Les classes sociales en Europe
Aux Sources
Cédric Hugrée et Etienne Penissat
Lobbys concentrés à Bruxelles, directives européennes, libre circulation des capitaux et des marchandises au sein de l’UE, entreprise agroalimentaire française investissant dans les terres de paysans polonais, cadres supérieurs allemands de l’industrie automobile dirigeant des ouvriers d’usines belges et espagnoles, ouvriers des pays de l’Est détachés dans les chantiers navals de l’Ouest : le capitalisme est aujourd’hui largement européanisé. C’est donc en se situant à l'échelle continentale qu’il est possible d’y résister efficacement. Pourtant, les mouvements sociaux continuent à se structurer, dans leur grande majorité, au niveau national.
Pour comprendre ce paradoxe, et pour espérer le surmonter, il convient de scruter en détails la morphologie des classes sociales européennes. Tel est l’objet de l’ouvrage à six mains publié par les sociologues Cédric Hugrée, Etienne Penissat et Alexis Spire. Leur Tableau des nouvelles inégalités sur le vieux continent (Agone, 2017) est aussi vaste que précis. On y découvre que les classes populaires, dont certains prophétisent imprudemment la disparition depuis des décennies, restent de loin la classe la plus nombreuse, on y explore les mutations de cette classe en voie de féminisation, de tertiarisation et de désyndicalisation, et l’on essaie de comprendre comment, en dépit de sa fragmentation, cette classe peut se constituer en force d’action collective à même de questionner l’hégémonie néolibérale.
L’ouvrage est tout aussi documenté à propos des classes moyennes et des classes supérieures. Ces dernières ne jouissent pas seulement de revenus et de patrimoines plus élevés que le reste de la population. La supériorité des élites se manifeste également à travers des pratiques culturelles éclectiques (naviguer entre théâtre et football, rap et opéra), des parcours scolaires d’excellence, l’acquisition de ressources internationales, l’accaparement de la représentation politique, la capacité à échapper aux réformes qu’on préconise pour le reste de la société et, de manière plus discrète, des privilèges comme celui de pouvoir choisir ses horaires de travail ou de prendre des pauses à sa guise.
Cette vaste enquête sociologique apporte un regard nouveau sur des questions aussi diverses que le déclin de la conscience de classe, la mise en concurrence des travailleurs européens, le supposé racisme des classes populaires, la ségrégation dans les grandes métropoles, la robotisation de l’économie et la stratégie populiste prônée par une partie de la gauche. Questions délicates et brillamment présentées par mes deux invités, Cédric Hugrée et Etienne Penissat.
Bon visionnage !
Manuel Cervera-Marzal