La Matrice
Dans Le Mythe
Tristan Garcia
Louisa Yousfi et Rafik Djoumi
Pourquoi faudrait-il toujours commencer quelque part, quand on pourrait commencer par tout ? C’est forte de cette sagesse improvisée que l’émission Dans le Mythe a choisi de faire son grand retour, avec un mastodonte aux proportions franchement désarmantes : la matrice. Mais qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? Et en quoi, ce mot massivement polysémique, serait-il un « mythe » ?
On aurait tort de répondre par l’évidence. Car rien n’est moins simple, en effet, que de vouloir classer ce qui prétend tout ordonner, tout englober, tout orchestrer. La Matrice, ça veut dire « tout ». Rien de moins. Désarmant ? On avait prévenu.
Et si on regardait le colosse en face et qu’on tentait avec nos petits bras d’humains trop humains d’escalader sur ses épaules pour jouir d’une vue imprenable sur le monde, le monde tel que rêvé par les métaphysiciens, le monde-en soi ? Nul besoin d’un vertige de plus pour comprendre que la matrice n’est pas un mythe comme les autres. Elle est un hyper-mythe. Le mythe des mythes. Celle qui en incarne le mieux le principe fondateur. Car s’il faut se figurer le mythe à la manière d’un kaléidoscope qui puiserait ses sources de lumière dans tous les univers culturels et hétérogènes d’une société, les rendant – c’est là sa magie –, compatibles et équivalents, le mythe c’est donc cette tentative, vieille comme le monde, de mettre de l’ordre dans toutes les expériences confuses et ébouriffées que les humains font de la vie ; c’est le désir d’y trouver un sens profond et intime, l’ambition de contenir l’infinie complexité des choses dans un tout cohérent. Autrement dit, c’est cette foi en une matrice, en cette extériorité radicale vers laquelle tout converge sans l’atteindre tout à fait. « Tout est relié » : ainsi se formule le mythe matriciel, se déployant de l’Antiquité à nos jours, à travers livres saints, philosophie, mathématiques, littérature et cinéma. Bien sûr, l’idée ne nous tombe pas du ciel et il faut rendre à Matrix ce qui est à Matrix, œuvre protéiforme, inépuisable de sens, symbole d’une génération, à laquelle cette émission doit son inspiration principale.
Ce n'en était pas moins ambitieux. On parlera pêle-mêle de pythagoriciens, de gnose, de métaphysique, de système binaire informatique, de réalité virtuelle… Pas de quoi se laisser impressionner non ? Allons, on parlera aussi de kung-fu, de cookies, de rêves emboités, d’anticapitalisme, de télé-réalité, de complotisme, de pilule rouge et même – qui oserait y résister ? – d’amour.
Avec notre invité Tristan Garcia, philosophe et romancier, Rafik Djoumi et moi-même avons ainsi, en toute simplicité, ambitionné de parler de tout. Pour des raisons évidentes, nous ne sommes pas parvenus à en faire le tour. Mais le jeu valait bien quelques minutes de débord dans notre durée d’émission habituelle… à défaut de quelques siècles.
Louisa Yousfi