L'attrait de la neige
Dans Le Film
Mathias Lavin
Murielle Joudet
"Conséquence d'une enfance vécue sous un milieu tempéré, la neige m'est toujours apparue comme matière et indice de fiction. Sa rareté ; sa transformation rapide en flaque ou en pâte boueuse ne pouvaient qu'amplifier la promesse d'un événement sortant de l'ordinaire, attendu, entrevu parfois et jamais accompli. Vouée à l'éphémère dans la réalité citadine, sa présence dans les films ne pouvait qu'acquérir de ce fait la faculté de saisir l'attention et d'imposer sa prégnance dans la mémoire."
"Pensez-vous que nous pourrons parler de la neige pendant une heure ?", c'est l'élégante réponse qu'a eue Mathias Lavin à ma proposition d'entretien, lui qui a pourtant bien consacré 90 pages au sujet dans son beau petit livre L'attrait de la neige (éd. Yellow Now). Mais cette réaction (qui a dans son humilité et son effacement quelque chose de neigeux) nous invite à nous poser la question suivante : qu'est-ce qu'une perturbation météorologique au cinéma ? La neige, par exemple, est tout sauf posée là, vouée à une sorte de naturalité qu'il ne faudrait pas questionner. La neige n'arrive pas au cinéma, c'est plutôt lui qui vient l'embêter pour qu'elle vienne jouer avec lui, modeler sa forme.
Mathias Lavin nous invite ainsi à une sorte de phénoménologie de la neige au cinéma et nous apprend qu'elle possède un spectre très large d'apparitions dont il tente d'en ébaucher une typologie. Elle semble vouée à de perpétuels détournements, réconciliant les opposés : pureté et pessimisme moral, stase et mouvement, souvenir d'enfance et fin de l'innocence, vie et mort, lumière et gouffre... D'une élasticité infinie, elle a quelque chose de la matière pure, de la surface de projection apte à tout recueillir.
Maintenant : qu'est-ce que le souvenir d'une perturbation météorologique au cinéma ? Quelque chose de quasiment inoubliable, une empreinte indélébile : on se rappelle toujours le temps qu'il faisait dans un film et peut-être le cinéma n'aura-t-il servi qu'à ça, à l'élaboration d'une climatologie.
Jean-Louis Schefer parlait, dans L'homme ordinaire du cinéma, d'"images-affects" : pour lui notre mémoire des films est indissociable d'une mémoire des affects qui se sont comme agrippés à eux. Je crois qu'avec ce concept bricolé il tentait de faire des films non plus des corps étrangers mais une véritable matière intérieure. Je repense à cette idée d'images-affects et à cet entretien avec Mathias Lavin et je me demande si l'usage que les cinéastes font de la neige, avant que d'être perturbation météorologique, n'a pas toujours été de la considérer comme une matière intérieure, un affect qui s'avance sous le masque d'un climat.