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Faire que !

Aux Sources

Alain Deneault

Lire Alain Deneault est toujours stimulant. L’écouter aussi. Et il en faut, des stimuli, à l’instant précis où j’écris ces lignes : nous sommes le mercredi 6 novembre, il est 08h33, l’agence Associated Press annonce Trump à 267 sièges. Dans quelques minutes, quelques heures tout au plus, le résultat sera officiel. De retour à la Maison Blanche. L’accablement, la paralysie, l’angoisse prennent logiquement le pas sur la colère, la rage, l’envie de se battre. Ces dernières, certainement, referont surface une fois la nouvelle encaissée, une fois le choc digéré. Il n’est pas nécessaire d’avoir espoir pour se mettre à lutter. C’est en luttant que vient l’espoir. Ou plutôt : l’espérance.

Le philosophe Ernst Bloch établit une distinction subtile mais fondamentale entre espoir et espérance. L'espoir est un affect passif, une réaction ponctuelle face à une situation qui pourrait être différente ou meilleure, mais sans certitude réelle de sa réalisation. En revanche, l'espérance est une forme d'anticipation active et créative de l’avenir. Elle va au-delà d’un simple espoir, d’une attente passive. Bloch voit l’espérance comme une énergie qui pousse l’individu à participer à la transformation de la réalité et à l’accomplissement de ce qu’il appelle le « pas encore ». Ce « pas encore » représente les potentialités inexploitées, les aspects latents de la réalité qui attendent d’être réalisés. L’espérance est donc une force orientée vers l’avenir, qui saisit dans les plis du présent autre chose que lui-même, le présent étant gros d’alternatives non advenues.

Encore faut-il avoir la lucidité requise. La capacité à voir, dans le réel, autre chose et davantage que ce qu’il donne à voir. Les Etats-Unis, même un jour comme celui-ci, ne se résument pas à Donald Trump. Pas plus que la Russie ne se résume à Poutine et la France à Macron. Adossés à ce principe espérance, au lieu de se lamenter (que puis-je faire, moi, pauvre petit être insignifiant, face au rouleau compresseur du capitalisme fascisant), au lieu de s’enfermer dans nos impuissances individuelles, on se rassemble et on résiste, pour faire que ! Faire que le pire ne soit jamais certain. Faire que recule la bête immonde. Faire que son poison, qui a déjà largement traversé l’Atlantique, ne se répande pas davantage sur nos rives. Que les prochaines inondations ne soient pas demain mais après-demain. Que les droits des femmes, premiers attaqués en pareilles circonstances, soient préservés.

Substituer le faire que ! au que faire ?, c’est l’audacieuse proposition qu’Alain Deneault, philosophe québecois, penseur incontournable de la médiocratie et de l’extrême-centre, a placé au cœur de son dernier essai, paru chez Lux : Faire que ! L’engagement politique à l’ère de l’inouï. Dans cet ouvrage aussi bref que puissant, il est question de nos affects collectifs, de notre paralysie face au déluge de mauvaises nouvelles qui chaque jour nous accablent et des voies possibles pour y faire face. Nous en avons parlé longuement. Dans le prolongement de Bloch, Alain Deneault se fait l’analyste de nos angoisses et de nos espérances, le scribe de nos affects, afin d’y dénicher un sentier, où puisse se frayer une marche collective et résolue vers un mieux-être logé dans l’être lui-même.

Bon visionnage !

Manuel Cervera-Marzal

Aux Sources , émission publiée le 09/11/2024
Durée de l'émission : 84 minutes

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