Peut-on être sioniste et de gauche ?
Aux Sources
Thomas Vescovi
L’émission diffusée ce samedi 22 mai a été enregistrée le 30 avril dernier. En trois semaines, les choses se sont accélérées. Le conflit israélo-palestinien s’est à nouveau embrasé. Au moment où j’écris ces lignes, 188 Palestiniens dont 55 enfants sont morts en sept jours. Côté israélien, le bilan s’élève à 10 morts dont 1 enfant. Au même moment, en France, on interdit de manifester sa solidarité avec la Palestine. Pour justifier cette interdiction, le ministre de l’Intérieur invoque l’antisémitisme. Ce même sinistre écrit dans son dernier livre que, sous Napoléon, « certains Juifs pratiquaient l’usure et faisaient naître trouble et réclamation ». Le livre est toujours en vente libre. Et Darmanin participait ce mercredi à une manifestation de policiers devant l’Assemblée nationale. Les policiers en activité, apprend-on sur France Inter, sont 74% à avoir l’intention de voter pour le Rassemblement national aux prochaines élections. Le macro-lepénisme est en marche.
Mais je m’égare. Ce que je voulais dire, c’est que l’émission qu’on s’apprête à visionner a été enregistrée avant les épisodes sanglants des dernières semaines. Elle jette cependant sur l’actualité immédiate un éclairage historique d’une importance décisive. Mon invité, le chercheur en histoire Thomas Vescovi, revient dans son livre aux origines du sionisme, à la fin du 19e siècle, puis il en retrace patiemment 120 années d’évolution. Le plus frappant, c’est le fait qu’un projet politique initialement porté par des socialistes, des athées et des révolutionnaires soit désormais incarné par une alliance entre l’extrême-droite et les religieux ultra-orthodoxes. Comment un tel basculement s’est-il opéré ? Comment la gauche, majoritaire à la création de l’Etat d’Israël (1948) et durant ses trente premières années d’existence, a-t-elle pu à ce point disparaître de l’échiquier politique et perdre son hégémonie culturelle au profit de la droite la plus rance, représentée depuis une décennie par Benjamin Netanyahou ?
Dans L’échec d’une utopie. Une histoire des gauches en Israël (La Découverte, 2021), Thomas Vescovi apporte une réponse érudite et didactique à ces interrogations. Ce faisant, il livre une réflexion profonde sur ce que signifie « être de gauche » et « être sioniste ». La défense de la liberté pour toutes et tous est-elle compatible avec un projet politique de nature fondamentalement coloniale ? C’est sur cette contradiction que bute l’histoire des gauches israéliennes. Revenir sur cette histoire, c’est se donner les moyens de mieux comprendre le drame qui se déroule aujourd’hui.
Je laisse le mot de la fin au poète palestinien Elias Sanbar. Il y a déjà vingt ans, il écrivait aux siens : « Ne sois pas triste. Personne ne parviendra à se débarrasser de nous. La Palestine est une arrête plantée dans la gorge du monde. Personne ne parviendra à l’avaler. Ne t’inquiète pas ».
Manuel Cervera-Marzal