Amérique latine : berceau des luttes d'émancipation
Aux Sources
Franck Gaudichaud
Émission conçue et animée par Tarik BOUAFIA
« There is no alternative », voilà la sentence à laquelle le tribunal du capitalisme avait condamné l’humanité. A la fin des années 1980, débarrassé de son ennemi historique, le communisme, l’Occident décrétait unilatéralement la fin de l’histoire. C’en était fini de la lutte des classes et de la révolution. L’heure était au triomphe et à la domination totale et planétaire du capitalisme. C’était oublier que les résistances ne meurent jamais, et encore moins en Amérique latine.
Dans ses nombreux ouvrages, l’historien Franck Gaudichaud revient sur la vague insurrectionnelle qui a balayé le continent à partir des années 1990. Partout ou presque, de puissants mouvements sociaux émergent et font vaciller l’ordre néolibéral. Porteurs d’idées et de pratiques radicalement nouvelles, ils mettent l’accent sur la lutte contre l’extractivisme, prônent une décolonisation des États, expérimentent des formes de démocratie directe et des stratégies autonomistes, à distance de l’Etat. Au Chiapas, la puissance du soulèvement et de la résistance zapatiste met en échec l’État mexicain. Brutalisée pendant des décennies, l’Amérique latine devient, fidèle à elle-même, le berceau des rébellions, l’étincelle incendiaire qui met le feu à la plaine néolibérale. Les classes dominantes, inféodées au Consensus de Washington, tremblent et entrent dans une crise d’hégémonie. Elles se retrouvent incapables de contenir les débordements populaires. Elections après élections, les droites s’effondrent.
On assiste alors à l’éclosion de leaders progressistes. Prônant un retour de l’Etat et impulsant des politiques de redistribution, ils réduisent considérablement les inégalités. Certains pays, comme le Venezuela ou la Bolivie, s’engagent dans des processus constituants, contribuant à une forme de radicalisation démocratique.
Mais la crise économique qui frappe le sous-continent à partir de 2014 vient mettre en lumière les nombreuses limites du « cycle progressiste », identifié par certains comme un processus de « révolution passive ». Mélange de transformation et de conservatisme, il n’a pas remis en cause les rapports de propriété et a souvent laissé intact le pouvoir des oligarchies. Progressivement, il s'est embourbé dans des logiques rentières et bureaucratiques, conduisant à une démobilisation dramatique des masses populaires, ouvrant la porte au retour d’une droite revancharde, bien aidée en cela par les Etats-Unis.
Les analyses de Franck Gaudichaud nous invitent à penser toute une série de questions qui sont au cœur de la pensée marxiste et des récentes expériences en Amérique latine : le rapport à l’État, l’autonomie, l’hégémonie, le césarisme ou encore les limites des stratégies populistes.
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