ONG, bonne conscience de l'Occident ?
Aux Sources
Bertrand Bréqueville
Impartialité, neutralité : ces principes proclamés haut et fort par les ONG humanitaires deviennent de plus en plus intenables. A l’heure où les dévastations engendrées par le capitalisme atteignent un point de non-retour, que la guerre refait surface, le refus de l’engagement des ONG confine à la faute morale et politique.
Mais peut-il en être autrement ? Peuvent-elles être autre chose que de simples gestionnaires de la misère ? Se pencher sur leur histoire permet d’en douter. En effet, l’émergence des ONG humanitaires coïncide avec l’imposition dans le monde entier, et notamment dans les pays du Sud, des recettes néolibérales. Dès lors, leur rôle consiste à se substituer à la puissance publique, à réparer les dégâts causés par les plans d’ajustement structurel du FMI. Volontiers apolitiques, leur action contribue pourtant à asseoir et légitimer le nouvel ordre économique mondial.
Parallèlement, l’humanitaire s’est construit en opposition radicale avec les grandes idéologies libératrices du tiers-monde : le panafricanisme, le nationalisme arabe, le tiers-mondisme, la théorie de la dépendance... Porté par des figures médiatiques comme Bernard Kouchner, Raymond Aron ou Bernard-Henri Lévy, qui revêtissent alors les habits de sauveur de l’homme blanc, l’humanitaire contribue à transformer le regard sur les peuples du Sud : hier combattants de la libération, ils implorent désormais le secours occidental. L’écrivaine indienne Arhundhati Roy le résume ainsi : « Les appels de détresse apolitiques – et donc, en réalité, éminemment politiques – en provenance des pays pauvres et des zones de guerre présentent au final les sombres gens de ces sombres pays comme des victimes pathologiques. Encore un indien sous-alimenté, encore un Ethiopien mourant de faim, encore un camp de réfugié afghan, encore un Soudanais mutilé... et tous en grand besoin de l’aide de l’homme blanc. Sans le vouloir, les ONG renforcent les stéréotypes racistes et mettent l’accent sur les succès, les avantages et la compassion (aimante et sévère) de la civilisation occidentale. Elles sont les missionnaires séculaires du monde moderne »
Fort d’une expérience de vingt-cinq ans dans l’humanitaire, Bertrand Bréqueville livre une critique sans concessions d’un milieu devenu la bonne conscience de l’Occident. Prônant une véritable « résistance humanitaire » afin de sortir les ONG de leur passivité complice, il les appelle notamment à nouer des alliances avec les syndicats et partis politique, seule stratégie à même de peser de manière conséquente sur les rapports de force.
Tarik BOUAFIA