Une histoire populaire de la France
Aux Sources
Michelle Zancarini-Fournel
Comment écrire l’histoire ? Et comment l’enseigner ? Chaque réforme des programmes scolaires remet ces débats à l’ordre du jour. Les tenants du roman national confient à l’historien la tâche d’inculquer aux élèves la vénération des personnages qui ont fait la splendeur de la France, de développer le sentiment patriotique via la connaissance des épopées militaires, d’en finir avec la « repentance » postcoloniale qui conduit à la dissolution de l’identité nationale. Cette approche a le vent en poupe. En témoignent le succès commercial des ouvrages de Lorant Deutsch, Patrick Buisson et Eric Zemmour, ainsi que les saillies politiciennes à propos de « nos ancêtres les gaulois » et du « partage de culture » qu’aurait constitué la colonisation.
Plusieurs universitaires tentent actuellement de contrer cette mainmise réactionnaire sur le passé. Patrick Boucheron et son Histoire mondiale de la France ainsi que Michelle Zancarini-Fournel et son Histoire populaire de la France sont à l’avant-garde de ce combat, historiographique autant que politique. L’un et l’autre tentent, avec bon nombre de collègues, d’écrire une histoire qui ne se réduise pas aux seules frontières métropolitaines et qui dissipe le fantasme des origines. Les colonisés retrouvent ainsi leur place dans le récit, la France retrouve sa bigarrure et ses mille visages. Ce pays a toujours accueilli beaucoup d’étrangers et, pourtant, il rechigne à se vivre comme une nation d’immigrants. Comment rendre compte de ce paradoxe ?
Et pourquoi le rôle des femmes, des ouvriers et des minorités religieuses est-il si souvent passé sous silence ? Qui travaille à l'effacement des subalternes ? Comment rendre justice aux anonymes ? Quelles luttes et quels rêves, quelles joies et quels renoncements rythment la vie des millions d’oubliés ? Quand les opprimés passent-ils de la soumission à la révolte ? Quelles conditions favorisent leur irruption sur la scène de l’histoire ? Les luttes d’émancipation sont-elles condamnées à la répression, à l’échec, à la récupération ou à l’essoufflement ? Quels mythes l’historien engagé se donne-t-il pour mission de déconstruire ? Telles sont les questions que j’ai posées à Michelle Zancarini-Fournel et qui me sont venues à la lecture de l’ouvrage monumental qu’elle vient de publier aux éditions de la Découverte : Les luttes et les rêves. Une histoire populaire de la France de 1685 à nos jours.
Cette discussion fut également l’occasion de revenir sur des figures (les ouvriers-poètes du XIXème siècle), des actions (la grève des ventres de féministes pacifistes à l’orée de la première Guerre mondiale), des séquences (le front populaire, mai 68, les rébellions urbaines de 2005) et des romans (Annie Ernaux, Laurent Mauvignier) qui perturbent l’ordre institué et ses hiérarchies injustifiées.
Bon visionnage !
Manuel Cervera-Marzal