Pleins pouvoirs à la police ?
Dans le Texte
Matteo Bonaglia
Judith Bernard
Le malaise m'a saisie pendant la COP21 : ces forces de l'ordre déployées comme une armée place de la République, nassant une foule immensément pacifique, gazant copieusement, embarquant sans ménagement des gens ordinaires venus dire leur exigence d'une vraie lutte contre le réchauffement climatique... Il y avait là plus que de la brutalité, plus qu'une obscène disproportion, un déni de démocratie qui se montrait désormais à nu. Bien sûr c'était l'état d'urgence, tout ça se faisait au nom de la "sécurité" ; mais le paradoxe était trop flagrant. Cette "sécurité" était devenue l'alibi d'une contention de l'expression citoyenne si violente qu'elle nous plongeait tous dans une insécurité bien plus pernicieuse, bien plus globale... et terriblement durable.
Depuis, non seulement l'état d'urgence a été prorogé à maintes reprises (et Macron vient d'exprimer le désir qu'il dure encore - tu m'étonnes, c'est si pratique, pourquoi se priver), mais des lois sécuritaires ont été adoptées qui ont fait glisser dans le droit commun ce qui ne devait relever que de l'exception. Assignations à résidence, perquisitions intempestives, mises sur écoute, interdictions de manifester, les droits que se donne le pouvoir de nous priver des plus élémentaires libertés deviennent exorbitants et montrent sinon leur vrai projet, du moins leur tendance flagrante : discrimination à l'égard des populations musulmanes et maghrébines, criminalisation de l'opposition politique.
Et que les fâchés ne s'avisent pas de protester : sur le terrain, les CRS et la BAC se chargent de nous rappeler de quel côté est la force, sinon le droit. Car le sentiment de leur impunité a si bien gagné les forces de l'ordre qu'elles se croient désormais tout permis. Et qui pourrait les en faire douter ? Depuis dix ans, selon l'enquête de Streetpress, 47 hommes désarmés sont morts à la suite d'une intervention policière musclée - aucun fonctionnaire n'a fini en prison. La "justice" semble fermer les yeux sur leurs forfaits ; le gouvernement fait adopter loi après lois des dispositions toujours plus flatteuses pour leur prérogatives, et les convainc si bien de leur toute puissance qu'ils s'habituent même à outrepasser leurs droits. Aux abords des cortèges, ils arborent des uniformes sans le matricule réglementaire - empêchant toute poursuite à leur encontre - saisissent le matériel photo et vidéo, détruisant en toute illégalité les preuves qu'on pourrait leur opposer, quand ils ne molestent pas les journalistes, s'assurant ainsi que vous n'en serez pas informés. Comment appeler démocratie ce qui se passe désormais sur le terrain des luttes ? La violence policière, dont les quartiers populaires font la douloureuse expérience depuis des décennies, a gagné le coeur des villes et transformé les opposants politiques en délinquants à persécuter, voire en criminels à abattre (qu'on songe à Rémi Fraisse).
Cette extension du domaine de la répression ouvre de sombres perspectives. A l'heure où le néolibéralisme déboutonné annonce sa marche forcée, à coups d'ordonnances décomplexées, les données du jeu sont de plus en plus clairement assumées : le gouvernement se passera du débat parlementaire comme la répression se passe de la justice. Que nous restera-t-il alors, sinon des larmes pour pleurer, et quelques fioles de sérum phy ? Il restera le rapport de force, et dans celui-ci, la force du nombre et la qualité de sa mobilisation. C'est ce que Matteo Bonaglia nous rappelle : cet avocat engagé sur le terrain des luttes est l'un des membres fondateurs de Avocats Debout, il a participé au DEFCOL, le groupe de défense collective qui fournissait une aide matérielle aux personnes interpellées dans le cadre des manifestations contre la loi Travail, et il est membre de la Coordination contre les Violences Policières qui rassemble aujourd'hui ces deux collectifs d'origine. Son expertise sur les sujets affreusement techniques des dispositions législatives se double d'une conscience politique aiguë, précieuse pour redire ceci que nous ne devons jamais oublier : le droit est l'expression (temporaire) d'un rapport de force (transitoire) - il nous incombe donc de ne surtout pas déserter le rapport de force si nous voulons conformer le droit à notre exigence de justice et préserver les libertés que nous jugeons fondamentales.
Trousse de secours :
La circulaire rappelant aux policiers qu'ils n'ont pas le droit d'empêcher la captation d'images :
Un essai pour prendre de la hauteur sur l'extension du domaine de la répression :
Vincent Sizaire : Sortir de l'imposture sécuritaire, La Dispute, 2016.
Un avis toujours utile sur les dispositifs législatifs, le site du Syndicat de la magistrature :
http://www.syndicat-magistrature.org