L'idée républicaine contre l'intégrisme républicain
Aux Sources
Jean-Fabien Spitz
La République est aujourd’hui rabaissée au rang de slogan publicitaire visant à redonner un semblant de légitimité à un néolibéralisme en pleine crise d’hégémonie. Pour colmater les brèches du capitalisme tardif, pour dissimuler le cortège d’inégalités et de discriminations qui le constituent, on brandit des « valeurs » (liberté, égalité, fraternité…) vidées de leur contenu. Telle est la thèse que mon invité du jour, le philosophe Jean-Fabien Spitz, développe dans un ouvrage aussi passionnant qu’érudit, paru récemment chez Gallimard : La République ? Quelles valeurs ? Essai sur un nouvel intégrisme politique.
Cet intégrisme républicain fait son miel d’un universalisme abstrait, d’une laïcité falsifiée et d’une égalité confondue avec l’exigence d’uniformité. Il voue aux gémonies les réunions non mixtes des femmes racisées, il vilipende la religion musulmane et il voit du « communautarisme » dans chaque jupe trop longue à son goût. Ce faisant, l’intégrisme fait violence au sens premier de l’idée républicaine : bâtir une société qui soit la chose de tous, c’est-à-dire où les rapports de domination sont réduits à leur plus faible portion. Une telle société exige que les libertés individuelles soient fondées sur des protections sociales solides et efficaces. « La liberté sans la justice est une véritable contradiction », disait Rousseau. Les intégristes républicains, qui sont souvent des défenseurs zélés du tout-marché et de la concurrence libre et non faussée, n’en ont cure. Ils ne jurent que par les intérêts particuliers et, afin de pallier le manque de cohésion sociale, ils échafaudent une cohésion identitaire pétrie de fantasmes. C’est ici qu’ils invoquent la « république », comme un supplément d’âme pour un ordre inique et fragile.
Jean-Fabien Spitz ne renonce pas à conjuguer l’émancipation et la république, mais il se veut face aux instrumentalisations réactionnaires de cette dernière. Son propos est salutaire à l’heure où l’extrême droite et l’extrême centre prétendent confisquer la République à celles et ceux qui luttèrent pour l’instaurer.
Bon visionnage !
Manuel Cervera-Marzal