termes d’une éventuelle réconciliation.

Il n’empêche que le message était clair : il n’était plus question de faire de nous un réservoir de voix opportunément mis à disposition d’une gauche qui, en temps normal, ne daignait pas nous donner l’heure. Et la menace de l’extrême-droite, déjà sérieuse, n’y faisait rien. « Nous ne sommes pas des castors », s’écriaient en chœur sur les réseaux sociaux les voix postcoloniales politisées, exprimant ainsi leur refus de céder à la stratégie du « vote barrage ».
Si nous devions voter pour Jean-Luc Mélenchon, chacun le ferait dans le secret d’un isoloir. Ou il ne le ferait pas, et ce n’était pas nous qui irions lui reprocher.

5 ans plus tard, la même bande de décoloniaux, à quelques exceptions près, signe un édito intitulé « Pourquoi Mélenchon ». Morceau choisi : « Pour ce qui nous concerne – alors même que nous tenons autant à l’autonomie qu’à la ligne décoloniale – nous appelons à voter Mélenchon sans réserve, sans fausse pudeur et sans mauvaise conscience. Pour des raisons de fidélité à nous-mêmes, pour des raisons politiques et pour des raisons stratégiques. »

Que s’est-il passé depuis ? Quid des castors ? Quid de l’autonomie ? Est-ce là l’expression d’un reniement, d’une trahison, d’une concession ? Qui a changé : nous ou Mélenchon ? Ou les deux ? Bref, il est temps de raconter tout ça.

J’ai donc invité Wissam Bengherbi, doctorant et militant décolonial, membre du QG décolonial, et animateur du média Paroles d’honneur pour nous aider à comprendre ce cheminement. Si on devait résumer l’argumentaire, on dirait : il faut savoir reconnaître notre part de Mélenchon, c’est-à-dire notre part dans Mélenchon – visage paradoxal, dialectique, négocié des luttes qui ont émaillé le pays ces dernières années. Parmi elles, on trouve la lutte antiraciste bien entendu mais plus largement l’ensemble des mouvements sociaux, de l’insurrection des Gilets jaunes aux mobilisations contre la loi travail en passant par les mouvements de grèves contre la réforme des retraites. De quel point d’équilibre entre ces différentes luttes la candidature de Jean-Luc Mélenchon est-elle donc le nom ? Quel est-il ce fameux « visage négocié » qu’il serait désormais temps de soutenir sans fausse pudeur ni mauvaise conscience ? Cette question, nous ne pouvions y répondre sans faire appel au regard précieux – à la fois expert et engagé – de Stathis Kouvélakis, philosophe et membre de la rédaction de Contretemps qui a le mérite d’apporter une profondeur de champ à cette part de Mélenchon que nous avons tant intérêt à soutenir et à accompagner dans le plus désastreux des contextes.

Louisa YOUSFI

Durée 71 min.

9 réponses à “Touche pas à Mélenchon”

  1. titou

    Il est temps de ne plus parler de gauche quand on sous-entend le PS ou EELV.
    Le racisme s’est complètement décomplexé depuis le conflit en Ukraine et a les faveurs de tous les médias . Ne parlons pas d’ASI qui se complait dans la narrative dominante au lieu d’analyser la situation.
    Begaudeau est arrivé au point de non-retour et se plait dans sa petite bourgeoisie parisienne, ses chevilles vont avoir du mal à entrer dans ses 50 m2: triste fin .Le principal souci de JLM est bien le fait qu’il n’a pas voulu construire de structures locales . Cela va manquer pour les législatives où les egos vont se battre.En tous cas la France et l’UE puent très fort en ce moment, même si le racisme est une chose très répandue de par le monde , hélas….Si JLM n’est pas élu , je crains pour tous les racisés français.
    Nous vivons une époque « merveilleuse »de laquais de l’Otan . Il est temps d’en sortir , comme de l’UE d’ailleurs qui est sous domination de droite raciste .

  2. jacques soyer

    Merci d’avoir abordé la position totalement absurde de François Bégaudeau (j’ai suivi l’interview de Daniel Mermet – je ferai de la politique, au sens prôné par Bégaudeau, en n’achetant pas son bouquin ;-)). Merci aussi pour la mise à l’ordre du jour de la dimension internationale.
    Après lecture du commentaire de titou, je constate un positionnement, vis-à-vis de Bégaudeau, formulé avec une verve qui me sied bien. J’éprouve, comme lui, les mêmes agacements pour ASI.

  3. Georgina Meliot_1

    Merci à Hors Série d’exister et de donner toute la place nécessaire à la réflexion, via cette émission en particulier,sur des sujets presque toujours traités de façon partisane et/ou biaisés par une idéologie qui n’énonce pas systématiquement ses présupposés…mais est-ce possible de le faire ?
    Ici, comme dans nombre d’émissions diffusées sur le site de HS, les présupposés sont clairs, les faits sont clairement rapportés, et la discussion est un bel exemple de débat qui tente de faire avancer la pensée pour que l’action (électorale ou autre) puisse mieux se faire « en connaissance de cause ».

  4. Francois Leroux_1

    Très bon entretien. Mais il y a un point où je suis un peu en désaccord. Je ne crois pas que c’est seulement parce que les ukrainiens sont des catholiques et qu’ils combattent contre le pouvoir russe mais c’est peut être aussi que ce conflit réveille une mémoire pas si ancienne de la dernière guerre, des bombardements en Europe etc…

  5. JR

    On n’est pas sorti du sable!
    Entendre dire que Mélenchon a été raciste mais qu’il a évolué c’est difficilement audible pour quelqu’un comme moi qui a applaudi au discours de Mélenchon à Marseille lors de sa première campagne présidentielle en 2012 (mais les « décoloniaux » sur le plateau étaient encore dans les jupes de leurs mères) et sa prise de position anti raciste très ferme durant ce discours lui a valu un recul net dans les sondage.
    Lire ci-dessus que SOS racisme n’était qu’une manœuvre du PS pour empêcher toute autonomie revendicative des personnes racisées est aussi aberrant: il y avait un élan anti raciste (les tensions et les discours racistes d’alors étaient bien aussi forts que ceux que nous connaissons actuellement), élan concrétisé par un slogan et une marche partie de province vers Paris et des centaines de milliers de soutiens sincères; la récupération du PS n’est venue qu’après coup!
    Nous avons apprécié les prises de position de Mélenchon (et des Insoumis) tout au long de ces 5 dernières années , compte tenu de la gravité des dérives et des tensions de notre société concernant les personnes immigrées, celles et ceux qui en sont issu.e.s. qu’elles soient de la deuxième, troisième et quatrième générations, notamment envers les personnes originaires de toute l’Afrique.
    Mélenchon n’a jamais été un raciste; autant que je m’en souvienne (j’ai connu ce type au lycée!) il a toujours été, dans la sphère politique où il a évolué, un humaniste.
    Dire qu’il a été raciste est soit de la bêtise, soit du dogmatisme idéologique , soit un travail de sape commandité.
    Il est très peu productif de séparer la classe ouvrière en sous groupes: blancs, femmes, racisés etc…Pour sortir du capitalisme seule l’union populaire pourra le faire contre des capitalistes qui sont eux aussi blancs, femmes, noirs, athées, musulmans, cathos, etc…
    Quant à Bégaudeau il semble que ce soutien de Macron de 2017, déçu depuis, y revienne en prônant l’abstention, c’ est un luxe de nanti qui souhaite que rien ne bouge, surtout pas son capital qui doit faire des profils à la banque!

  6. Astree

    Gros malaise pour moi à entendre trois interlocuteurs prêter à un auteur qu’ils n’ont manifestement pas lu – c’est dit explicitement par Louisa Yousfi – un combat qui n’est pas dans son livre, que j’ai lu pour ma part.
    François Bégaudeau ne dit pas à ses lecteurs dans l’ouvrage cité qu’il leur faut s’abstenir. A aucun moment. Il met d’emblée de côté cette question et invite, comme d’ailleurs Reclus ou Rancière avant lui, à interroger en profondeur et en détail ce moment particulier qu’est l’élection présidentielle et à considérer la façon délétère dont il installe et légitime auprès de la population la confiscation décomplexée du politique par un petit nombre, à l’oeuvre elle tout le reste de l’année.
    On peut bien sûr contester son propos, mais au moins en connaissance de cause, c’est-à-dire en honorant a minima le titre de cette émission : Dans le texte, donc en commençant par lire celui à propos duquel on prétend faire réagir ses deux invités.
    Et d’ailleurs pourquoi ne pas l’inviter ensuite pour une critique si ce n’est constructive, au moins correctement informée ?

  7. Astree

    @Judith @Louisa : merci pour votre réponse et votre décision.

  8. Gaetan Piaton

    Serait-il possible d’avoir un liens pour offrir l’émission à des amis ?? En cette période électorale il serait bon de pouvoir convaincre ses amis etc …

  9. Benoit987

    J’appuie le message de Pierre Hosteins. J’ai été surpris par la manière expéditive avec laquelle la réflexion de Bégaudeau a été balayée. Ce n’était pas digne de Hors Série, qui d’habitude s’honore d’avoir lu les textes avant d’en parler.

    Je comprends que le positionnement de François Bégaudeau, que je reconnais parfois purement esthétique, puisse agacer. Mais pour en parler, il faudrait s’appuyer sur ce qu’il dit, et pas sur ce qu’il ne dit pas.

    En l’occurence, Bégaudeau ne dit pas qu’il faut s’abstenir de voter. Il dit en substance que voter dans un isoloir est un geste dépourvu de contenu politique, et croire que Mélenchon va sauver la gauche, ou la France, c’est renoncer à notre puissance politique.

    Franchement, quand on est de gauche, c’est un raisonnement qu’il faudrait pouvoir entendre. J’espère qu’un jour vous le recevrez pour parler de ça avec lui.

    (j’ai vu après avoir posté que vous avez déjà répondu à cela, merci à vous et continuez votre travail)

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