Edwy Plenel est un observateur avisé de la vie politique française, de ses spasmes présidentiels, de ses luttes picrocholines et de ses déplacements idéologiques. Mais il est aussi un fin connaisseur des mobilisations qui se trament dans les interstices du social, de ces actions qu’on qualifie parfois d’apolitiques alors qu’elles sont peut-être ce qu’il y a aujourd’hui de plus politique, pour peu qu’on cesse d’assimiler cette dernière à l’activité des partis et aux institutions étatiques. Le co-fondateur de Mediapart, qui débuta comme journaliste à Rouge (le quotidien de la Ligue Communiste Révolutionnaire) avant de rejoindre et de diriger Le Monde, incarne un demi-siècle de journalisme et d’engagement. Mais on se contentera, au cours de cet entretien, d’analyser l’évolution du pays au cours de la dernière décennie (2011-2021), en faisant nôtre la question formulée par Trotsky en titre d’un recueil d’articles parus en 1936 : Où va la France ?

Pas dans la bonne direction, semble-t-il. Un président de droite, un autre de gauche et un troisième ni de droite ni de gauche se sont succédés à l’Elysée. Ils ont fait preuve d’une même servilité avec les puissants, d’une même ignominie envers les faibles. Leurs noms symbolisent le tournant autoritaire du néolibéralisme, la perdition sécuritaire de l’Etat de droit. Face à cette perdition, on aurait légitimement pu attendre de la gauche qu’elle fasse front, ou du moins qu’elle n’accompagne pas les délires et les haines de la droite. Comment d’espoirs déçus ? De promesses trahies ? De principes foulés aux pieds ? Mais l’heure n’est pas aux lamentations. Il s’agit de décrypter, d’essayer de comprendre comment la gauche a pu à ce point se fourvoyer ? Comment notre famille politique, qui n’en est pas à sa première crise (remember l’affaire Dreyfus, la guerre d’Algérie, etc.), a-t-elle à nouveau sombré ?

Le propos n’a pas pour objet de démoraliser. Dans son dernier livre, A gauche de l’impossible (La Découverte, 2021), Edwy Plenel partage son désarroi dans l’espoir d’y remédier collectivement. Les ingrédients du renouveau sont là, les occasions existent, pour peu que la gauche, empêtrée dans la glue étatique, sache regarder du côté de la société, de sa vitalité, de son inventivité. Des gilets jaunes à MeToo en passant par la lutte contre la réforme des retraites et les mobilisations contre la violence policière, un vent de liberté et une quête de dignité se manifestent. On ne fera pas le coup de « 2022 = dernière chance avant la catastrophe », car ce n’est pas vrai, et ce serait à nouveau une façon de mutiler nos rêves, nos luttes, en les faisant rentrer de force dans une urne. Mais l’heure est grave, c’est peu de le dire. Et pour essayer d’y voir plus clair, rien de tel qu’une discussion avec Edwy Plenel.

Bon visionnage !

Manuel Cervera-Marzal

Bibliographie

Albert Camus, A Combat

Christophe Nodin, Journal d'un rescapé du Bataclan

David Dufresne, Maintien de l'ordre

Edouard Glissant, Traité du Tout-monde

Piotr Kropotkine, L'entraide

Kurt Tucholsky, Moment d'angoisse chez les riches

George Orwell, La ferme aux animaux

Lénine, L'Etat et la révolution

Mathieu Magnaudeix, Génération AOC

Michael Föessel, Récidive

Jacques Rancière, La haine de la démocratie

Stefan Mancuso, L'intelligence des plantes