Accumuler du béton, tracer des routes
Aux Ressources
Nelo Magalhães
Laura Raim
Émission conçue et animée par Jeanne Guien
Et bim, voilà que 17 nouvelles personnes viennent d'être arrêtées par la Sous-Direction-Anti-Terroriste française. Leur crime ? Avoir participé aux journées d'action contre Lafarge-Holcim, fin 2023, en entrant sur l'un de leurs sites à Val-de-Reuil. Y avoir fait usage de peinture, de fumis, de banderoles et de mousse expansive pendant une dizaine de minutes, dans le cadre d'une journée de mobilisation nationale suivie par des milliers de personnes.
Si les méthodes ne surprennent plus de la part d'un gouvernement qui qualifie de "terroristes" les soutiens à la Palestine, au Rojava ou aux Soulèvements de la terre, elles se situent aussi dans la droite ligne d'une histoire moins connue : celle du soutien indéfectible de l'État aux grandes entreprises cimentières, bétonnières et extractives, qui depuis le 19e siècle ont fait de la France le pays d'autoroutes, d'échangeurs, de barrages et de rond-points que l'on connaît aujourd'hui. Comment s'est construite cette industrie des "grandes infrastructures" et de l' "extractivisme ordinaire", qui coupe des paysages, vide des rivières de leurs sables et sédiments, creuse des carrières ici, accumule des déblais là ?
C'est cette histoire peu visible de flux pourtant énormes que Nelo Magalhaes raconte dans Accumuler du béton, tracer des routes (La fabrique). Une histoire environnementale des grandes infrastructures. Ce livre reconduit la mondialisation et la hausse du trafic de marchandises à leurs conditions matérielles, c'est-à-dire spatiales : à la "production d'espaces" aptes à faire transiter toujours plus de camions, conteneurs, porte-conteneurs... Et à générer toujours plus de déchets. Les techniques choisies pour artificialiser, déplacer et transformer le paysage, et ainsi le mettre à la mesure des échanges capitalistes, occasionnent des flux de terre, sable, déchets de construction aux proportions inédites, qu'il faudra par la suite réutiliser, cacher, requalifier.
En racontant cette histoire, Nelo Magalhaes donne un nouvel exemple de la dépolitisation des choix techniques et de la fabrique des consensus de la "modernité" marchande : divisant les opposant.es en deux groupes, les radicaux inaudibles et les riverains inquiets de nuisances facilement récupérables, le "patronat routier" continue à tracer sa route, avec l'appui indéfectible de gouvernements devenus "environnementalistes". À l'heure des actions contre l'A69, Lafarge, les JOP, ce livre donne des outils pour éviter ce piège politique.
Jeanne GUIEN