Macron et son "bloc bourgeois" : la grande illusion
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Bruno Amable
Laura Raim
« Je suis socialiste et je l’assume » assumait courageusement Emmanuel Macron en décembre 2014. Mais deux ans plus tard, le mensonge était trop lourd à porter. « L’honnêteté m’oblige à vous dire que je ne suis pas socialiste », confessait-il à la presse le 19 août, en pleine visite au Puy du Fou. De fait, l’ex banquier d’affaire n’a jamais été membre du Parti socialiste, mais était-il de gauche au moins ? « Je vais vous le dire de la manière la plus claire possible » a-t-il entrepris quelques jours plus tard face à un journaliste de LCI, visiblement en difficulté devant la « pensée complexe » de son invité : « pour ma part, je suis de gauche », mais attention, nuance : « d’une gauche qui se confronte au réel, qui veut réformer son pays », pas de la gauche « conservatrice » qui avait sombré dans « l’égalitarisme », précisera-t-il encore ailleurs. C’est pourquoi le mouvement qu’il lançait n’était « pas à droite » et « pas à gauche »...
Si l’orientation changeante de notre président vous donne le tournis, L’illusion du bloc bourgeois, Alliances sociales et avenir du modèle français (Raisons d’agir, 2017) fournit une bonne boussole. Le livre des économistes Bruno Amable et Stefano Palombarini offre en effet une puissante grille de lecture en termes de blocs sociaux pour comprendre les recompositions en cours de la scène politique française :
Pour les auteurs, la crise actuelle, dont la récente séquence électorale si particulière est le produit, est la dernière étape de trente ans d’incapacité des gouvernants successifs à créer des alliances majoritaires dans le corps social, des « blocs sociaux dominants », en soutien aux « réformes » néolibérales du modèle social. Depuis la fin des années 70, tous les gouvernements en place ont en effet été battus lors des élections qui devaient renouveler leur mandat. Seules exceptions : Chirac en 1995 et Sarkozy en 2007 avaient gagné en se présentant comme hostiles à leur prédecesseur. Prenant acte de l'éclatement des électorats traditionnels de gauche et de droite, Macron cherche à s'appuyer sur un nouvelle base sociale alliant les classes moyennes et supérieures diplômées, favorables à la construction européenne et à la libéralisation qu'elle implique. Reste à voir si cette stratégie, qui suppose d'écarter totalement les attentes des classes populaires pour ne répondre qu'à celles du "bloc bourgeois" - numériquement minoritaire - sera à même de dénouer la crise.