Stratégie pour l'urgence chronique
Dans le Texte
Andreas Malm
Judith Bernard
Émission conçue et animée par Stathis KOUVÉLAKIS
« C’est mal parti pour notre histoire » comme disait Brecht. On ne sait pas toujours bien quand l’on sortira d’une épidémie mondiale vertigineuse et dans le sombre interrègne qui est le nôtre, les bonnes nouvelles ne sont pas légion. La déforestation continue de plus belle malgré le confinement, la température croît follement, les entreprises fossiles multiplient les nouveaux projets d’extraction tandis que les exploitations agricoles standardisées laissent penser que le covid ne forme qu’un ballon d’essai des pestes que ce mode de production nous promet.
L’œuvre d’Andreas Malm a ceci de particulier qu’elle autorise une intelligence de la catastrophe contemporaine. Dès son premier livre, L’anthropocène contre l’histoire, il a su montrer combien le réchauffement climatique émanait d’une dynamique proprement capitaliste. Dans un exposé éblouissant, il retraçait l’histoire du passage de l’énergie hydraulique aux énergies fossiles et dessinait les motifs qui présidaient cette destinée. Loin du récit qui fait du pétrole et du charbon les choix logiques d’économistes rationnels, il montrait l’importance des logiques politiques à l’œuvre, en premier lieu de la recherche d’une main-d’œuvre bon marché et rendue docile par la concurrence.
Malm n’est pas simplement un excellent historien du réchauffement climatique. C’est également un militant révolutionnaire sincère et dédié à la cause, capable de questionner les tactiques du mouvement Climat dans Comment saboter un pipeline ou d’esquisser les premiers moments d’une transition hors du capitalisme dans La chauve-souris et le capital. C’est ce que donne à voir ce vaste entretien réalisé avec Stathis Kouvelakis, philosophe et militant communiste. Après un examen précis des dynamiques spécifiquement capitalistes à l’œuvre dans les diverses crises qui nous frappent de plein fouet, qu’on en ressente ou pas l’effet immédiat, ils s’engagent dans une indispensable discussion stratégique, qui prend au sérieux les enjeux de la conjoncture.
Comment penser les échanges écologiquement inégaux qui régissent le commerce mondial ? Comment examiner les agendas des climato-sceptiques tenants du fascisme fossile comme Bolsonaro et Trump ? Quel usage de l’État l’urgence chronique requiert-elle ? Quelle composition de classe est à même d’outrepasser la décomposition des mouvement ouvriers contemporains et de ravir l’avenir à la mort promise par la logique du capital ? Voilà autant de questions que notre camp se doit de poser avec la loyauté et la modestie que notre âge des catastrophes impose. Les auditeurs y trouveront des esquisses de réponses formulées depuis les luttes en cours, depuis nos défaites et nos sursauts. Ils écouteront aussi une discussion parfois vive, profonde, qui n’a pas peur de mots comme « écoléninisme », « transition », « communisme de guerre », « prise de pouvoir » et s’aventure à imaginer et tracer les chemins de ce qui demain pourrait revêtir les habits d’un double pouvoir à la hauteur d’une période qui, si désespérante soit elle, requirt vitalement des interventions politiques communistes.
Ernest MORET, traducteur de l'entretien.