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Delphine Seyrig, en constructions

Dans Le Film

Jean-Marc Lalanne

On se rappelle tous de la première fois qu'on a vu passer Delphine Seyrig : pour les uns, c'était l'étincelante fée des Lilas dans Peau d'âne où Jacques Demy s'amuse à créer un nouvel effet spécial à chacune de ses apparitions. Pour les autres, c'était Fabienne Tabard dans Baisers Volés de Truffaut, troisième volet de la saga Antoine Doinel. Je me souviens que, comme Doinel, j'avais été soufflée par sa présence : comme si le concept même de "femme" m'était donné à voir dans toute sa pureté. Une femme, c'était ça et rien d'autre. Sa manière de se déployer dans l'espace comme une sirène, de donner l'impression que chaque geste, chaque intonation, proviennent d'un manuel de bonnes manières parfaitement intériorisé, blondeur et blancheur, petit tailleur en tweed, voix légèrement éraillée. Quelque chose de surréel, limite extraterrestre. Pour moi, la vie devait ressembler à une journée dans la vie de Fabienne Tabard. 

J'avais largement oublié ce que Truffaut en faisait dans la suite du film : une patiente démystification : "je ne suis pas une apparition, je suis une femme. Ce qui est tout le contraire" dit-elle, et c'est en substance le propos de notre invité, Jean-Marc Lalanne qui publie Delphine Seyrig, En constructions (ed. Capricci), une monographie lumineuse et le portrait d'une actrice qui passe son temps à être "l'image d'une femme" écrit-il, instillant dans chacun de ses rôles une pointe de distanciation qui transforme le film en jeu d'enfant. "Tout en elle invite à ne pas être trop dupe : de l'histoire qu'elle est en train de raconter, du cinéma en train de se faire, des puissances mimétiques de la représentation. Tout en elle fait soupçon".

Corps-critique, Seyrig n'a pas seulement traversé ce que le cinéma moderne proposait de plus fort et de plus radical : elle en était l'indispensable élément, un corps qui - Demy l'a compris le premier - ne se filme jamais deux fois de la même manière et semble exiger que l'espace cinématographique se réinvente pour elle, produise des mondes nouveaux, aptes à l'accueillir, et qui s'appellent L'année dernière à Marienbad (Resnais), Jeanne Dielman (Akerman), Les lèvres rouges (Harry Kümel), India Song (Duras), Le charme discret de la bourgeoisie (Bunuel)...mais aussi Freak Orlando, Mister Freedom, Muriel ou le temps d'un retour

Son militantisme n'est pas venu répondre aux splendides images de sa carrière : c'en est l'envers indispensable, le prolongement qui donne sens à sa filmographie. D'abord sur les plateaux télé, où elle accompagne les luttes féministes en prenant la parole sur des sujets brûlants (avortement, esclavage domestique, indépendance économique des femmes). Puis à travers le collectif Les Insoumuses avec lequel elle réalise des films militants où s'élabore une parole collective et féministe qui culminera dans son chef-d'oeuvre récemment ressorti au cinéma : Sois belle et tais-toi, film oraculaire qui tient l'édifice de l'oeuvre et nous rappelle que derrière ses sourires de fée, Seyrig ne faisait rien de moins que préparer le futur.

Murielle JOUDET

Dans Le Film , émission publiée le 04/03/2023
Durée de l'émission : 107 minutes

Regardez un extrait de l'émission