Transition : anatomie d'une illusion
Aux Ressources
Jean-Baptiste Fressoz
Laura Raim
Émission conçue et animée par Jeanne Guien
À en croire son histoire récente, l'écologie gouvernementale se perpétue par l'invention de mots d'ordres creux, fumeux mais stratégiques. Après "nature" et "développement durable", que toute une génération s'est consacrée à critiquer ; "économie circulaire", dont les promesses récemment déconstruites ont encore bonne audience ; voici venu le temps de la "transition énergétique", nouvel étendard climato-rassuriste dont notre génération va devoir combattre les effets dilatoires et euphorisants.
Cette expression n'a pourtant rien de nouveau, nous explique l'historien Jean-Baptiste Fressoz, auteur du très remarqué Sans transition. Une nouvelle histoire de l'énergie. Pensée comme solution à une "crise" énergétique toujours imminente par des acteurs de l'industrie nucléaire au milieu du XXe siècle, la "transition énergétique" s'autorise d'une tradition historique aussi longue qu'infondée. Parler de transition pour raconter l'histoire de l'énergie et de la production, c'est en effet supposer qu'à chaque époque, une ressource a dominé l'économie capitaliste, cette dernière laissant ensuite place à une autre ressource, qui l'aurait "remplacée", et ainsi de suite. Bois, charbon, pétrole, nucléaire, renouvelables... Quoi de plus rassurant que ce bel ordre des "âges" et des "phases" successives ?
Le problème, c'est que c'est faux : non seulement ces modèles énergétiques ne se substituent pas les uns aux autres, mais ils s'accumulent et s'hybrident. Eloignant sans cesse le spectre de la rareté, de la crise et de la pénurie, ces industries ne cessent de croître, et la croissance de l'une entraîne la croissance de l'autre. Critiquer la transition comme modèle historique et mot d'ordre politique, c'est donc penser l'énergie comme un problème d'abondance et non de rareté : c'est envisager la décroissance de sa production et le rationnement de sa consommation.
Jeanne GUIEN