Une parole juive contre le racisme
Dans le Texte
Michèle Sibony & Dominique Natanson
Judith Bernard
C'est la première fois que je consacre un entretien à ce genre de livre : ce n'est pas un essai théorique, ce n'est pas un roman, ce n'est pas non plus un texte expérimental. C'est un manuel - comme dans "manuel scolaire". Avec une mise en page didactique, copieusement illustrée, un index presque à chaque page et des encadrés en couleur prenant nos yeux par la main. Sauf qu'à l'école je n'ai jamais eu de livre comme ça entre les mains : un manuel d'antiracisme politique. Prenant à bras le corps toutes les questions qui hantent l'époque, de "l'islamophobie" au "racisme anti-blanc" en passant par la "laïcité", explorant les problématiques les plus périlleuses, rendant compte des préjugés, des fantasmes et des inquiétudes, et dénouant tout ça le plus calmement du monde. Avec des arguments, des rappels historiques, des citations de textes religieux ou législatifs, des exemples concrets. Pas de prêchi-prêcha moralisateur, pas de bonne conscience non plus : juste l'exigence intellectuelle d'un antiracisme cohérent avec les principes dont il se réclame - égalité, dignité, justice. Et c'est absolument saisissant : saisissant, l'écart entre la qualité du propos tenu dans cet ouvrage collectif, et le niveau du débat public sur la question, le plus souvent consternant.
A quoi tiennent-elles, cette exceptionnelle qualité du propos, cette sidérante justesse dans l'art de rendre justice à la cause défendue ? Sans doute à tout ce qui a présidé à sa rédaction : d'abord, c'est un ouvrage collectif, qui a mobilisé une intelligence plurielle, laquelle a sans doute plus de vertus que l'exercice solitaire de la pensée. Ensuite, c'est une réédition, revue et augmentée : la première version était parue en mars 2016, elle s'est écoulée à toute allure et a fait l'objet d'innombrables rencontres et débats publics, au cours desquels l'équipe a manifestement écouté, vraiment, tout ce que les publics exprimaient en retour : tout ce qui pouvait être ajouté, intégré, affiné, approfondi, dans cette réédition qui paraît cette semaine chez Syllepse.
Cela s'appelle Une parole juive contre le racisme, et tous les mots, là, sont importants. Parole juive, parce que ce travail collectif émane de l'Union Juive Française pour la Paix, une association juive laïque, qui se souvient de ce que les juifs ont eu à souffrir, et qui, pour cela même, lutte sans relâche contre TOUTES les formes de racisme - y compris contre celui qu'elle observe dans l'actuelle politique israëlienne d'occupation des territoires palestiniens. Mais c'est UNE parole, insistent Dominique Natanson (coordonnateur de l'ouvrage) et Michèle Sibony (l'une de ses coauteures) que j'ai reçus pour cet entretien : ça ne prétend pas parler au nom de tous les juifs. C'est UNE parole qui pose les bases d'une fraternité qui ne se laisse jamais tenter par le repli communautaire. Une parole infiniment précieuse, dans notre époque si prompte à sombrer dans les obsessions stigmatisantes et les guerres fratricides...
Au point qu'on voudrait les renvoyer à l'école, tous les querelleurs qui croient défendre la laïcité quand ils exigent de faire disparaître, en son nom, les signes religieux de l'espace public (ce que la Loi de 1905 n'a jamais envisagé, garantissant au contraire la liberté de croyance et la possibilité de la manifester publiquement). On voudrait les renvoyer à l'école, mais pas celle de nos vieux manuels scolaires, trop souvent oublieux d'une histoire critique lorsqu'ils lui préfèrent notre fameux "roman national" ; c'est à l'école de cette Parole juive contre le racisme qu'on voudrait les renvoyer, pour qu'enfin ils écoutent ce qu'ont à en dire les membres de l'UJFP, qui proposent là le seul universalisme dont on puisse se réclamer décemment : un universalisme enfin respectueux de sa propre diversité.