L'Amour
Dans Le Mythe
Pacôme Thiellement
Louisa Yousfi et Rafik Djoumi
« Seigneurs, vous plaît-il d’entendre un beau conte d’amour et de mort ? » Avouez qu’on ne résiste pas, surtout lorsque s’annonce ainsi sous la plume de Joseph Bédier l’une des plus grandes histoires d’amour que la civilisation occidentale ait connues : celle d’un couple de légende, tristement célèbres sous le nom de Tristan et Iseult. Cependant, nul besoin d’en avoir lu une seule ligne pour subir encore sur nos vies l’empire du mythe qu’elle renferme. Et oui, l’amour est un mythe et le récit de Tristan et Iseult en est l’archétype. Gare aux malentendus ! Que l’Amour soit un mythe ne signifie pas qu’« il n’existe pas ». C’est même le contraire. L’Amour est un mythe parce qu’il a la puissance de structurer depuis des siècles nos consciences et nos imaginaires en ouvrant un horizon de connaissance et de création interminablement fécond et qui, mieux qu’aucune science, ambitionne de toucher au plus intime du genre humain : le secret de l’âme humaine.
Mais quel est-il, au juste, ce mythe de l’Amour ? D’abord, c’est l’histoire d’un sentiment puissant et ravageur, pur et inaltérable, produit d’une rencontre miraculeuse entre deux êtres qui semblent non pas se découvrir mais « se reconnaître »… De là, mille récits philosophiques, religieux ou littéraires proposent une genèse de l’amour. Tantôt expression de l’amour divin reconduit à travers la médiation d’un être profane, tantôt malédiction divine mutilant les âmes originelles. Heureusement, il arrive que certains amants finissent par se retrouver sur Terre pour vivre bonheur sans nuages… ce qui étrangement ne semble pas vraiment nous passionner. Non, l’Amour qui nous inspire tant et tant d’œuvres et de poèmes lancinants, ce n’est définitivement pas le bonheur paisible du couple, car il sonne toujours la fin du récit. Dans la littérature, ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. Au cinéma, ils s’embrassent sans la langue, l’écran se refermant comme l’imagination sur leurs bouches soudées.
L’Amour vraisemblablement digne d’être raconté, c’est l’Amour qui tourmente, détruit, ravage et parfois même tue. Voyez comme le mythe n’a cessé de se décliner : des Cathares persécutés par l’Église aux troubadours médiévaux agenouillés aux pieds d’une Belle dame sans mercy, jusqu’à sa forme moderne la plus aboutie avec Roméo et Juliette, suicidés tous deux à la fleur de l’âge. Pourquoi tant d’engouement pour tant de drames ? Sans doute parce que le mythe de l’amour nous invite à penser « au-delà du bien et du mal », « au-delà du monde » et de ses petites déterminations. Il est l’occasion d’une élévation mystique, métaphysique ou spirituelle qui veut atteindre, au-delà de l’objet aimé, l’Amour lui-même. Ne souffrant aucune règle de ce monde, l’Amour ne peut que s’y opposer farouchement. Dans les cas les plus extrêmes, c’est la mort. Sinon, la souffrance… et de la souffrance naît la conscience. Nous y voilà !
Aimer, c’est donc être blessé, à la manière d’une Eurydice qu’il faudra suivre jusqu’aux Enfers, là où se situe l’épreuve de connaissance ultime, où l’on « s’éprouve » enfin. À moins que ce ne soit une maladie, un « syckamour », véritable malédiction divine telle que la raconte avec style et talent notre invité Pâcome Thiellement, dans son dernier ouvrage Sycomore Sickamour (PUF, 2018), où il est question d’éclairer nos tourments amoureux à la lumière d’une lecture alternative de la genèse biblique.
J’ai donc demandé à Pacôme Thiellement et à Rafik Djoumi de me parler d’amour. Entre les grandes envolées lyriques, les sérénades old school, et les démystifications cyniques, les options disponibles étaient nombreuses. Mais qui connaît un peu ces deux-là devinera vite qu’on s’est surtout bien marrés. Tant mieux ! Si l’Amour est le sel de la vie, le rire en est le miel. Bonne dégustation !
Louisa Yousfi
Illustration : L'Amour fou de Hildegarde Handsaeme ;
Illustration du mythe d'Aristophane dans l'introduction : court-métrage réalisé par Pascal Szidon. Voix d'Aristophane : Jean-François Balmer (Prokosh Films)