Mayotte : les ravages de l'assimilation
Aux Sources
Rémi Carayol
Le 7 juillet 2024, un séisme politique frappe Mayotte. Pour la première fois dans l’histoire dite des « outre-mer », une représentante de l’extrême droite est élue à l’Assemblée nationale. A première vue, cet événement parait inconcevable, incompréhensible. En effet, comment une population en majorité noire et musulmane pourrait adhérer à des discours racistes et xénophobes ? En réalité, cette victoire est tout sauf une surprise. Elle marque l’aboutissement d’un long processus d’assimilation forcenée.
Car devenir Francais a un coût, et pour Mayotte, il est exorbitant. Economique déjà, puisqu'il y règne un système fondé sur un rapport colonial de dépendance envers la « métropole ». Social ensuite, dans des rapports marqués par une ségrégation raciale où les wazungu (les Blancs, les métropolitains) bénéficient de privilèges considérables, héritage d’une domination impériale loin d’avoir disparu. Pendant ce temps, le territoire craque de toutes parts. Les pénuries d’eau, le manque d’infrastructures, le chômage et la misère viennent rappeler l’inégalité fondamentale qu’implique la colonialité.
Mais davantage que les questions d’ordre matériel, le rattachement à la France a conduit à un véritable saccage de l’identité mahoraise. En souhaitant à tout prix se faire l’égal du Blanc et s’intégrer pleinement dans la communauté nationale, les Mahorais ont sombré dans un processus d’aliénation et de haine de soi. Dépouillés d’une partie de leur histoire et de leur culture, ils ont fini par chasser tout ce qui pouvait les renvoyer à leur Comorianité. Comme l’écrit Rémi Carayol : « Par certains aspects, c’est une forme de supplice que les Mahorais se sont eux-mêmes infligé, et cela peut expliquer la violence avec laquelle ils rejettent cet ‘‘Autre’’ qui leur rappelle ce qu’ils étaient et ce qu’ils feignent ne plus vouloir être ».
Remarquablement analysé par Albert Memmi dans Portrait du colonisé (1957) et Frantz Fanon dans Peaux noires masques blancs (1952), ce processus d’automutilation de l’Etre colonisé prend à Mayotte des proportions et une tournure paroxystique. Devenu entretemps un laboratoire des pires pratiques répressives de l’Etat (proposition d’abolition du droit du sol, réquisition de l’armée pour chasser les migrants), Mayotte n’est finalement pas si loin qu’on ne le croit. C’est dire à quel point ce qui se joue là-bas devrait nous alerter.
Tarik BOUAFIA