La face cachée du Comité invisible
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Ugo Palheta
Laura Raim
Je continue sur ma lancée des entretiens dédiés au mouvement social actuel. Vous l’avez compris ( on ne peut pas dire que j’aie particulièrement cherché à le cacher) : ce mouvement me réjouit. Je vois une intensité, une rage, une joie qui manquaient aux manifs Répu-Nation standard où je me rendais rituellement, par sens du devoir mais sans grand espoir, ces dernières années. D’où vient cette énergie ? En grande partie de la présence de jeunes autonomes et de la radicalité de leurs mots d’ordre, qui appellent à « s’organiser » non pas pour rafistoler l’article 2 de la « Loi Travail » mais pour en finir une bonne fois pour toutes avec le monde de la « Loi travaille ! ». Or cette humeur insurrectionnelle qui renouvelle le lexique et l’imaginaire de la contestation s’ancre dans une philosophie : celle du Comité invisible ( L’insurrection qui vient, A nos amis), du site Lundi Matin, de la revue Tiqqun. Une galaxie dont la figure la plus connue est Julien Coupat.
Au delà des graffitis « Il est l’heure de destituer le gouvernement » et des slogans « Paris debout soulève toi », j’ai voulu explorer leurs théories plus en profondeur, quitte à en souligner les points aveugles et les limites. Le sociologue à l’Université Lille 3 et co-animateur de la revue Contretemps, Ugo Palheta était l’homme de la situation. Son papier « L’insurrection qui revient. Les influences visibles du Comité invisible », paru dans le dernier numéro de la Revue du Crieur, propose une lecture bienveillante mais critique de ces écrits, mettant le doigt sur les impensés problématiques de leur critique du capitalisme et de leur conception du communisme. On retrouve là des éléments de la discussion entre Eric Hazan et Frédéric Lordon autour de Premières mesures révolutionnaires sur le pouvoir et l’Etat. Avec une analyse nourrie des enseignements de Parti et stratégie de Daniel Bensaïd, dont il vient de rédiger avec Julien Salingue une excellente postface, Ugo Palheta invite à un certain dégrisement — salutaire — qui n’ôte pas pour autant l’envie de prendre la rue.
Quelques liens et références bibliographiques :
D. Bensaïd, Ugo Palheta et J. Salingue, Stratégie et parti, Prairies ordinaires, 2016
Marcello Tari, Autonomie ! Italie, les années 70, La Fabrique, 2011
Daniel Guérin, Front Populaire, révolution manquée, Agone, 2013
Nicolas Poulantzas, L'Etat, le pouvoir et le socialisme, Les Prairies ordinaires, 2013
Julien Coupat: «La loi travail est l'affront qui fait monter au front»
Tiqqun, Théorie du Bloom, La Fabrique, 1999
Eric Hazan, Kamo, Premières mesures révolutionnaires, La Fabrique, 2013
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