Lettre d'un psychanalyste à Spielberg
Dans Le Film
Jean-Jacques Moscovitz
Murielle Joudet
Le seul nom de Steven Spielberg et les superlatifs qui s'y rattachent (réalisateur le plus connu, le plus populaire, l'incarnation du cinéma) ne peuvent que nous inciter à nous méfier. Quel est ce réalisateur qui peut séduire et fasciner autant de publics à la fois voire la planète entière ? On a le sentiment que cette séduction est affaire de « recette marketing », et pour une raison bien précise, c'est que Spielberg aura fait naître, avec Les dents de la mer, un terme problématique, qui nous ramène à l'impureté du cinéma comme industrie : celui de blockbuster.
Derrière l'usine à rêves et les budgets faramineux (car les rêves sont des superproductions) se cache néanmoins un grand artiste, un immense metteur en scène qui dialogue étroitement et de manière privilégiée avec notre inconscient. C'est ce que défend Jean-Jacques Moscovitz dans sa très belle Lettre d'un psychanalyste à Steven Spielberg : à puiser ainsi dans notre inconscient collectif, Spielberg, à l'instar de la psychanalyse, dépervertirait le futur, nous dégagerait l'horizon de l'avenir.
Comment procède-t-il ? En nous racontant des histoires de dinosaures, de requin, d'extraterrestres gentils ou méchants, de camion tueur, de Petit Poucet et de Pinocchio. Bref, en maniant des figures et des images horrifiques, traumatiques, dans l'unique but de les rendre vivables, habitables, regardables. Son cinéma a toujours été une éthique de l'image (comme la psychanalyse est une éthique du désir) : se posant la question de savoir ce qui est figurable et ce qui ne l'est pas, ce que l'on peut montrer à un enfant et ce qu'il vaut mieux lui cacher. L'échec resplendissant de La Liste de Schindler venant ainsi éprouver les limites de cette éthique.