La nouvelle violence systémique
Aux Sources
François Cusset
Notre monde est-il moins violent qu’autrefois ? Dans les pas du sociologue Norbert Elias, certains voient la modernité comme un grand mouvement de pacification des sociétés. D’autres, au contraire, s’appuient sur la multiplication des conflits guerriers et des migrations forcées pour dresser le portrait d’un monde à la brutalité exacerbée. Ce débat est mal posé, répond François Cusset. Car l’enjeu n’est pas de quantifier la violence mais d’examiner sa rationalité. Il s’agit, selon l’auteur du Déchaînement du monde (La Découverte, 2018), de sonder les nouvelles modalités de la violence.
A cet égard, la rapacité des multinationales se double désormais de la passivité complice des Etats de droit qui, à force d’enfreindre leurs propres principes, s’apparentent étrangement aux terroristes qu’ils prétendent combattre. La violence irrigue à présent toutes les structures, économiques autant que politiques, privées autant que publiques. Et, après avoir modelé ces structures, la violence s’immisce au cœur même des relations sociales – d’amitié, de couple, de travail – puis, in fine, au sein de nos subjectivités. Non satisfaite de dresser chaque humain contre ses semblables, la violence pénètre en lui, au plus profond de son intimité. Elle instille dans son complexe affectif un mélange de peur et de ressentiment. Elle injecte dans sa psyché le culte de la performance. Elle oriente ses désirs vers les promesses intenables de la consommation. Au terme du processus, une frustration décuplée, une misère affective, une errance chronique, un imaginaire asséché, une violence rentrée, qui nous rongent intérieurement, de manière moins spectaculaire que la violence crue de l’esclavage ou des déportations. Mais que la violence ait perdu de sa superbe ne signifie pas qu’elle ait perdu de son efficace.
La nouvelle logique de la violence est donc dissimulée. Elle est aussi circulatoire : la violence circule, tel un fluide glacial qui transite tantôt dans nos veines bourrées de substance cancérigène, tantôt dans les oléoducs si chèrement protégés, tantôt dans les injures déversées sur la toile, tantôt dans le flux ininterrompu d’images hostiles dont nous abreuvent les écrans.
Pourtant, selon François Cusset, il n’y a pas de fatalité de la violence. C’est pourquoi, après avoir décrit la nouvelle logique de la domination, mon invité se penche avec autant de méticulosité sur les nouvelles logiques de la résistance. Cette dernière, dit-il, s’ancre désormais dans les territoires, sabote les engins de l’ennemi, articule violence et non-violence et, en plaçant sa confiance dans l’énergie indomptable des jeunes, elle esquisse les contours de formes de vie alternatives.
Bon visionnage !
Manuel Cervera-Marzal