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Au coeur de la tempête : la CGT

Dans le Texte

Laurent Brun

Donc on en est là : côté pouvoir, ça ne bouge plus. Ni sur la réforme des retraites, coulée façon béton sur une société qui n'en veut pas, ni même pour des gesticulations de politique quotidienne : les déplacements ministériels sont annulés les uns après les autres, faute des conditions minimales pour que ça ne tourne pas au fiasco intégral, et les images de Macron tentant de sortir quand même, en hélico et traînant son groupe électrogène, ou défilant devant des trottoirs déserts où il salue quelques marronniers, offrent l'éloquent spectacle d'une agonie. Rigor mortis : il y a quelque chose de la rigidité cadavérique dans cette sorte de tétanie qui a saisi l'exécutif, empêché concrètement de faire le moindre pas depuis qu'il a choisi l'option 49.3.

De notre côté nous voici tous devenus les heureux détenteurs de dispositifs sonores portatifs, toujours partants pour fournir les prompts renforts aux casserolades du coin. Ne boudons pas notre joie : c'est festif et même jubilatoire d'avoir trouvé dans nos cuisines ce petit bout de pouvoir. Mais nous ne nous leurrons pas : sous cette forme, notre résistance ne produit que des symboles - toujours bienvenus, mais insuffisants pour faire céder le pouvoir. Chacun le sent bien : les intervilles du zbeul c'est sympa, mais c'est en attendant. En attendant quoi ? En attendant que le rapport de forces se forme en notre faveur, pour remettre du mouvement (social), et que le pouvoir bouge enfin : qu'il RECULE.

Et pour ça, il faut autre chose qu'une poele à frire et une cuillère en bois. Il faut de la puissance organisée, de la stratégie collective, un plan de bataille : il faut du syndicat. Historiquement constituée sur ce projet exactement - organiser la puissance ouvrière pour faire reculer le patronat et renverser le capitalisme - la CGT a vocation à construire cette force dont nous avons besoin pour l'emporter sur la Macronie. Dans le puissant mouvement social qui a remis la colère debout depuis janvier, elle a joué un rôle décisif : à la fois dans l'intersyndicale, où elle a misé sur la stratégie unitaire, et sur le terrain, où les délégués CGT ont assuré le travail quotidien de maintien et de renforcement de la mobilisation. Les travailleurs n'ont qu'une arme, la grève : la CGT le sait et travaille à sa généralisation. Mais il faut des grévistes, et c'est là que le bât blesse : la grève ne prend pas, ne pèse pas, ne bloque pas, ne se généralise pas.

A qui la faute ? Des voix s'élèvent pour reprocher aux directions syndicales de ne pas appeler à la grève reconductible générale, on s'arrache les cheveux devant la "stratégie" des journées d'action bien trop espacées, qui n'ont jamais marché, et marcheront encore moins dans la période où nous sommes désormais d'un néolibéralisme autoritaire parfaitement inamovible. Est-ce que c'est un problème de "stratégie" syndicale ? Le syndicalisme façon CGT est-il coupable ? Ou affaibli, par le faible taux de syndicalisation, l'atomisation du monde du travail, la faible fréquentation des Assemblées Générales, le recul de la culture politique et du sens du rapport de forces chez les travailleurs eux-mêmes ? Et les manifestations, où nous sommes parfois des millions, dont nous rentrons à la fois heureux d'avoir été si nombreux, et tristes, hantés du sentiment de notre impuissance, à quoi servent-elles ? Ne faudrait-il pas plutôt occuper les lieux de travail, bloquer les flux ?

Bref : il faut, avec la CGT, faire le point sur l'état du mouvement social, et les perspectives stratégiques pour la suite. Il faut, pourquoi pas, rappeler les fondamentaux du syndicalisme révolutionnaire qui est sa matrice historique et examiner les conditions de possibilité pour renouer avec ce niveau d'ambition. Laurent Brun, secrétaire général de la Fédération des Cheminots, et désormais élu au Bureau Confédéral (aux côtés de Sophie Binet dont la nomination surprise au poste de Secrétaire Générale a été l'ultime coup de théâtre d'un congrès particulièrement tourmenté), a accepté de se prêter à l'exercice : au coeur de la tempête, il a consenti à prendre avec nous le temps de l'analyse, de la lucidité, de l'exigence. La discussion est passionnante, honnête, constructive, et pose déjà un premier jalon : les syndicats n'ont que la force que nous leur donnons en nous syndiquant, de plus en plus nombreux. De la force que nous pouvons opposer à la violence du pouvoir, nous sommes les premiers responsables. 


Judith BERNARD

Dans le Texte , émission publiée le 20/05/2023
Durée de l'émission : 72 minutes

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